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Procès du père Preynat : « Ce qui vous a arrêté, c’est la honte publique ! »

Le procès du prêtre Bernard Preynat poursuivi pour agressions sexuelles sur dix scouts, âgés de 7 à 15 ans entre 1986 et 1989, a lieu au tribunal judiciaire de Lyon. Il encourt jusqu’à dix ans de prison.

par Marine Babonneaule 15 janvier 2020

Bernard Preynat aime les petits garçons depuis son adolescence. Bernard Preynat est pédophile. Mardi, il avait estimé le nombre de ses victimes potentielles entre 1970 et 1991 : environ deux enfants par semaine, parfois moins, parfois plus lorsqu’il partait en voyage avec les scouts de la paroisse lyonnaise qu’il dirigeait. En 1971, lorsqu’il est ordonné prêtre, il y a déjà eu des alertes. Au petit séminaire, il lui avait été demandé de se soigner. Une psychothérapie d’un an qu’il a très mal vécue car Bernard Preynat devait évoquer des choses trop personnelles. « Et puis, en sortant, j’étais tout content, je croyais que j’étais guéri. » Il a recommencé. À Sainte-Foy-lès-Lyon, près de Lyon, le jeune vicaire fonde le groupe de scouts de Saint-Luc en 1972, il sera également aumônier au lycée La Favorite.

Il restera en place jusqu’en 1991, année de la détonation, année de la mutation brutale ailleurs pour l’éloigner du scandale qui pointe. « C’était un dimanche, en octobre 1990, juste avant la messe, un père vient me voir et me dit qu’il retire ses enfants des scouts à cause des rumeurs. […] La messe s’est déroulée et, l’après-midi, j’étais à la cure, j’étais très mal à l’aise. Le lundi, j’ai informé le père Jean Plaquet ». Ce dernier avait été alerté à de multiples reprises, « il était au courant dès les années 1970 et 1980 », affirme Bernard Preynat, hier à la barre. En 1978, le père Plaquet lui demande de ne pas recommencer. En 1982, le père Plaquet, informé par des familles, tance vaguement Bernard Preynat. En 1985 et 1986, rebelote. Et ainsi de suite. Des coups d’épée dans l’eau. Il faudra « la honte publique », comme l’a souligné une avocate, pour que le prêtre arrête ses agissements.

Vient le courrier. Nous sommes en février 1991. Une lettre précise, sans haine, de parents dont le fils a été agressé par le curé, lue hier par la présidente du tribunal, qui dénonce « la conspiration du silence ». « Tout est dit, non ? », interroge la magistrate. « Oui… Quand j’ai rencontré monseigneur Jacques Faivre, je devais quitter mon poste normalement à la fin de l’année 1991. Mais, avec la démarche des parents, la donne a changé. J’ai été voir le cardinal Decourtray et il m’a lu la lettre. Il m’a dit “Dieu seul pardonne”. Je voulais lui expliquer que les faits ne concernaient pas uniquement ces dernières années mais que cela durait depuis longtemps. Il a fait un grand geste du bras qui voulait dire qu’il ne voulait pas en savoir davantage. Il m’a dit de quitter Saint-Luc et m’a nommé aumônier chez les petites sœurs de la Part Dieu ». Bernard Preynat a une semaine pour quitter les lieux, il est abattu. La rumeur a fait son travail, « beaucoup de parents ont enlevé leurs enfants du groupe de scouts, ils ont appelé, ils ont dit leur déception, leur révolte, leur douleur ». D’autres parents ont soutenu mordicus l’ecclésiatique, celui « adulé » par sa communauté. À ceux-là, il écrit un courrier, pour les avertir de ce départ précipité. Il évoque un mal-être, une fatigue, « des nerfs mis à rude épreuve ». Il lui faut partir, « il est sage de reconnaître ses propres limites ».

— Les parents qui n’étaient pas au courant des faits d’agressions, ils se disent quoi, à votre avis ? Que c’est un coup de fatigue ?

Bernard Preynat maugrée à la question du tribunal.

— Vous pensez que j’allais écrire les vraies raisons de mon départ ? Je n’en ai pas eu le courage. J’étais très déprimé.

— Ç’aurait peut-être été courageux, insiste la présidente.

— Oui, convient l’ancien curé. D’ailleurs, de nombreux parents sont venus le voir avant son départ. Je ne me suis dénoncé auprès d’aucun d’entre eux.

— Ils avaient dû entendre des rumeurs ?

— Beaucoup n’ont pas dû croire, et je ne me suis pas dénoncé.

Lorsqu’il est nommé curé dans diverses paroisses, le père Plaquet – avec une communauté de sœurs – est chargé de le surveiller, « même s’il n’avait pas vraiment été efficace », reconnaît ironiquement le prévenu. Quelques mois passent, Bernard Preynat reçoit par écrit un rappel à l’ordre. « Je suis allé voir le cardinal Decourtray pour qu’il me donne les limites de ce que je pouvais faire ou pas avec les enfants : faire du catéchisme, avoir des enfants de chœur… Le cardinal était d’accord ». Le père Preynat s’engage à ne jamais plus toucher un enfant (l’enquête n’a pas trouvé de victimes après 1991).

— Si l’Église était intervenue plus tôt, vous auriez arrêté plus tôt ? L’Église a une responsabilité, selon vous ?

— Je ne vais pas accuser l’Église.

— Estimez-vous avoir dit explicitement et suffisamment les choses à votre hiérarchie, qui aurait étouffé les faits pour empêcher le scandale ?

— Je n’ai jamais été interrogé par ma hiérarchie sur le détail des faits de ma vie (le père Preynat a précisé plus tôt dans la journée qu’il s’était en revanche confessé à de nombreuses reprises et aucun de ses confesseurs ne lui avait conseillé de se dénoncer, ndlr).

— Jamais ? Donc, la première fois que vous en parlez dans les détails, c’est devant un policier ?

— Oui.

— Et rien au cardinal Decourtray ?

— Quand j’ai voulu lui expliquer, je lui ai dit « c’est une longue histoire », il a balayé ça d’un revers de main et le cardinal Barbarin, quand il a pris son poste à la tête du diocèse de Lyon, ne m’a posé aucune question précise. J’ai reconnu avoir agressé mais il n’y a pas eu de questions.

— Ils ont bien compris qu’il s’agissait de faits sexuels ?

— Oui.

— Quand le cardinal Barbarin écrit au Vatican, en février 2015, pour savoir ce qu’il doit faire de vous, ce dernier ne veut pas d’un scandale.

— Si on avait voulu faire un scandale et un procès canonique, c’est en 1991 qu’il aurait fallu le faire et pas en 2018 (Bernard Preynat a été renvoyé à l’état laïc en juillet 2019, ndlr).

— Mais au cardinal Decourtray, qui n’a pas voulu vous écouter, pourquoi ne pas lui avoir écrit ?

— J’ai écrit un courrier très récent à l’évêque qui remplace Barbarin pour lui expliquer tout ce qui s’était passé depuis mon enfance, depuis les agressions que j’ai subies quand j’étais enfant de chœur, le peu d’aide dont j’ai bénéficié lors du petit séminaire…

— Vous n’avez pas pensé le faire auprès de M. Decourtray ?

— Non, j’avais honte, je n’ai pas eu le courage.

— Cette culture du silence, vous dites vous-même que vous l’avez éprouvée ?

— Oui, je reconnais qu’à cette époque, c’était recommandé par l’Église, c’était « n’en parlons pas, n’en parlez pas »

— Vous pensiez que vous échapperiez à la justice ?

— J’espérais, mais je pensais que ça arriverait un jour.

[…]

— Vous n’avez pas parlé de monseigneur Billé (qui a été chargé dès 2001 de mettre en place des dispositifs de lutte contre la pédophilie, ndlr), demande une avocate de la partie civile.

— Il m’a convoqué, reçu dix minutes, il voulait surtout savoir si les faits étaient prescrits et m’a envoyé chez un avocat. J’ai tout raconté en détail, un certain nombre de faits n’étaient pas prescrits. L’avocat a écrit à monseigneur Billé pour lui dire.

— Un avocat a écrit que certains faits n’étaient pas prescrits ?

— C’est l’avocat qui me l’a dit, oui.

— Après l’envoi de cette lettre à M. Billé, quelle a été la réponse de la hiérarchie ?

— Monseigneur Billé est mort quelques mois après…

Le procès devrait se terminer vendredi.