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Procès Mélenchon : le droit et « l’immoralité »

Le procès du député Jean-Luc Mélenchon et de cinq de ses proches pour actes d’intimidation envers un magistrat et un dépositaire de l’autorité publique, rébellion et provocation s’est ouvert jeudi au tribunal de grande instance de Bobigny.

par Marine Babonneaule 20 septembre 2019

Jean-Luc Mélenchon est « un tribun », c’est lui qui le répète à la barre. Il cite Mirabeau, Rosbespierre, évoque la Bastille, la République – beaucoup -, la guerre civile, les coups d’Etat , les députés d’antan, la morale, les complots politiques et l’insoumission, évidemment. En fermant les yeux quelques secondes, on se croirait presque dans un livre de Mario Vargas Llosa. C’est très bien mais cela ne concerne que vaguement la raison de ce procès.

Le leader comparaît pour acte d’intimidation envers un magistrat, envers un dépositaire de l’autorité publique, rébellion, rébellion en réunion et provocation directe à la rébellion. Il encourt dix ans de prison. Le 16 octobre 2018, le domicile et les locaux de son parti, la France Insoumise, font l’objet d’une perquisition. Il est d’abord réveillé chez lui à 7 heures du matin. Forcément surpris, il filme le moment et publie la vidéo sur Facebook. Il se rend ensuite dans les locaux de son parti. Jean-Luc Mélenchon s’y oppose vertement. Les images, filmées par l’émission Le Quotidien, vont faire le tour de la France. « Enfoncez-moi cette porte », « La République, c’est moi », « ma personne est sacrée », hurle-t-il au visage d’un gendarme. Un peu plus tard, dans un bazar total, entre insoumis et fonctionnaires de police, on voit le député pousser un magistrat contre une porte. Jean-Luc Mélenchon a tout compris : ce jour-là, un remaniement gouvernemental doit avoir lieu, cette perquisition n’est pas le fruit du hasard. « Vous êtes là pour faire plaisir à quelqu’un ! » jette-t-il à la figure du procureur. La cohue est telle que la perquisition doit être arrêtée. Les vidéos montrent, elles sont limpides.

Hier, le tribunal correctionnel a passé la matinée à regarder ces images.

- Je ne sais pas vraiment quelles questions vous poser, débute le président du tribunal. La matérialité des faits sont établis par les vidéos. Il y a quelque chose qui m’étonne quand même, on voit que lorsque vous montez sans opposition, vers vos locaux, vous ne demandez pas à entrer, vous demandez tout de suite à « enfoncer » la porte. Pourquoi ?

- J’ai été réveillé à 7 heure du matin, j’ai commencé la journée par une cohue de personnes armées chez moi, on m’a siphonné mon ordinateur, pris mon téléphone, des gens sont entrés chez moi, c’est un moment d’extrême violence. Quand je décide d’aller au siège, j’ai déjà des infos, à mesure que j’avance, je mesure l’ampleur de ce qui est fait contre moi, de l’environnement politique. Je suis dans un état de perplexité, c’est de la politique, c’est tout. Je vois des militants plus ou moins sidérés, je ne saurai vous dire qui m’a dit « on ne peut pas entrer » alors que chez moi, tout le monde était entré. Il n’était pas question de laisser ça sans que j’en sois témoin car j’ai une responsabilité morale.

Selon Jean-Luc Mélenchon, on en avait après un fichier contenant les contacts des personnes qui l’avaient soutenu lors des dernières présidentielles. C’est surtout cela qu’il protégeait contre la garde des Sceaux et le ministre de l’Intérieur, « tapis derrière » cette opération. Les policiers auraient dû refuser d’obéir à cette perquisition « immorale ». Il continue. « J’ai tendance à exagérer quand on veut m’assassiner ». Pendant tout le temps de la perquisition, l’ex-candidat jure qu’il « n’a cessé de se comporter en militant politique » mais tout de même, il faut comprendre « l’extraordinaire sentiment d’humiliation » ressenti à ce moment. « Je ne suis pas au-dessus des lois mais de quel droit me parle-ton de cette façon ? Personne n’est venu me dire que je ne pouvais pas rentrer dans mon local. D’ailleurs, personne ne me fait le salut réglementaire. Vous n’êtes plus rien, je n’ai bousculé, violenté personne ». La salle d’audience – occupée par des militants – murmure. S’il crie, c’est qu’il est malentendant, ajoute-t-il. « De quoi suis-je accusé ? Qu’est-ce que j’ai fait ? C’est une affaire de compte de campagne. (…) À aucun moment, je ne me sens coupable de quoi que ce soit. A quel moment ai-je voulu échapper à une quelconque responsabilité ? En politique, tout n’est pas comédie. (…) Je suis président de groupe, je marche devant ». Les fans opinent du chef. Le président recadre les débats. La résistance, c’est le leitmotiv du parti ? « Accuser un Insoumis d’acte de rébellion, c’est une forme de pléonasme ». Les fans rient. « Quand vous poussez le magistrat, vous avez conscience que ce n’est pas un militant de la France Insoumise ? » « Je n’arrive pas à identifier ce que c’est, je ne sais pas ce qu’il est », répond Jean-Luc Mélenchon qui râle parce que « personne n’a à lui donner d’ordre » ou « de leçon de comportement ». Plus tard, il contestera « absolument » avoir poussé « violemment » le magistrat. Peu importe les vidéos. Monsieur Mélenchon assène, « vous apprendrez que les images mentent depuis des millénaires ».

L’avocat Éric Dupond-Moretti, qui défend certaines des parties civiles, demande. « Vous dites que l’enquête préliminaire qui vous a visé, c’est une histoire politique. Je n’en sais rien. Mais c’est du droit aussi. Les policiers sont mandatés par qui ? Pas par l’autorité judiciaire ? » « Je ne sais pas », répond le prévenu. « J’arrive sur ce palier, je vois des gens qui n’ont aucun insigne (les images montrent le contraire, ndlr) et qui ne me saluent pas ». « Vous soutenez que vous ne savez pas que les policiers étaient mandatés par l’autorité judiciaire ? », interroge Me Dupond-Moretti. « Je ne consens pas qu’on me donne des ordres ». Et d’ailleurs, continue le leader de la France Insoumise, quand on ne lui répond pas, « toute relation d’autorité s’effondre ». Les policiers avaient « le devoir déontologique » de refuser cette perquisition « immorale », faite pour le « flétrir », lui « nuire », le « traîner » encore et encore avec les images du Quotidien, « ce supplétif du parquet » qui agit « depuis le début pour des motifs extrêmement obscurs ». François Saint-Pierre, avocat d’autres policiers, rappelle également à Jean-Luc Mélenchon que depuis la loi Taubira de 2013, les instructions individuelles sont interdites. Fadaises, « ces gens se parlent, se sont connus au Parti socialiste (…) tout m’a poussé à cette confirmation, cette connivence, pour mettre la machine en branle pour m’écraser. Mais, insiste François Saint-Pierre, « en droit, vous pensez que la police n’avait pas le droit de perquisitionner ? ». « En droit, il n’y a rien qui l’interdirait. Le droit d’interjeter contre un ordre illégal est permanent », explique à la barre le député. Il faut « considérer la République non pas comme une institution mais comme une cause ». « Vous leur présentez vos excuses à ces policiers ? », demande Me Dupond-Moretti. Jean-Luc Mélenchon se retourne, regarde les onze policiers et gendarme, parties civiles. « « Je regrette profondément de vous avoir perturbés par le niveau de vos décibels au point de vous avoir causés jusqu’à sept jours d’ITT ». Se moque-t-il ? Des excuses pour le niveau sonore mais « aucune excuse pour le reste », c’est tout ce que l’enceinte judiciaire aura ce jour-là.

Il est 23 heures lorsque l’audience est suspendue. Le vacarme glaçant du dépôt du tribunal de Bobigny a également cessé. Les plaidoiries et les réquisitions ont lieu aujourd’hui.

 

 

 

Crédit photo : CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP