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Procès des nationalistes corses : « un rendez-vous manqué » pour l’avocate générale

Huit hommes ont été jugés, du 11 au 22 juin dernier, par la cour d’assises spécialement composée pour des attentats contre des maisons en 2012. Six ont été condamnés dont trois incarcérés. Fernand Agostini et Pierre Paoli, principal accusé car présenté comme un ancien chef du FLNC en Corse du Sud, ont été acquittés. Troisième partie d’une série de quatre épisodes.

par Marine Babonneaule 11 juillet 2018

Maryvonne Caillibotte est l’avocate générale du procès de la « filière du Valinco ». Elle a égrené les journées d’audience de ces questions faussement naïves mais rudement précises, elle a agacé les avocats de la défense, elle a levé les yeux au ciel aux propos de certains accusés et elle a souri aussi quand, parfois, l’audience se faisait plus légère. Elle est restée dans la salle d’audience, vendredi 22 juin après le verdict, lorsque les familles étaient en état de choc, qu’une mère hurlait et qu’une autre s’évanouissait. La cour, elle, avait filé.

La veille, ses réquisitions ont duré trois heures. La salle d’audience – le procès s’est déroulé dans une chambre correctionnelle – s’est remplie de proches.

Puisque le Front de libération nationale corse (FLNC) a déposé les armes en 2014, que les faits jugés datent de 2012, l’accusation allait-elle « tourner la page » des attentats corses ? « Comme dirait le juge Thiel dans un de ses interrogatoires : résumons-nous !, entame la magistrate […] Nous travaillons sur un dossier qui se situe en 2012, cela faisait six années que la Corse avait connu sa dernière nuit bleue. […] Il y a une unité de temps, une unité d’une vingtaine d’actions, entre 2h30 et 2h31 du matin. Cela suppose une coordination et une manière d’agir uniforme. […] La nuit suivante, comme s’il manquait une petite partie de la nuit bleue, dans la commune du Valinco, ont lieu deux attentats sur deux maisons secondaires, avec quelques différences dans les méthodes. […] Vous savez aussi, dès le lendemain, il y a un renseignement anonyme. On n’aime pas beaucoup ça dans les procédures, c’est suspicieux. […] Un renseignement anonyme, c’est une petite pelote qui vous donne des indications, il faut dérouler le fil ou le casser immédiatement. M. Garcia va devenir le fil rouge de cette enquête. Autour de lui vont se mettre en place des choses classiques : écoutes, sonorisations… jusqu’au 7 décembre 2012, jour de la deuxième nuit bleue avec ses trente attentats sur le littoral. Le Valinco, cette fois, n’a pas besoin de nuit de rattrapage. » Les deux dossiers sont joints.

L’avocate générale va dérouler, elle aussi, sa pelote. « C’est la combinaison de ces outils techniques qui va permettre de mettre à jour une cellule locale du FLNC. » Certes, « les retranscriptions des sonorisations sont contestées par les accusés sauf par M. Agostini. C’est à se demander si c’est la paternité des propos qui est contestée ou s’il s’agit d’une pure invention. Sur l’année 2012, les sonorisations sont basées sur les conversations de voiture surtout […] Ces conversations sources vont être exploitées à tous les stades du dossier » et permettront de qualifier les faits, continue la magistrate. « Je rappelle que la cellule terroriste dont il est question est le FLNC, créé en 1976, responsable de violences, de rackets et de morts. Plus d’une cinquantaine comptabilisée à ce jour », ponctue-t-elle comme une sentence. Avec de nombreuses scissions, « on a bien compris que cette organisation ne vit pas une vie tranquille. […] À côté de cette organisation clandestine, un mouvement nationaliste public et politique s’est implanté depuis des années ». Il donnera naissance à Corsica Libera qui lutte pour les droits et l’histoire du peuple corse, le patrimoine et la culture de l’île, le respect de la justice sociale, le respect de l’environnement et pour la reconnaissance des prisonniers politiques.

Or « ce parti n’a jamais condamné la violence et la clandestinité du FLNC. […] C’est de ce mouvement dont se réclament les accusés avec des engagements variables. […] Tous les actes commis par le FLNC sont des actes terroristes. […] Par conséquent, appartenir au FLNC est une infraction. […] Appartenir au FLNC et participer à un attentat, c’est au nom du FLNC. Et commettre un attentat, c’est aussi participer. […] La direction d’un tel groupe est considérée comme une participation à l’entreprise terroriste ». En bref, appartenir au FLNC ou préparer un attentat au nom du FLNC permettra de déterminer la responsabilité et donc la culpabilité des accusés.

« C’est le petit manuel du parfait terroriste ! »

C’est embêtant : les huit accusés ont réfuté leur appartenance au mouvement clandestin. Non, « il y a un terreau favorable », pour Maryvonne Caillibotte. Ils ont tous dit « clairement » leur sympathie vis-à-vis des nationalistes, notamment dans les conversations sources. « Dans ces conversations, nous avons entendu qu’ils faisaient partie du "Front" ». Il y notamment cette discussion entre Garcia et Susini, un soir tard, qui évoque « très clairement la reprise du secteur par un militant nationaliste frontiste condamné pour cela. Ça ne peut pas être le fait du hasard », estime-t-elle. Et que dire de cet autre enregistrement entre Garcia – encore lui, le « fil rouge » – et Ganu sur « le manque d’égards à leur encontre. "On est au Front pour nos idées", disent-ils. Je n’ai aucun élément pour dire que ce sont des propos d’ivrognes ». L’avocate générale recense, énumère, relève. Et que dire de cette autre conversation de décembre 2012, deux jours après les attentats ? Garcia et Susini « ont une longue conversation autour du frère de Susini qui, à leur grand désappointement, a choisi une autre voie que le nationalisme [trafic de drogue, ndlr] ». Il n’y a pas de « petites preuves ». La messagerie de Garcia ? « flnc76@hotmail.fr ». « Même pas Corsica Libera », ironise la magistrate.

Jean-Pascal Cesari, lui, « n’a pas la même place dans cette audience que les autres accusés. […] Il est plus âgé, son appartenance au FLNC est plus ancienne. En 2013, enregistré dans un bar, il dit "la lutte existe, tu prends des risques, tu assumes, […] je suis vieux, maintenant ça suffit, je donne des conseils". Mais avant, quoi ? Avant, il luttait ! » Ne parle-t-il d’ailleurs pas à plusieurs reprises d’explosifs ? Il ne se contente pas de cela, poursuit la magistrate. « Il donne des conseils pour obtenir des explosifs sans attirer l’attention. C’est le petit manuel du parfait terroriste ! Mais surtout, et c’est un élément majeur dans sa participation au FLNC, le 22 mai 2012, il se rend, malgré ses démentis, à la maison d’arrêt pour rendre visite à Paul Istria et Charles Pieri. M. Cesari revient avec une information qui est majeure, nous dit-on, car il apprend de la bouche de ces deux personnes, historiquement condamnées, que le FLNC va abandonner la lutte armée. C’est gravissime. Ça ne s’abandonne pas comme ça, des années de lutte armée ! M. Cesari se retrouve au cœur de l’histoire, il se retrouve dans la confidence historique. On donnerait cette information historique au premier copain croisé ? Je ne peux y croire ! Ils ne se sont confiés qu’à l’un des leurs, à un membre du FLNC. […] Il y a un peu une onde de choc quand M. Cesari apprend cela. On a deux conversations fleuves entre Cesari et Agostini où l’on voit bien que c’est compliqué, que c’est dur ». Pour Maryvonne Caillibotte, l’abandon de la lutte armée n’a pas réjoui tous les frontistes. Au contraire. « Ils se sont servis de nous pour monter politiquement », telle aurait été la rengaine des déçus. Et ce, même si les militants frontistes - à l’inverse des militants de l’ETA - sont des « intermittents », des « militants au gré des besoins »

Ils appartiennent à « la mouvance ». Ont-ils participé à la préparation des attentats ? La magistrate se base encore sur les écoutes. Il y a des repérages, des recherches de contenants – fûts de bière volés –, des « phrases codes », des allers-retours en voiture pour charger « avec des gants » quelque chose de « rose » – de la pâte explosive. Il y a donc bien fabrication, détention et transport d’explosifs en lien avec une entreprise terroriste en bande organisée.

Le « ça va péter, ça va péter, mon ami ! » de Garcia, « cette exclamation est celle de quelqu’un qui se réjouit et qui a connaissance des faits », estime l’avocate générale. [les propos ont été tenus après les attentats, ndlr]. Et puis, cingle la magistrate, à propos de Laurent Susini, « certains n’ont décidément pas la bonne étoile : quand on retrouve son ADN à deux reprises, c’est sur deux scènes d’attentats ! ». Sans oublier l’achat de matériel dont la bombe de couleur qui a servi à marquer les maisons d’un « FLNC » rose fluorescent, sans oublier les téléphones laissés « comme par hasard » à leur domicile le jour des faits. « C’est ici la notion de suite logique, pour la magistrate, une suite qu’il faut considérer comme convaincante : aucun acte, aucune conversation, aucune incohérence ne contredit la suite. […] Tout s’enchaîne ».

« Mauvaise perdante, mais je n’ai pas assez d’éléments pour le faire condamner ! »

Et puis, il y a Pierre Paoli, « l’Abbé Pierre ». Son cas est plus épineux. Les accusations qui pèsent contre lui sont plus que légères alors qu’il est présenté comme un ancien leader du FLNC. Un enregistrement indirect, parmi des dizaines de milliers d’heures d’écoute, qui évoque un « Pierre ». Et après ? Il est midi, jeudi 21 juin, lorsque Maryvonne Caillibotte évoque son cas après plus de deux heures de réquisitions. « Pierre Paoli a un engagement nationaliste ancien, un engagement au sein de Corsica Libera, et il a un discours très affirmé au service de la Corse par la voie légale, la voie politique. […] C’est un proche de Charles Pieri qui n’est pas n’importe qui, qui est une personnalité du FLNC. Pierre Paoli conteste son appartenance au FLNC. À l’issue de l’instruction et de l’audience, des choses "en plus" et des choses "en moins" se dégagent ». Le prénom « Pierre » qui apparaît sur les retranscriptions, « il est assez probable qu’on parle de lui, ne serait-ce que par sa position politique. […] Ses conseils ont eu beau aligner les autres Pierre possibles, les accusés ne les connaissaient pas. Il n’y a pas d’ambiguïté, le prénom est assez identifié ».

Mais à propos de cet homme « au tempérament rugueux », « à la nervosité qui s’entend à la barre », « présent dans la cité », l’avocate générale ne dispose pas de sonorisations directes. « Je vous livre ma conviction, il était impossible d’installer une sonorisation autour de Pierre Paoli, rarement seul. […] Son prénom, c’est les autres qui le prononcent. Il n’y a pas non plus de comportement qui pourrait correspondre à une réunion conspirative. Il n’y pas d’éléments non plus qui démontrent qu’il donne ou qu’il détient des armes. Il n’y a pas de propos qui permettent de déterminer qu’il vise une cible, un lieu, une date, qu’il choisisse des recrues et des militants. Dans ce dossier, le seul qui ait visiblement approché un militant officiel du FLNC, c’est Jean-Paul Cesari. Je n’ai pas non plus d’éléments plaçant Paoli en extorsion de fonds. Par conséquent, je ne sais pas qui est réellement Paoli. Celui qui se défend de toute action clandestine ou un membre du FLNC. Je repartirai avec mes questions, avec mes doutes. […] Mauvaise perdante, mais je n’ai pas assez d’éléments pour le faire condamner ! Je vous fais part de ma vérité, mes doutes sont suffisamment raisonnables. Je ne suis pas rémunérée au nombre de condamnations. Je demande l’acquittement de Pierre Paoli. » Maryvonne Caillibotte a terminé.

L’intéressé n’a pas cillé. Ses avocats non plus. Ils plaideront après le déjeuner. Il est 12h30, ce jeudi 21 juin.

 

Peines requises : « Personne n’est mort et personne ne voulait qu’il y ait des morts »

« L’islamisme radical nous oblige à relativiser ce dont nous sommes saisis. Il n’y a pas de guerre, il n’y a pas de volonté d’extermination, pas cette violence liées aux derniers attentats, pas de djihadisme, personne n’est mort et personne ne voulait qu’il y ait des morts. Ce n’est pas pour ça que ce n’est pas grave. Les victimes ont mis un peu de chair dans ce procès. […] Il y a eu Fouchet notamment, ces sanglots, qui nous a dit que les accusés étaient les artisans d’une histoire plus grande qu’eux. […] Jean-Guy Talamoni a parlé d’anachronisme. Effectivement, le temps a passé. […] C’est une île qui les attend. […] Quand on juge en 2018 des faits de 2012, après le dépôt des armes de 2014, évidemment qu’il y a réflexion. […] Il y a un décalage, c’est gênant. La particularité n’est pas le temps qui a passé mais ce qui s’est passé en 2014. Ce procès n’est pas anachronique. Ce procès doit avoir lieu car ils n’ont pas le droit de prendre les gens en otage. Est-ce que les accusés ont contribué à ce qui s’est passé en 2014 ? […] Admettons qu’il y ait beaucoup de chemin parcouru et que cette histoire-là, ils se la soient appropriée. Cela fait écho aux paroles et aux mains que vous avez tenues, monsieur le président. […] Faisons un nouveau temps judiciaire, pas politique. […] Quelle est leur histoire actuelle ? À qui j’ai affaire ? Ils comparaissent libres, c’est une préconfiance que nous leur faisons. […] Pour M. Fouchet, ce sont des pauvres types. Faut-il prendre tout ça pour autant à la rigolade ? Le procès a été plutôt détendu, agréable. Objectivement, ils pourront constater l’honnêteté du travail. […] Mais ce n’est pas pour autant une BD rigolote ce procès ! Ah oui, on a dit que c’était le "procès des dernières nuits bleues de Corse". Mais ce n’est pas pour ça qu’il n’y a plus d’explosions, elles ne sont simplement plus revendiquées ! "Nuit bleue". Quelquefois, il suffit de changer un mot. J’aurais bien aimé qu’il y ait des mots. Qu’on remplisse cette audience, sans mots, sans présent rapporté, comment la cour va être sûre qu’il y a intégration totale de la loi pénale et donc des interdits ? Qu’est-ce qui est intégré ? […] Cette absence de mots est réellement problématique, c’est un rendez-vous manqué. Je garde une inquiétude. Le FLNC n’a jamais déposé les armes […] »

Réquisitions :
Jean-Paul Cesari : six ans
Laurent Susini : six ans
Cyrille Garcia : six ans
Marc Ganu : cinq ans
Emmanuel Peru : cinq ans avec sursis
Xavier Ceccaldi : cinq ans avec sursis
Fernand Agostini : cinq ans avec sursis intégral
Pierre Paoli : acquittement 

 

Premier épisode : C’était, paraît-il, le dernier procès des nationalistes corses

Deuxième épisode : Procès des nationalistes corses : « un rendez-vous manqué » pour l’avocate générale.

Demain : Procès des nationalites corses : les plaidoiries