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Procès Lelandais : « À ce moment-là, j’aurais aimé qu’il y ait un manuel d’émotion »

Nordahl Lelandais a tué le caporal Arthur Noyer, dans la nuit du 11 au 12 avril 2017. Tout au long de la semaine, la cour d’assises de la Savoie et les témoins successifs ont poussé l’accusé à livrer un autre récit que celui qu’il présente comme la vérité.

par Julien Mucchiellile 10 mai 2021

Il y a d’abord eu Mme Lelandais mère, lundi après-midi : « Je te demande, Nordahl, de dire la vérité. — Bien sûr, maman, je vais le faire », et à ce moment, dans la salle d’audience de la cour d’assises de Chambéry, l’assistance a espéré. Un dialogue s’instaure, s’enlise, le président interrompt, l’espoir s’envole. Mercredi, le témoignage de son amie Alexandra l’ébranle visiblement : « Tu leur dois la vérité Nordahl. T’as été un super mec. Continue à l’être, et assume. — La vérité, oui, je la donnerai. Mais là, je sais même pas quoi dire », l’espoir de voir jaillir une vérité renaît. Alexandra, qu’il a vue le 13 avril en soirée avec d’autres amis, reprend : « Dis-leur ce qui s’est passé. Tu le sais, au fond de toi. Dis-leur. Tu le leur dois. On t’a vu quelques heures après, t’étais beau, t’étais festif, tu peux pas dire que c’était un accident. C’est pas possible, Nordahl. — Tu sais, à ce moment-là, c’était très compliqué. Je me suis mis une très grosse carapace. » Et le président a repris la main. Dans la foulée, Nazim B… a bouleversé toute la salle, jusqu’à faire pleurer Me Alain Jakubowicz, l’avocat de l’accusé, après avoir déballé l’immensité de son désarroi face à cette amitié trahie, s’est tourné vers lui, et d’une voix ferme lui a intimé : « Soulage-toi de la vérité, soulage ton âme. Le mal est fait, vis ce qu’il te reste à vivre plus léger, dans tous les cas, rien ne pourra être changé. Accident, préméditation, c’est toi qui sais. Arrête ce cinéma. » Et Nordahl Lelandais, dépité, a répondu : « La vérité, j’essaie de la dire depuis le début, et tout le monde me dit “non, ce n’est pas ça”. »

Le lendemain, l’accusé avait recouvré son sang-froid face à cet ancien codétenu à qui il aurait avoué en promenade avoir tué Arthur Noyer après que celui-ci eut refusé de lui prodiguer une fellation. Un témoin versatile, qui aurait été opportunément placé dans la cellule voisine de celle de Lelandais, pour le faire parler – un talent dont est pourvu le codétenu, indicateur de la police, devant qui Lelandais est resté stoïque, après que l’avocate générale a écarté ce témoignage de son escarcelle (« ce n’est pas un témoignage sur lequel l’accusation se fondera »).

Alors, ce vendredi, c’était la dernière chance. Me Jakubowicz avait dit : « Il s’exprimera au moment voulu », et la famille d’Arthur Noyer a livré, jeudi soir, une série de témoignages douloureux, emplissant l’espace de leur peine infinie. Le président a ouvert l’audience : « l’aveu n’est qu’une preuve parmi d’autres, ça ne veut pas dire qu’il est indifférent mais, aujourd’hui, mon but ce n’est pas de vous faire avouer, c’est d’essayer de faire en sorte qu’on comprenne si tout cela est cohérent et s’il y a des éléments d’incohérence », a-t-il prévenu.

« C’est de la lâcheté, je le reconnais »

Le président refait le « chemin vers la vérité ». D’abord, les mois de silence, pendant lesquels il continue à vivre, alors qu’Arthur Noyer se décompose dans un ravin. « Vous êtes-vous présenté à la gendarmerie pour dire “j’ai malencontreusement tué quelqu’un” ? — Non, Monsieur le Président. — Pourquoi ? — Je n’ai pas eu le courage. C’est très compliqué d’en venir à dire : oui, j’ai tué un homme. » Après son arrestation dans l’affaire Maëlys et sa mise en cause dans la présente affaire, il nie intégralement les faits. « C’était très dur, on me parlait d’assassinat, moi je sais ce que c’est un assassinat, c’est une préméditation. Je n’ai jamais cherché à tuer. Tous les jours, on parlait de moi dans la presse, des choses fausses et déformées, c’était pas possible de parler. » Puis, son discours évolue. Le président résume : « Vous l’avez pris en stop, il était énervé, vous l’avez déposé, il est parti. Est-ce que ça, c’était la vérité ? — Non, ce n’était pas la vérité. J’essayais de venir à la vérité, je ne savais pas comment faire. » Ce n’est qu’au neuvième interrogatoire qu’il donne la version sur laquelle il campe désormais : « Quand je l’ai déposé, il était très énervé, j’essayais de le calmer par la parole, de là, il m’a mis un coup de poing, on s’est battus, c’était très violent, il est tombé, sur le moment j’étais très énervé, avec la panique je ne savais pas quoi faire, je l’ai amené à l’endroit où vous avez retrouvé les ossements. » Le président : « Pourquoi n’avoir pas tout dit tout de suite ? — Parce que c’est compliqué de parler de quelque chose d’aussi grave. C’est de la lâcheté, je le reconnais, un manque de courage, bien sûr. » Cette version est également mise en doute, pour plusieurs raisons.

L’inconstance du mis en cause : le discours de Nordahl Lelandais semble s’adapter à la situation, tendant à atténuer sa responsabilité tout en restant cohérent avec le dossier. Ensuite, l’affaire Maëlys. La mort non voulue consécutive à une bagarre, cela fait écho à sa défense dans le dossier de la mort de la petite fille. Bien que cette affaire fasse l’objet d’une instruction distincte, elle éclaire forcément les débats actuels, et s’invite dans les questions. Le président :

— Dans le dossier Maëlys, quelles explications avez-vous données au départ ? Quelles explications avez-vous données quand vous avez reconnu être impliqué dans la mort de cette enfant ?

— D’avoir donné des coups.

— Et ne pas avoir voulu la mort de l’enfant ?

—Bien sûr.

— Donc c’est un peu la même explication que pour Arthur Noyer ?

— Oui, bien sûr, je n’ai jamais voulu lui donner la mort.

Enfin, il y a l’attitude et le discours prêté à Arthur Noyer. « Nous avons entendu à cette audience les amis d’Arthur Noyer, qui nous ont dit que le but d’Arthur, c’était de repartir à la caserne, ce que confirment tous les témoins qui ont croisé la route du caporal. » Ils ont aussi souligné qu’il avait l’alcool joyeux, et qu’il ne se serait pas battu pour un téléphone portable. Or Lelandais soutient qu’Arthur Noyer lui a demandé de le déposer sur un parking à Saint-Baldoph, qui est très loin de la caserne du caporal. Un assesseur interroge l’accusé :

— Pourquoi l’altercation débute ?

— Il sort de la voiture, il oublie son téléphone sur le siège passager, je sors pour lui rendre et il pense que je suis à l’origine du vol de son téléphone.

— Vous avez dit que, sur le trajet, M. Noyer était énervé.

— Oui, il m’a expliqué sa soirée, dit qu’il est venu avec des amis, “j’ai passé une soirée de merde, il y a eu une altercation, et je me suis fait voler mon téléphone. Je serais bien reparti avec une petite poulette.”

— Pourquoi vous reproche-t-il d’être impliqué dans le vol du téléphone portable ?

— Je pense que c’est parce qu’il me voit avec le téléphone, quand je lui rends.

S’en suit, selon l’accusé, une bagarre initiée par le caporal. Lelandais réplique, les coups sont violents, le caporal rend 20 kg à Lelandais, il est trop ivre pour se défendre. Il chute et meurt, Lelandais dit lui faire un massage cardiaque, en vain. Puis, il « panique ».

— À ce moment-là, j’aurais aimé qu’il y ait un manuel d’émotion, mais je ne savais plus quoi faire. C’est compliqué de voir quelqu’un qui vient de tomber face à moi après des coups de poing.

— Mais vous avez quand même la présence d’esprit d’éteindre votre téléphone portable.

— Oui, dans la panique ; quand on panique, on doit faire quoi en fait ? Je l’éteins, parce qu’il vient de se passer quelque chose de très dramatique. Pour pas qu’on sache que je suis là.

— D’accord, on est sur un acte que vous n’avez pas voulu, et vous ne voulez pas que l’on sache que vous êtes là.

Les heures qui suivent, Lelandais, qui a chargé le corps d’Arthur Noyer dans le coffre, erre à la recherche d’un endroit idéal pour se débarrasser du corps. « Maintenez-vous avoir simplement déposé et fait rouler le corps, ou avez-vous l’effort de l’avoir déposé derrière la haie de buis, pour qu’il soit caché ? » L’avocate générale ne croit pas qu’il ait simplement fait rouler le corps en contrebas de la route, car le corps semblait bien dissimulé à sa découverte. L’accusé maintient.

La magistrate s’intéresse aux desseins de Lelandais ce soir-là, que l’on voit errer dans Chambéry. « Mon but, c’était de voir des amis. » « Vous insistez auprès de Camille (l’une de ses amantes, qui l’éconduit ce soir-là, ndlr) pendant une heure vingt, vous commencez alors que vous êtes au repas avec votre ami Nazim, le dernier SMS est envoyé à 23h06, c’est juste avant d’arriver à Chambéry. Que faites-vous à ce moment-là, que cherchez-vous ? » L’accusation pense qu’il est en « chasse ». « Pendant cette période entre mars et août 2017, vous avez des relations hétérosexuelles, homosexuelles, et vous vous intéressez aux enfants », note-t-elle. Le mobile sexuel est avancé.

Alain Jakubowicz a refait toute la soirée, minutée grâce aux relais téléphoniques et aux vidéosurveillances. Puis il s’est tourné vers son client et lui a dit :

— S’il y a un moment, c’est maintenant. Ta version est cohérente, mais la partie civile et la procureure générale ne la croient pas. Si cette version n’est pas la bonne, c’est le moment. Motif sexuel ou non : tout cela est indifférent sur le plan de la qualification pénale. Cette question, c’est mon problème ; la question de la vérité, c’est ton problème. Ce qu’ils viennent chercher, c’est la vérité. Est-ce que tu as autre chose à dire ?

— Ce que j’ai dit, c’est ce qu’il s’est passé, il n’y a rien de sexuel.

— Tu es sûr ?

— Oui.

Souffle dans la salle. Agacement. Suspension.

Les experts psychiatres déposeront ce lundi à la barre.

 

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