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Procès Fillon : « Que serait un grand procès pénal sans QPC ? »

Le procès de François Fillon, sa femme, Penelope Fillon, et son ancien suppléant parlementaire Marc Joulaud, qui comparaissent, à des degrés divers, pour détournement de fonds publics par personne chargée d’une mission de service public, complicité et recel de ce même délit, complicité et recel d’abus de bien sociaux et déclaration mensongère à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), a débuté avec l’examen de deux QPC.

par Marine Babonneaule 26 février 2020

S’attaquer à une « jurisprudence constante de la Cour de cassation ». Pierre Cornut-Gentille, avocat de Penelope Fillon, a demandé, mercredi 26 février, si la jurisprudence de la chambre criminelle – « remontant aux années trente » – en matière de point de départ de la prescription d’infraction dissimulée, au jour où l’infraction est apparue et a pu être constatée, pouvait encore raisonnablement s’appliquer au cas de sa cliente, poursuivie notamment pour complicité de détournement de fonds publics.

Selon l’avocat, le parquet national financier a fixé la révélation des faits au jour de la publication d’un article du Canard enchaîné du 25 janvier 2017, date de la révélation de l’affaire. Or, conteste la défense de Penelope Fillon, la quasi-imprescriptibilité de fait de cette jurisprudence constante doit désormais être confrontée à la décision du Conseil constitutionnel du 24 mai 2019, selon laquelle, « en matière pénale, il appartient aux législateurs, afin de tenir compte des conséquences attachées à l’écoulement du temps, de fixer les règles relatives à la prescription de l’action publique qui ne soient pas manifestement inadaptées à la nature ou à la gravité des infractions ». D’ailleurs, la loi du 28 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale n’a-t-elle pas a fixé comme « par anticipation » au Conseil constitutionnel des délais butoirs pour éviter cet écueil ? « Cette jurisprudence est-elle conforme au nouveau principe constitutionnel du 24 mai », interroge Me Cornut-Gentille.

Pour le parquet, l’interprétation par la défense de la décision constitutionnelle est fausse. Le procureur Aurélien Létocart ironise : « Que serait un grand pénal sans QPC », tacle-t-il à l’adresse de François Fillon qui n’aurait pas été, au temps de la création de la QPC, « son plus ardent défenseur ». Si c’est bien le gouvernement de Nicolas Sarkozy, dont François Fillon était le premier ministre, qui a institué la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité, il en aurait dit que c’était « une violation de la Constitution ».

Revenons à la QPC. Dans l’affaire de mai 2019 – il s’agissait d’examiner l’article 7 du code de procédure pénale – le Conseil constitutionnel, tout en consacrant un principe, avait rejeté la QPC. Certes, la règle de prescription doit s’adapter à la matérialité de l’infraction, mais, dans l’affaire examinée en 2019, la personne poursuivie (pour séquestration, un crime) ne se trouvait nullement dans l’impossibilité de démontrer que l’infraction avait pris fin, dès lors que le juge pénal apprécie souverainement les éléments qui lui sont soumis afin de déterminer la date à laquelle l’infraction a cessé. Le parquet national financier applique le même raisonnement pour le cas de Penelope Fillon. Dans le cas de l’article 8 du code de procédure pénale, l’interprétation qu’en a faite la jurisprudence relativement au report du point de départ de la prescription « n’altère aucunement la capacité de la défense à établir la date à laquelle l’infraction a, selon elle, pris fin ». Pour Pierre Cornut-Gentille, il n’est pas possible de comparer les points de départ du délai de prescription d’une infraction criminelle de nature continue et d’une infraction délictuelle de nature instantanée. C’est tout le sens du principe dégagé par le Conseil constitutionnel. Sans surprise, le parquet demande de ne pas renvoyer la QPC.

« Sous l’Ancien Régime, le détournement de fonds publics était puni de la peine de mort par pendaison »

Une seconde QPC, celle de François Fillon plaidée par son avocat Antonin Lévy, porte sur l’interprétation de l’article 432-15 du code pénal : un parlementaire peut-il être visé par l’infraction de détournement de fonds publics ? Le Conseil constitutionnel ne s’est effectivement jamais prononcé sur la conformité de cet article du code pénal. Pour Me Lévy, l’absence de référence explicite aux députés et aux sénateurs à l’article 432-15 (il n’est question, pour rappel, que des personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public), n’est pas « un oubli » ou « une légèreté », estime l’avocat. C’est la volonté du législateur. L’avocat cite travaux préparatoires, débats parlementaires, doctrine. À l’inverse, quand le législateur veut expressément viser députés et sénateurs – « les personnes investies d’un mandat électif », il le fait. Antonin Lévy a contre lui la jurisprudence constante – à nouveau – de la Cour de cassation qui a, à de nombreuses reprises, jugé qu’un parlementaire, « qui accomplit, directement ou indirectement, des actes ayant pour but de satisfaire à l’intérêt général, est une personne chargée d’une mission de service public au sens de l’article 432-15 du code pénal ». Mais, insiste l’avocat, la personne investie d’un mandat électif restant « exclue de la lettre du texte », la Cour de cassation a violé le principe de l’interprétation stricte de la loi pénale. Il faut donc transmettre. « Sous l’Ancien Régime, le détournement de fonds publics était puni de la peine de mort par pendaison. On peut donc considérer que le critère de gravité est rempli », a ironisé – encore – le procureur Aurélien Létocart. La salle a souri, les prévenus, moins.

La 32e chambre correctionnelle se prononce aujourd’hui. Si les QPC ne sont pas transmises à la Cour de cassation, les débats s’ouvriront.

François Fillon encourt jusqu’à dix ans de prison et 150 000 € d’amende.

 

 

Sur le procès des époux Fillon, Dalloz actualité a également publié :

• Procès Fillon : le procès débute mercredi avec l’examen de deux QPC, par M. Babonneau, le 24 février 2020