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Procès du « repenti » corse Claude Chossat : « C’était le premier à parler »

Magistrats et policiers se sont exprimés sur la valeur des informations transmises par Claude Chossat, accusé de l’assassinat de Richard Casanova perpétré à Porto-Vecchio le 23 avril 2008.

par Julien Mucchiellile 5 novembre 2019

Il se mit à rire, mais pas vraiment de bon cœur, c’était un rire bref et acerbe, puis il dit : « Monsieur Guillaume Cotelle, magistrat, témoin de moralité de monsieur Chossat. Dont acte », puis Me Pierre Bruno, l’avocat de la famille Casanova, posa une question à l’ancien juge d’instruction de la JIRS :

— Pensez-vous que le statut de repenti puisse être donné à M. Chossat ?

— Très bonne question. Car les conditions du statut de repenti sont extrêmement subtiles et, en l’état, elles s’appliquent difficilement. Je suis tout à fait d’accord.

Claude Chossat, accusé d’avoir assassiné Richard Casanova le 23 avril 2008, n’a pas bénéficié de ce statut. La raison en serait que le décret d’application de la loi Perben II n’est entré en vigueur qu’en 2014, bien après que Chossat a décidé de parler à la justice, mais d’après Guillaume Cotelle, « le problème avec M. Chossat, c’est qu’un repenti doit être entièrement sincère et entièrement fiable. Il n’a pas souhaité aller au bout du processus. L’intéressé est resté au milieu du gué ». Pourtant, le magistrat salue la démarche : « La singularité du cas de M. Chossat tenait qu’un acteur du milieu corse avait accepté de parler, en donnant des détails, des noms, ce qui était assez inhabituel dans le contexte insulaire. » Ce jour-là, mercredi 30 octobre, l’avocat et le magistrat étaient d’accord : « Dans le contexte insulaire, c’est une rareté. Il y a quand même beaucoup d’acteurs dans le monde judiciaire qui reprennent les déclarations de Chossat », abonde Me Édouard Martial, avocat de Claude Chossat. Guillaume Cotelle, témoin de moralité (c’est la formulation juridique), rappelle qu’il a procédé à des recoupements, que nombre d’informations étaient authentiques et qu’elles avaient permis de faire avancer les choses de manière « considérable ».

Claude Choquet, juge à la retraite en poste à la JIRS de Marseille de 2004 à 2012, est en symbiose avec son collègue : « Lorsque M. Chossat a décidé de parler, j’ai vu que c’était un élément extraordinaire, quasiment historique, car c’était le premier à parler. Il nous a permis de faire des pas de géant dans ce domaine où nous étions dans le brouillard. Nous avions connaissance des règlements de compte, mais nous n’avions que la surface et pas ce qu’il se passait en dessous, à cause de l’omerta largement répandue en Corse. Il était le premier. Cela a été une révélation sur la Brise de mer. » Claude Choquet est d’autant plus à l’aise avec ce soutien affiché à Chossat qu’il semble le croire innocent de l’assassinat de Casanova : « Je vois mal Mariani déléguer un acte aussi terrible que de commettre un meurtre. » Le directeur d’enquête, la veille, avait assuré : « Pour moi, le tireur, c’est Francis Mariani ».

En attendant que l’accusé soit interrogé sur les faits par la cour d’assises d’Aix-en-Provence, l’adoubement moral de Claude Chossat en repenti de fait par des magistrats, tous témoins de la défense fussent-ils, fragilise la partie civile, qui s’échine à démontrer, par un questionnement incessant, que les informations transmises par Claude Chossat à la justice n’ont pas eu le caractère décisif prétendu. « Qu’est-ce qu’il a dit de concret pour faire arrêter des criminels, alors que vous dites qu’il y a des choses douteuses qu’il a dites ? Vous ne pouvez pas le dire, donc quel intérêt ? », s’agace Me Emmanuel Marsigny. L’avocat général Pierre Cortès demande à Guillaume Cotelle :

— Dans quelles affaires estimez-vous que M. Chossat a permis de faire des avancées significatives, “considérables”, comme vous le dites, et lesquelles seraient insuffisantes ? Pouvez-vous le dire dans les limites de votre fonction dont nous sommes conscients ?

— C’est une constellation de dossiers dans lesquels ce qu’il disait permettait de faire comprendre beaucoup de choses, a considérablement aidé les enquêteurs dans la compréhension de certains phénomènes.

Le policier François Doubremelle (directeur régional de la police judiciaire d’Ajaccio) ayant mené la garde à vue de Claude Chossat, raconte à la cour, lundi 4 novembre, les conditions du recueil de la parole de Claude Chossat. Il précise tout d’abord : « Claude Chossat a fait le choix de faire des déclarations sur la Brise, en espérant que ce soit pris en compte plus tard. Il n’y a pas eu de marché. » Puis, sur question du président, il énumère quelques dossiers étoffés grâce au concours de Claude Chossat : des avoirs de la Brise de mer en Suisse (information judiciaire toujours en cours), un éclairage important sur une équipe de malfaiteurs qui a permis de les condamner et, bien que ce point soit discuté par la partie civile, ses informations auraient été utiles à la résolution de l’affaire dite du « cercle de jeu Wagram », en ce qu’elles ont apporté un « éclairage ». L’avocat général remarque que les personnes dénoncées par Claude Chossat sont toutes mortes (assassinées, généralement), ce que Claude Chossat réfute. Pierre Cortès : « Peut-on parler d’informations historiques ou d’informations qui ont une importance opérationnelle ? » Me Martial résume bien les limites de ce questionnement : Est-ce que vous parleriez publiquement d’éléments apportés sur des enquêtes en cours ? » La réponse est non. Le policier doit se contenter d’affirmer que les informations apportées furent utiles, sans plus de précision.

Voici enfin Bruno Boudet, le policier, désormais retraité, à qui Claude Chossat s’est confié. Commandant à l’office central de lutte contre la criminalité organisée, il observait silencieusement l’interrogatoire mené par ses collègues, quand Chossat a voulu lui parler pour dégoiser sur sa bande, « sa seule exigence fut d’être incarcéré à Ajaccio pour passer les fêtes en famille ». Boudet soutient l’importance de la démarche de Chossat, il est « pro-Chossat », dit Me Bruno, qui tente de discréditer l’enquête de Bruno Boudet. L’ancien policier est très détendu à la barre (« Moi, je ne suis pas là pour défendre Richard Casanova ou Claude Chossat, je suis là pour vous faire part des éléments qui sont dans le dossier »), souligne maintes fois que « des apartés, des malfaiteurs prêts à raconter, j’en ai eu beaucoup, mais tant que c’est pas écrit ni signé, ça n’a pas de valeur ».

La question de la sincérité du repentir de l’accusé ayant été largement discutée, celle de sa culpabilité dans l’assassinat de Richard Casanova, qui a jusque-là été abordée par touche et de manière éparse, sera au centre des débats jusqu’à jeudi, fin du procès.