Accueil
Le quotidien du droit en ligne
-A+A
Article

Procès du Thalys : l’enquêteur belge, le mystérieux chauffeur et le héros américain

Vendredi 4 décembre, un enquêteur belge entendu en visioconférence par la cour d’assises de Paris a fragilisé la défense du principal accusé, Ayoub El-Khazzani. Et, en creux, celle de Mohamed Bakkali, présenté par l’accusation comme le chauffeur ayant rapatrié en Belgique l’auteur de l’attaque du Thalys et le coordinateur de la campagne d’attentats de 2015, Abdel Hamid Abaaoud.

par Pierre-Antoine Souchardle 7 décembre 2020

L’audience commence comme dans une histoire belge. « Est-ce que vous m’entendez du côté de Bruxelles ? », lance le président Franck Zientara à l’écran. Côté cour, un enquêteur de la cellule antiterroriste de la police fédérale de Bruxelles. Côté public, un écran noir. Le policier a souhaité que son nom et son image ne soient pas diffusés au public. Mais il y a de la friture sur la ligne. Il faudra une bonne dizaine de minutes avant que la voix de l’enquêteur qui a coordonné l’enquête belge ne soit audible.

Elle est teintée de cet accent si caractéristique. Son exposé, précis, en trois parties. Les plus intéressantes concernent le rapatriement vers la Belgique les 5 et 6 août 2015 d’Abdel Hamid Abaaoud et d’Ayoub El-Khazzani. Et la journée du 21, celle de l’attentat manqué dans le train Thalys. Lors de cette audition, il a été beaucoup question de téléphonie. Sujet rébarbatif mais ô combien crucial pour l’accusation.

Tout commence par un numéro belge se terminant en 187, actif entre le 4 et le 6 août. Le 5, à 15h18, ce numéro se connecte en Autriche à l’un des comptes Facebook d’Abaaoud. En retraçant après-coup l’activité de cette ligne, les enquêteurs s’aperçoivent que l’utilisateur de cette ligne a effectué deux allers-retours au départ de Bruxelles. L’un jusqu’en Hongrie, à Budapest, pour récupérer Abaaoud, l’autre en Allemagne où il revient avec El-Khazzani.

Le but de la téléphonie, souligne l’enquêteur belge, « est d’identifier le chauffeur ». En recoupant plusieurs dossiers, les Belges remontent à Mohamed Bakkali. Celui-ci a de nombreux contacts téléphoniques – 845 de juin à août, soit un appel toutes les deux-trois heures – avec un homme placé sur écoutes dans une affaire de trafic d’armes, Khalid El Bakraoui.

Il est considéré comme l’un des logisticiens des attentats de novembre 2015. Il est mort le 22 mars 2016 dans un attentat suicide dans le métro de Bruxelles. « Les éléments du dossier montrent qu’il est à Bruxelles au moment où le chauffeur est sur la route », affirme l’enquêteur. Parmi ces éléments, l’achat d’une friteuse !

Lors de ces deux allers-retours, les deux hommes n’ont aucune communication. Le 7 août, lors du second voyage, l’ex-compagne de Mohamed Bakkali, qui ne parvient pas à le joindre, adresse un SMS à 01h55 à Khalid El Bakraoui. Lors de ses premières auditions en 2017, Mohamed Bakkali avait dit qu’il gardait sa fille cette nuit-là, qu’il ne pouvait donc être le chauffeur.

En substance, l’enquêteur constate que ce SMS de l’ex-compagne est un peu contradictoire avec cette version. Par ailleurs, lors de ce même voyage, la ligne chauffeur a borné à Verviers, non loin du domicile des parents de Mohamed Bakkali. Autant d’indices mais pas forcément de certitudes. Car Ayoub El-Khazzani n’a jamais désigné Mohamed Bakkali comme le chauffeur.

L’enquêteur belge se montre circonspect avec les déclarations d’El-Khazzani. Ce dernier n’a pas pu, ou n’a pas voulu, donner l’adresse de l’appartement où il se trouvait avant l’attentat. « Toutes les recherches se sont révélées négatives. M. El-Khazzani connaît relativement bien la géographie bruxelloise. Je m’interroge sur sa volonté réelle à identifier » sa planque.

Les policiers belges ont reconstitué son parcours le 21 août. D’abord par une ligne téléphonique activée à 12h49 et qui n’a plus d’activité jusqu’à 17h02, gare du Midi. Puis grâce à un ticket de métro retrouvé dans ses affaires. Lors de ses premières dépositions, il avait affirmé avoir été déposé à proximité de la gare du Midi.

Puis par les caméras de vidéosurveillance, les enquêteurs le trouvent à 14h52 au métro Osseghem. Il valide son ticket à 14h53, prend la ligne pour la gare du Midi, à cinq stations plus loin. Il descend du wagon à la suivante pour monter dans un autre et sort à la station Clemenceau. « Nous n’avons plus d’images de M. El-Khazzani pendant huit minutes et trente et une secondes entre sa sortie de la station Clemenceau et son arrivée à la gare du Midi », indique l’enquêteur.

À 15h14, il entre dans la gare, se dirige vers les guichets du Thalys. « Il a demandé un ticket de première classe pour 17h13. » Une fois l’achat effectué, « il se dirige, sans chercher son chemin » vers l’avenue de Stalingrad et s’installe à la terrasse d’un café où il restera trente-cinq minutes et quatorze secondes. Durant ce laps de temps, il va recevoir « une visite opérationnelle ».

Pour la cour, l’enquêteur passe au ralenti une vidéo des caméras de l’établissement. « Une personne s’approche de sa table, se penche vers lui, semble déposer quelque chose. Elle fait demi-tour, se retourne deux fois. La seconde fois, la personne portera sa main droite à sa joue droite. » Mime-t-elle un téléphone ? Mystère.

Quoi qu’il en soit, lorsque El-Khazzani quitte les lieux, « il tient quelque chose sa main gauche. Il sort du champ de vision de la caméra. Quand il réapparaît vingt secondes plus tard, il n’a plus l’objet dans sa main gauche », poursuit l’enquêteur. Hors champ, précise-t-il, il y a une poubelle. L’objet en question ne sera jamais retrouvé. Il retourne gare du Midi. À 16h26, il est sur l’escalator le menant au quai du Thalys, où il arrive à 16h30. Il disparaît du champ des caméras mais ne quitte pas le quai, selon l’enquêteur.

À 17h09 entre en gare la seconde motrice du Thalys. À 17h11, El-Khazzani revient dans le champ des caméras, se dirige vers la voiture 12. Le train quitte la gare du Midi à 17h16 avec trois minutes de retard.

La veille, la cour d’assises a entendu Spencer Stone, l’ex-militaire qui s’est rué sur Ayoub El-Khazzani dans la voiture 12. Une audition en visioconférence depuis la Californie. M. Stone, qui devait témoigner il y a deux semaines devant la cour d’assises, avait été hospitalisé à son arrivée à Paris.

« Je m’appelle Spencer Stone, et j’étais secouriste dans l’armée de l’air américaine », décline le colosse blond, cheveux courts et visage poupin, vêtu d’une chemise blanche. Témoin très attendu, son récit a perdu de sa force dramatique sous l’effet conjugué de la visioconférence et de la traduction. Si traduire c’est trahir, ce jour-là en fut un exemple.

Avec ses deux amis, Antony Sadler et Aleksander Skarlatos, ils sont en vacances à Amsterdam et décident de se rendre à Paris. Ce 21 août, lorsque le train entre en gare de Bruxelles, Spencer Stone dort siège 45. À ses côtés, Aleksander, siège 46 et Antony, siège 44.

« J’ai été réveillé par un contrôleur qui passait en courant dans l’allée. » Il ôte ses écouteurs. « J’ai entendu des bris de glace, des gens qui criaient. Je me suis retourné, et la première chose que j’ai vue, c’est Ayoub qui ramassait une kalachnikov au sol. »

Quelques instants plus tôt, Ayoub El-Khazzani a tiré au pistolet sur Mark Moogalian, un professeur d’université franco-américain qui s’est emparé du fusil d’assaut après qu’un autre passager, Damien A…, a commencé à se battre avec lui. « Je l’ai regardé une seconde, j’ai vu qu’il n’avait pas commencé à tirer, et j’ai compris que c’était le moment de faire quelque chose. »

Il se lève et court, tête baissée, pour plaquer l’assaillant. « Je crois que je l’ai entendu appuyer sur la gâchette plusieurs fois, comme s’il essayait de faire marcher l’arme. J’ai été surpris d’avoir le temps d’arriver jusqu’à lui. » Lors de ce procès, Ayoub El-Khazzani a affirmé qu’il n’avait pas tiré. Pourtant, deux cartouches percutées, mais qui n’ont pas fait feu, ont été retrouvées.

Trois des quatre accusés parlent mal le français. Au premier jour du procès, ils avaient des casques pour entendre la traduction simultanée des trois interprètes en langue arabe. Là, pas de traduction et difficile de savoir s’ils comprennent tout ce qui se dit. Spencer Stone est formel, Ayoub El-Khazzani « a essayé de me tirer dessus ». L’accusé ne réagit pas.

Un corps à corps s’engage entre les deux hommes, Spencer Stone tente une clef d’étranglement. « Ayoub El-Khazzani a attrapé un pistolet, il l’a mis sur ma tête. Je crois l’entendre appuyer sur la gâchette. C’est la deuxième fois qu’il essaie de me tuer. » Aleksander Skarlatos le désarme mais il sort un cutter et coupe presque en deux le pouce de Spencer Stone. Il le désarme une seconde fois et lui braque le pistolet sur la tête. Antony Sadler lui crie alors de ne pas tirer car il risquerait de toucher Spencer Stone. « Tire quand même », crie celui-ci. « Je lui ai demandé de tirer car nous étions dans une situation de danger. Je savais que je pourrais être un dommage collatéral », dit-il à la cour.

Une fois Ayoub El-Khazani maîtrisé, Spencer Stone, couvert de sang, se dirige vers Mark Moogalian qui se vide du sien et place deux doigts dans la blessure pour stopper l’hémorragie. « On est resté comme ça une demi-heure, on lui parlait avec sa femme pour faire en sortie qu’il reste éveillé. »

Au président qui lui demande ce qu’il attend de ce procès, Spencer Stone souhaite que l’accusé soit condamné à la peine maximale. « Il est clair qu’il voulait tuer tout le monde dans le train. »

 

Sur le procès de l’attentat du Thalys, Dalloz actualité a également publié :

Attentat du Thalys : examen de personnalité des quatre accusés, par Pierre-Antoine Souchard le 18 novembre 2020
« C’était le 21 août 2015 », le face-à-face des passagers avec l’assaillant du Thalys, par Pierre-Antoine Souchard le 24 novembre 2020
Procès du Thalys : « Comme Abaaoud m’a dit… », par Pierre-Antoine Souchard le 26 novembre 2020