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Procès du père Preynat : « A l’époque, c’étaient des câlins et des caresses »

Le procès du prêtre Bernard Preynat poursuivi pour agression sexuelle sur dix scouts, âgés de 7 à 15 ans entre 1986 et 1989, a débuté au tribunal de grande instance de Lyon. Il encourt jusqu’à dix ans de prison.

par Marine Babonneaule 14 janvier 2020

Il y a dix parties civiles. Derrière, sur les bancs du public, les « victimes prescrites », déjà présentes lors du procès du cardinal Barbarin, écoutent. Bernard Preynat a 75 ans aujourd’hui, un pantalon trop court et une veste trop grande. Il a reconnu tous les faits, à quelques détails près, mais il est vrai qu’après trente ans et autant de victimes – dix sont parties civiles –, la mémoire peut parfois flancher. Bernard Preynat est ordonné prêtre en 1971, à 26 ans, et ne sera renvoyé de l’état clérical qu’en 2019, à la suite du dépôt de plainte de l’une des victimes datant de 2015. En réalité, l’ancien vicaire opérait au moins depuis 1972 sans que quiconque ait jamais porté plainte.

Tout s’arrête en 1991 lorsque les rumeurs deviennent trop écrasantes. « L’heure des réseaux sociaux vous a rattrapé », a résumé hier la présidente du tribunal correctionnel de Lyon. L’estimation du nombre de petits garçons que le prêtre Preynat aurait touchés, caressés et embrassés donne le vertige. Entre 1970 et 1990, il pouvait attirer un enfant « presque tous les week-ends » et, dans un samedi, il pouvait y avoir un à deux garçons agressés. Les choisissait-il parce qu’ils étaient « beaux » et « timides » ? Non, pas spécialement, rétorque le vieil homme. Parce que c’était plus facile ? « Un enfant est sans défense, ses parents me le confiaient, ils me faisaient confiance, c’est vrai ».

Le mode opératoire n’a guère varié en trente ans. Bernard Preynat, « charismatique » et « adulé » ecclésiastique de la paroisse lyonnaise de Sainte-Foy-lès-Lyon, attirait les jeunes scouts dont il avait la charge dans son bureau, situé en l’église, sous une tente ou dans le car lorsqu’ils étaient de sortie. Des « endroits isolés ». La même scène, effrayante, se répète. Le curé n’agit jamais avec violence, il n’a pas besoin de cela, les enfants le respectent. Il leur caresse les cuisses, les fesses, le visage, embrasse les yeux, les joues, la bouche – il conteste cela, les baisers sur les lèvres n’étant pas « habituels » chez lui, il préfère « faire des “câlins” sur les paupières ». À certains, il caresse le sexe et se fait caresser. À l’un, il prend la précaution de lui retirer son béret et ses lunettes « pour lui faire des bisous ». Il les prend tous fortement dans ses bras, et certains ont le souvenir de s’être presque « étouffés » contre son ventre. « Je me souviens des fibres de sa chemise », de « son ventre », « de son odeur de transpiration », de « ses râles ». Ils ont 8 ans, 9 ans, 10 ans, guère plus. Et puis, toujours doucement, il les assure de son affection et leur fait promettre de garder « le secret ». Des rencontres forcées, selon les parties civiles, il a pu y en avoir deux, dix, jusqu’à cinquante, selon l’une des parties civiles. L’un a raconté à ses parents qui l’ont cru et ont dénoncé les faits au diocèse. Les autres n’ont pas eu cette chance.

« Il était très admiré par une communauté importante, avec des personnalités lyonnaises importantes aussi. Un enfant cherche à ce que l’on s’intéresse à lui. Effectivement, je voyais cet homme reconnu, adulé, qui affichait cette puissance, je regardais cette communauté, et moi, j’étais le protégé de cet homme, je pensais être à la bonne place. Je pensais être le seul », raconte l’une des parties civiles. Concernant Antoine, par exemple, Bernard Preynat confirme qu’il l’a « beaucoup caressé » mais « je ne lui ai jamais mis la main dans le slip. Je lui faisais des câlins et des bisous ». Comment en est-il aussi sûr ? « Parce que je m’en souviens bien, de lui. Sa maman était venue me voir, je lui ai dit qu’il ne s’était rien passé de grave, et je n’ai pas menti ». D’ailleurs, il était à l’écoute des enfants – certains, devenus adultes, lui ont demandé de les marier –, il n’avait pas l’impression qu’ils étaient « tétanisés » ou « sous emprise », comme veut le faire dire le tribunal, et il se serait arrêté s’il avait senti la moindre « résistance ». Et « à la moindre réticence ? », interroge le tribunal. « Je me serai immédiatement arrêté. »

L’antienne du religieux va vite agacer le parquet et les avocats des parties civiles. « À l’époque, je ne me rendais pas compte de la gravité des faits, je savais que c’était des actes condamnables mais je ne pensais pas aux conséquences de mes actes. C’est après 1991, surtout avec la réaction des parents, très touchés, que j’ai réalisé. Il m’a fallu quand même un certain temps pour saisir toutes les répercussions que cela avait pu avoir sur les familles et les enfants. […] J’ai agi sans violence, il s’agissait de gestes de tendresse dans lesquels je trouvais du plaisir. »

L’avocat de partie civile Jean Boudot l’interroge.

— On a l’impression que tout est reconnu et assumé. Vous reconnaissez avoir commis des faits d’agressions sexuelles sur mon client, par exemple ?

— À l’époque, j’aurais dit non, c’étaient des câlins et des caresses. Mais ce sont effectivement des agressions sexuelles. À l’époque, non, du fait que je n’ai pas touché le sexe et qu’il n’a pas touché le mien.

— Quelles différences faites-vous entre hier et aujourd’hui ? Qu’est-ce qui vous a fait comprendre cela ?

— C’est l’accusation qui m’est faite de la part des victimes, des enfants de 10 ans sans défense.

— Il faut que ça soit les victimes qui vous le disent, vous en avez pas conscience vous-même ? On ne touche pas un enfant, continue la présidente du tribunal.

— Je savais bien que ces gestes étaient interdits. Des caresses interdites que je n’aurais pas dû faire, que je n’ai pas faites en public.

— C’est pas parce que c’est fait en cachette que c’est interdit, M. Preynat. C’est parce que c’est interdit que c’est fait en cachette, cingle l’avocat. Vous avez ressenti quoi, une émotion érotisée ?

— Oui, ça m’apportait du plaisir.

— Un plaisir sexuel, M. Preynat, on va dire les mots maintenant !

— Un plaisir sexuel forcément… je lui caressais les cuisses, pas le front…

— C’était donc bien une démarche à caractère sexuel ?

— Maintenant, je le reconnais.

— C’est pas de maintenant que l’on parle, M. Preynat, c’est d’à l’époque ! C’est encore dur à admettre ?

— Je l’admets tout à fait, il y a une différence entre ce que je ressentais à l’époque des faits et maintenant. […] Je regrette énormément ces agressions, à l’époque c’était de la tendresse, pour moi. Une tendresse mal vécue, mal placée, déviée, je demande pardon.

Hier, toutes les parties civiles entendues ont dit leur mal-être, leur adolescence parfois fracassée, leurs difficultés à s’engager dans une relation, leurs troubles du sommeil et leurs cauchemars, pour certains leurs tentatives de suicide, leur parcours du combattant pour voir admettre les faits qui les ont à vie « déviés de leur existence d’enfant ». Ils ont occulté pendant de nombreuses années, parfois par peur de faire du mal « à un être exceptionnel », parfois parce qu’ils n’ont pas mesuré la gravité des faits. « Je suis assommé, je mesure la responsabilité énorme de mes actes », déclare le curé à la barre, sans émotion. « Ça peut paraître comme des mots mais je suis bouleversé par ce qui a été dit. C’est pas des mots, c’est quelque chose que je ressens profondément ». Il dit qu’il mène un « long combat » depuis 1991, depuis la promesse faite au cardinal Decourtray, pour « ne jamais recommencer ». Aucune plainte n’a été déposée depuis cette date. Il reste néanmoins à comprendre pourquoi la hiérarchie ecclésiastique l’a laissé au contact d’enfants avant et après 1991.

Le procès se poursuit jusqu’à vendredi.