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Procès en appel : la syndicaliste d’Areva a-t-elle mis en scène sa terrible agression ?

Maureen Kearney, 63 ans, a été condamnée le 6 juillet 2017 à cinq mois de sursis et 5 000 € d’amende pour dénonciation d’un crime ayant exposé les autorités judiciaires à d’inutiles recherches. Ancienne syndicaliste d’Areva, elle affirme encore aujourd’hui avoir été séquestrée et violée, à son domicile, du fait de ses activités syndicales. Des faits montés de toute pièce, selon l’accusation, pour servir son combat syndical.

par Julien Mucchiellile 20 septembre 2018

La syndicaliste d’Areva est revenue à Versailles, et ses camarades sont dans la salle, quand elle se lève à 19h, et ouvre son deuxième procès d’une voix mâtinée d’accent britannique : « Je conteste absolument tout, je suis innocente des accusations », de dénonciation de crime imaginaire. Pour ces faits, le tribunal de Versailles l’a condamnée, le 6 juillet 2017, à 5 mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende (v. Dalloz actualité, 16 mai 2017, art. J. Mucchielli isset(node/184887) ? node/184887 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>184887).

À la cour d’appel, elle maintient que, le 17 décembre 2012, qu’elle a été victime des faits suivants.

Il est 7 heures du matin, Maureen Kearney se brosse les dents en écoutant les informations crier depuis la télévision du salon. « J’ai senti quelque chose dans mon dos, que j’ai cru être une arme. J’ai cru que mon cœur allait traverser ma poitrine, j’étais pétrifiée. » Elle est agressée, un bonnet sur la tête lui ôte l’image. « Il m’a assise sur les toilettes. » Elle a un blanc, mais logiquement, il la mène dans le salon. « Vous étiez habillée, Madame ? » demande le juge. « Oui. Il me déshabille, je me rappelle du couteau sur le ventre, il me grattait. Et là, c’est comme si j’étais plus là. J’ai eu l’impression que mes intestins étaient sur mes genoux, et qu’il ne fallait pas que je bouge pour ne pas que ça tombe. »

La suite : « J’ai un vague souvenir - Quel est votre vague souvenir ? Essayez de nous dire quelque chose - Il essayait de me pousser quelque chose dans le vagin, et après c’est rentré - Vous vous rappelez de quelque chose ? D’une douleur ? - Rien. Et puis j’ai l’impression qu’il était parti. J’ai l’impression que j’étais endormie - anesthésiée, pétrifiée - Bon, et puis ensuite qu’est-ce qu’il se passe. Vous avez essayé de retirer les liens, mais vous n’avez pas réussi à vous libérer ? - Je sais pas, je sais pas, vous savez ça fait cinq ans, neuf mois et deux jours. Je vais mieux, mais y’a pas un jour qui se passe … ». La femme de ménage, à son arrivée, la détache en coupant les liens, retire le couteau, enfoncé par le manche dans son vagin. Elle veut appeler la police. « Non, pas question ! Il y aura des représailles. Appelez mon mari. » Ce dernier lui dit d’appeler la police, qui arrive à 13h30.

« Arrête de t’occuper de ce qui ne te regarde pas »

Les jours qui suivent, elle se sent « hystérique ». Elle se barricade chez elle et ne sort plus. Elle porte plainte pour viol, séquestration et acte de barbarie, et indique aux enquêteurs qu’il ne serait pas absurde de chercher du côté de son employeur, Areva, car c’est une syndicaliste (CFDT) opiniâtre, en conflit avec la direction du groupe nucléaire. Dans ce combat, son intérêt se focalise sur un contrat bilatéral entre EDF et CGNPC (un opérateur chinois), en passe d’être conclu. Le conseiller rapporteur, tatillon mais bienveillant : « Si ça ne concerne pas Areva, en quoi ça vous concernait ? - Parce qu’il vendait le savoir-faire d’Areva aux Chinois. » Le transfert de technologie prévu induit des suppressions d’emploi, Maureen Kearney se bat contre cela, s’est confrontée au PDG Luc Oursel, a été menacée par téléphone. L’agresseur lui a scarifié un « A » sur le ventre, et lui a glissé à l’oreille : « Il n’y aura pas de troisième avertissement. Arrête de t’occuper de ce qui ne te regarde pas. »

Elle a beau leur assurer qu’elle a déjà reçu des menaces, les enquêteurs ont des doutes : tous les outils utilisés pour son agression ont été trouvés sur place, ce qui cadre peu avec un professionnel déterminé. La défense rétorque : « Il n’y a aucune preuve qu’il est venu avec rien, tous les objets utilisés étaient visibles. » L’examen médical explique qu’il faudrait introduire le couteau d’une certaine façon, avec les deux mains, pour que cela soit possible - Or, Maureen Kearney, dans sa description, ne dit pas cela. Me Hervé Temime (car c’est lui), se lève : « Mais ça ne vaut rien, ce n’est même pas une expertise ! » Le médecin évoque un récit clinique, un détachement, un calme inadapté. Surprenant que le couteau n’ait pas été expulsé du vagin, et puisse rester in situ pendant environ cinq heures. Le conseiller de la cour répète : « Il est indiqué que le couteau aurait dû être expulsé - Sauf état de sidération », intervient Me Balthazar Lévy, le collaborateur de Me Temime. Le conseiller : « C’est exact - Et j’étais en état de sidération », intervient la prévenue.

C’est à l’audience que ces choses sont dites, mais à l’époque, Maureen Kearney n’est pas défendue avec beaucoup de vigueur, et après que les enquêteurs eurent déballé les éléments qui les troublent, qui leur font penser que cette agression est imaginaire, ils conseillent à sa cliente de rédiger les aveux qu’on lui demande - c’est ce qu’elle affirme à la barre. Fin janvier 2013, le procureur de Versailles vient l’interroger en personne : « Me confirmez-vous que cette agression est imaginaire ? - Oui, j’ai imaginé et j’ai dû déprimer. J’étais déstabilisée, angoissée, j’avais peur aussi. » Elle est interpellée.

Ce soir, à la cour, elle livre son état d’alors : « Dans la semaine qui a suivi la garde à vue, j’ai retiré mes aveux. J’étais dans un tel état psychologique que rien ne faisait sens. » Et entre temps, le 5 février, elle reçoit l’avis de classement sans suite de sa plainte pour viol, qui indique que les faits (viol, violence, actes de séquestration et de barbarie), « ne sont pas punis par la loi », dit Maureen Kearney en pleurant. Le juge rebondit : « Pourquoi vous n’avez pas fait un recours ? Une plainte avec constitution de partie civile ? Pourquoi je dis ça, parce que dans le dossier, vous êtes décrite comme battante. »

Effraction traumatique

À l’époque, elle était en arrêt maladie à cause d’une blessure survenue le 6 novembre 2012. Elle était sous pression psychologique en raison de son action syndicale, « mais j’avais le soutien de mes camarades » (le public bombe le torse). Elle prenait un léger anti dépresseur. Par le passé, elle a eu des troubles psychologiques. C’est une période liée à l’agression sexuelle de son fils, et qui l’a plongée un désarroi et dans l’alcool. C’était il y a 25 ans. Et Maureen Kearney a été violée en 1976. « L’agression de son fils va faire écho chez elle et réveiller des symptômes psychiques. »

Celui qui parle ainsi est le Dr Chaput. Il s’avance à la barre avec des mots très savants, pour décrire le traumatisme vécu par Maureen Kearney : le choc de la cagoule, l’arme dans le dos : effraction traumatique. Le Dr Chaput n’a pas fait d’expertise dans ce dossier, mais il suit la prévenue depuis quelque temps déjà. Il a plus de 40 ans de travail sur les traumatismes dans les forces spéciales de l’armée. « Déréalisation, décorporation, le corps lui devient étranger », dit-il en décrivant l’état anormal de Maureen Kearney durant les faits discutés. Pas d’élément délirant, pas de pathologie dysfonctionnelle, mais un syndrome traumatique.

« Madame Kearney était la victime idéale »

La très silencieuse avocate générale prend ses réquisitions : « On a parlé d’affaire d’État, d’enquête sabordée pour une raison d’État, c’était le combat du pot de terre contre le pot de fer, Madame Kearney était la victime idéale. Les premiers juges ont tranché en faveur de la culpabilité. Ils l’ont fait sur un dossier solide. Les constatations matérielles, malgré des recherches extrêmement complètes, n’ont pas objectivé la présence d’un tiers. »

Elle reprend tous les détails de la scène : les liens aux poignets de Maureen Kearney étaient entortillés d’une improbable façon. Le couteau n’a pas pu être enfoncé d’une seule main, comme elle l’affirmait. Le bonnet, on y voyait facilement à travers les mailles. Aucune trace n’a été relevée, même sur la face collante de l’adhésif. Le chien de Maureen et de son mari n’est pas intervenu – le vieux golden retriever de Maureen était aveugle et sourd, un peu bêta, et n’a jamais aboyé de sa vie, tout le monde le sait dans la salle, ça les fait rire. Mais le ministère public ne plaisante pas avec la justice : « On a été jusqu’à mobiliser le GIGN pour la protection de Madame Kearney, une débauche de moyens employés pour rien, au détriment d’autres affaires. » Elle demande la confirmation de la peine.

Me Temime rappelle : « Je ne fais pas partie des avocats qui passent leur temps à cracher sur la justice française », mais là, ce n’est pas possible. Les gendarmes se sont trompés, et le tribunal a confirmé toutes les erreurs. L’avocat répète les arguments avancés durant l’audience. Il insiste sur les vingt-quatre scellés envoyés à l’institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale, qui ne sont jamais revenus aux mains des enquêteurs. L’accusation ne peut donc affirmer qu’il n’existait aucune trace, ADN ou papillaire, sur la scène. Le bonnet, les liens, tout cela n’est qu’une appréciation subjective - et la prévenue, blessée à l’épaule, n’aurait jamais pu serrer les liens elle-même. Il demande la relaxe.

Décision le 7 novembre.