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Procès des nationalistes corses : « la violence a sauvé le peuple corse »

Huit hommes ont été jugés, du 11 au 22 juin dernier, par la cour d’assises spécialement composée pour des attentats contre des maisons en 2012. Six ont été condamnés, dont trois incarcérés. Fernand Agostini et Pierre Paoli, principal accusé car présenté comme un ancien chef du FLNC en Corse du Sud, ont été acquittés. Dernier épisode : les plaidoiries et le verdict.

par Marine Babonneaule 12 juillet 2018

Dans le flot de ses réquisitions de la matinée du 21 juin, Maryvonne Caillibotte avait appelé à un acquittement. Un seul parmi les huit accusés. « Je n’ai pas assez d’éléments pour le faire condamner », avait-elle reconnu, parlant de Pierre Paoli, dit « l’abbé Pierre », leader du parti Corsca Libera et présenté par la justice comme un ancien chef du Front de libération nationale corse (FLNC).

Emmanuel Mercinier-Pantalacci est, avec Christian Saint-Palais, l’avocat de Pierre Paoli. « Je l’ai toujours pensé, je ne l’ai pas toujours su. Je crois que vous allez acquitter Pierre Paoli. Je le pense. Je l’ai toujours pensé. On ne peut pas ne pas me croire. C’est une affirmation audacieuse selon laquelle, dès l’origine, je savais qu’il serait acquitté. […] Le 15 avril 2015, j’ai organisé une conférence de presse, j’étais très mal à l’aise. » Mais, pour l’avocat, dès le début, « le postulat était dépourvu de tout fondement ». C’était « la négation même de la différence entre l’organisation clandestine et un parti nationaliste. […] En quoi me suis-je trompé ? En quoi ai-je été excessif face à une abyssale vacuité des charges ! ».

Emmanuel Mercinier s’en prend à la cour. « Et vous l’avez interrogé vingt-cinq minutes à propos d’un lampadaire ! Et vous, madame l’avocate générale, dix minutes ! Vous avez requis son acquittement parce qu’il n’y a rien. Avec près de 100 000 interceptions, vous n’avez pas un seul élément prétendument caractéristique d’une infraction. Vous allez l’acquitter parce qu’il n’y a rien et parce que vous ne l’avez pas interrogé. On ne peut décemment faire ça ». Pour lui, les enquêteurs en Corse sont « des victimes ». Ce qu’on leur demande est « inhumain » : comment être objectif et impartial lorsque l’on est soi-même victime d’attentats depuis 1975, année de la création du FLNC ? « Tout est dit. Les enquêteurs n’ont pas fait leur boulot et c’est normal. […] Tout cela est un délire judiciaire dans lequel vont nous conduire les enquêteurs. »

Mais ce n’est pas le seul à ne pas avoir fait son boulot. Selon Me Mercinier-Pantalacci, le juge est passé à côté du dossier. « Le dossier démontre que, chaque fois qu’il est question de "Pierre", c’est de vous forcément qu’il est question, dit-il en regardant son client. Il n’y a pas un acte à décharge. Que dire de cette histoire guignolesque de ces deux types dans un bar, un "X" qui parle à un "Y", en disant "Tu as entendu ?" ». La salle rit, Emmanuel Mercinier mime la scène, avec l’accent corse qui le caractérise. « Quelle est la crédibilité de ces propos ? Rien. Aucune investigation n’est menée. […] Le juge s’est-il laissé piéger par les gendarmes ? Je ne sais pas ce qu’il s’est passé mais c’est très grave. »

Il y a une difficulté légitime dans ce dossier, celle de la dialectique de Corsica Libera qui consiste à ne pas condamner la violence du FLNC tout en ne cautionnant pas ces actes. Cela, Régis de Jorna, le président de la cour d’assises, a tenté de le comprendre, sans relâche, pendant les dix jours d’audience du procès. Emmanuel Mercinier explique « le paradoxe » à son tour et il va surprendre l’auditoire : « La violence a sauvé le peuple corse, c’est comme ça. Ce n’est pas la personne de Pierre Paoli qui vous le dit, c’est moi. Je ne condamne pas la violence, elle a sauvé le peuple corse. […] Au début des années 1950, l’État a voulu établir une zone d’expérimentation nucléaire, comme nous avons eu à Mururoa. Il a fallu une certaine dose de courage pour s’y opposer. Des sociétés italiennes ont déversé des déchets extrêmement toxiques au large de la Corse. Il y a eu des manifestations, des revendications, des pains de plastic sur ces bateaux mortifères. La violence a permis de mettre à terre l’infamie. Au début des années 1950, des terres ont été données. […] Après quelques années de tensions, en 1975, il y a eu le docteur Edmond Simeoni et une poignée d’insurgés ». L’avocate générale lève les yeux au ciel. « Il est sans doute désagréable à dire que la violence du FLNC a protégé la Corse contre des promoteurs et des gangsters. […] La violence a permis d’ouvrir les yeux, c’est le souffle des explosions qui a ouvert les esprits et les causes de ces violences ont désormais cessé. C’est pourquoi ne nous ne condamnons pas mais c’est la raison pour laquelle nous voulons que cette violence cesse. […] Pierre Paoli, dans tout ça, vous allez l’acquitter. Et qu’est-ce qu’il va en rester ? Il y aura un avant et un après pour lui. […] Pendant trois ans et demi, il a été mis en cause et accusé. […] Vous allez mettre fin à ce délire judiciaire. Vous n’allez pas réparer cela car c’est trop tard. Je suis fier de l’avoir accompagné. »

« C’était un beau moment de justice, en équité, en contradiction »

Il est 16 h. L’avocat Christian Saint-Palais prend la parole. Il a l’accent palois, à la différence de son confrère, et l’honneur de l’avocat, à l’instar de Me Pantalacci. « Je mesure l’inutilité des propos que je vais tenir. […] Je ne suis pas utile car vous avez entendu la démonstration de l’avocate générale qui, quels que soient les doutes qui l’habitent, n’a pas été convaincue. Et moi, je suis le premier convaincu par Me Mercinier qui porte une défense avec indignation, avec une volonté d’établir la vérité, une vérité qui a fini par émerger. […] L’acquittement devra se fonder sur des éléments strictement juridiques : ces derniers vous autorisent-ils à avoir une intime conviction de la culpabilité de Pierre Paoli ? Vous ne pouvez y répondre que par non ». Christian Saint-Palais rappelle que la poursuite s’étend de janvier 2012 à avril 2015. « C’est compliqué à comprendre une poursuite sur une période de cette étendue ! » En tous cas, Paoli, « il n’est pas passé sous les radars, Paoli c’est l’homme que l’on subit, c’est l’homme que l’on connaît, c’est l’homme que l’on évoque. […] On va lui opposer des sonorisations qui parlent de lui. Mais c’est tout. C’est le seul élément que l’on a extrait en 2012 ». Là, le ton monte. Pendant l’enquête, « nous alertons qu’il y a cette imprécision, cette approximation, ce brouillard de l’accusation qui se dit "on va lancer un filet et on verra plus tard" ! […] Pour un acquittement, il n’est jamais trop tard mais tout de même… Face à une telle accusation, il est impossible de se défendre. Que dire face à l’inanité d’une accusation ? […] Le juge n’a jamais pensé qu’il y avait un quelconque indice. Et vous n’allez jamais l’entendre dans les conversations téléphoniques. Vous n’avez pas non plus son image, sa photo, une filature. […] Vous n’avez aucun contact direct avec les coaccusés. Vous n’avez aucune empreinte génétique. […] Percevez-vous la difficulté à vous défendre quand vous n’êtes cité que dans une seule conversation ? "X dit que vous auriez parlé qui pourrait justifier votre implication" ».

Me Saint-Palais a exhorté à la prudence, à la distance. « Je vous trouve assez présomptueux de faire la part du vrai et du faux », a-t-il continué en haussant davantage le ton. À propos des milliers d’heures de sonorisations, « on a demandé les scellés, c’était une demande simple. On nous les a refusés. Ah oui, demander des scellés, cette chimère ! "Peut-être que l’on va trouver un élément à décharge". Vous admettrez donc l’incrédulité de celui en prison à qui l’on répond "vous ne pouvez avoir accès à ces pièces" ! […] C’est dur de se défendre, je vous assure, il ne s’est rien passé mais il faut se défendre ! ». Les accusés écoutent, sans un souffle, la plaidoirie. « Je n’ai pas dit grand-chose, je sais. Mais prétendre caractériser quoi que ce soit avec des "je ne sais pas qui parle, je ne sais pas de qui ils parlent, je ne sais pas de quoi ils parlent" ce n’est pas matérialiser les faits ! Je n’admets pas qu’on prive de liberté un homme aussi longtemps quand un indice n’est étayé par aucun élément matériel ! Mais si vous l’acquittez, le rendez-vous n’aura pas été totalement manqué. […] Pierre Paoli a choisi de s’exprimer. C’était un vrai moment de justice, la défense s’est exprimée librement, des hommes se sont tus, ils ont exercé leur droit. […] On a présenté cela comme un choc de culture. […] Mais le silence, ce n’est pas leur loi comme cela a été sous-entendu, c’est la nôtre qui nous permet de nous taire ! Le droit de me taire, c’est compliqué, c’est un choix mais il n’y a aucune conséquence empirique à en tirer. C’était un beau moment de justice, en équité, en contradiction ». Et puis, le terrorisme dont il a été question pendant dix jours « n’a rien à voir avec celui que nous connaissons actuellement », rappelle Christian Saint-Palais. Il s’agit de femmes et d’hommes « qui ont un idéal pour leur terre, leur langue, leur culture. […] On parle désormais de construction, d’avenir, de nous, de notre communauté ».

« L’État français trouve-t-il un intérêt que l’un ou l’autre retourne en prison ? »

Suivront les plaidoiries de Laetitia Maricourt-Balisoni, Laura-Maria Poli, Santa Lucchini, Alexandre Albin, Antoine Vinier-Orsetti et celle d’Éric Barbolosi. Tous ont pointé l’hérésie des milliers d’heures de sonorisations peu convaincantes, qui ne présentent « aucune certitude scientifique » et à qui l’ont pouvait « tout faire dire ». Plus tôt, dans l’après-midi, Philippe Dehapiot, qui défend Emmanuel Peru, questionne la cour, de son ton persifleur. « À supposer que les accusés aient intégré le FLNC, cela fait-ils d’eux forcément des terroristes ? Tarnac nous a montré que non. » Et « détruire une maison sans créer la terreur, cela rentre-t-il dans la sphère terroriste ? […] Le fait d’être prétendument dans un véhicule avec deux ou trois autres personnes, d’avoir assuré le transport d’une pâte rose serait l’élément incontournable de sa participation à l’entreprise terroriste ? » Où sont les éléments matériels ? Encore « une démonstration superficielle de l’avocate générale ! Où est la volonté matérielle de vouloir détruire ? On se contente d’une simple détention de l’explosif mis à jour par une sonorisation […] et on requiert deux ans d’emprisonnement ! […] Il est tout aussi extravagant et énervant de dire que la bande organisée était constituée. […] Pas une fois, on ne parle de structure, de dirigeant de bande organisée, de préméditation… Il est juridiquement impossible de répondre à toutes les questions », cingle Me Dehapiot. « Est-ce parce qu’on chante corse, que l’on fréquente des bars corses, que l’on est un dangereux terroriste du FLNC ? », a interrogé Me Poli, provoquant l’exaspération de l’avocate générale. « Soyez les artisans de cette paix durable », ont-ils presque tous demandé rappelant les années de détention de leurs clients. « Il est temps de tourner les pages, de regarder devant, vous avez tendu des mains, elles n’ont pas toujours été saisies. Mais s’ils avaient saisi ces moments, je ne suis pas sûr que cela aurait pour autant attiré vos bonnes grâces », a estimé Me Vinier-Orsetti. Les avocats écoutent leurs confrères. L’un a disposé ses stylos en parallèle, l’autre feuillette distraitement un dossier, un autre se caresse le visage avec son épitoge. Il est 21 h. Éric Barbolosi ne plaidera pas ce soir-là. La cour est fatiguée.

Dernier jour du procès. Régis de Jorna arrive en retard. Me Barbolosi, qui défend quatre des accusés, entrera dans le détail juridique des infractions reprochées. Mais il s’adressera également aux victimes et à la seule partie civile du procès. « J’ai entendu qu’elles attendaient des réponses. J’ai une petite expérience de ces dossiers. Le choix de la cible, c’est juste un concours de circonstances, une cible facile. Il s’agissait de maisons vides et éloignées, cela ne présentait pas de risques. » Certaines maisons ont été entièrement détruites ? « Un concours de circonstances » également, selon l’avocat. « Quand il y a une campagne de nuits bleues, il n’y a pas de cibles précises […], il ne s’agit pas de commandos aguerris, on choisit une solution de facilité ». D’ailleurs, ajoutera Éric Barbolosi, ses clients, aujourd’hui, « ils sont tranquilles, ça fait deux ans qu’on n’a pas entendu parler d’eux, ils sont rangés. […] Est-ce que vous estimez que la société française, l’État français, trouve un intérêt que l’un ou l’autre retourne en prison pour des faits qui ont six ans ? Ils ont fait de longues périodes de détention provisoire ? […] Si vous condamnez malgré tout, vous avez de quoi aménager les peines pour qu’ils ne retournent pas en détention […], ce n’est pas nécessaire d’aller au-delà du nécessaire et de l’utile. Ce dossier ne le justifie plus ».

À 11 h 30, vendredi 22 juin, les accusés se succèdent à la barre. « Je n’ai rien à ajouter ». « Je suis innocent, c’est tout ce que j’ai à dire ». Ce sont leurs derniers mots. L’audience est levée. Elle ne reprendra qu’à 21 h 30, après dix heures de délibéré. « Messieurs, levez-vous. »

 

Pierre Paoli est acquitté.

Ferand Agostini est acquitté.

Cyrille Garcia est condamné à six ans d’emprisonnement.

Laurent Susini est condamné à six ans d’emprisonnement.

Marc Ganu est condamné à cinq ans d’emprisonnement, avec mandat de dépôt.

Xavier Ceccaldi est condamné à cinq ans d’emprisonnement avec trois ans de sursis.

Emmanuel Peru est condamné à quatre ans d’emprisonnement avec deux ans de sursis.

Jean-Paul Cesari est condamné à trente mois d’emprisonnement avec quinze mois de sursis.

La parquet n’a pas fait appel.

 

Premier épisode : C’était, paraît-il, le dernier procès des nationalistes corses

Deuxième épisode : Procès des nationalistes corses : « on comprend qu’on est pris entre le FLNC et l’État »

Troisième épisode : Procès des nationalistes corses : « un rendez-vous manqué » pour l’avocate générale