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Procès Merah : la défense demande l’acquittement

Cinq avocats se sont succédé pour demander l’acquittement de Fettah Malki d’abord, d’Abdelkader Merah ensuite, contre lesquels l’avocate générale a requis, lundi 30 octobre, 20 ans et la perpétuité.

par Julien Mucchiellile 31 octobre 2017

Éric Dupond-Moretti, ainsi qu’il l’a dit, n’avait « plus grand chose à dire », et il l’a dit. En défense d’Abdelkader Merah, et après avoir exprimé, avec décence, sa compassion pour les victimes et son effroi devant les crimes, il a dit sa crainte que « la haine nous interdise la justice ». « Je sais que l’acquittement pour certaines parties civiles, serait une injure, car depuis cinq ans, sans preuve, par défaut on a fait d’Abdelkader Merah l’artisan de leur malheur », plaide-t-il, d’un ton appliqué, dans son micro. Aux cinq magistrats de la cour d’assises spécialement composée, il dit : « Votre cœur bat pour la victime, l’émotion balaye tout sur son passage, le chagrin est confiscatoire ». Et puis : « Il fallait un coupable, ou la catharsis nationale n’avait pas lieu. Abdelkader Merah incarne, par défaut, le mal absolu. Celui dont on a besoin pour figurer le mal. » Et enfin : « On lui dénie toute humanité, en ce sens qu’on lui dénie toute singularité, il est là, il est son frère criblé de balles. J’affirme que si Mohamed Merah était dans le box, il y serait seul. » Sa voix est plus forte, on pourrait dire qu’il tonitrue.

Il apparaît, à ce moment de sa plaidoirie, tout à fait libéré dans sa parole, dans les reproches qu’il adresse aux autres parties et, d’abord, dans les compliments qu’il envoie à ses confrères. « Archibald [Celeyron], vous avez fait une démonstration époustouflante », lance-t-il à son collaborateur. « À des années lumières du médiocre discours qui nous a été fait hier par Madame l’avocat général, qui nous a servi une espèce de ratatouille … et qui a ramé, ramé, ramé. »

La taqîya dans la complicité

Me Celeyron, en premier, plaide en défense d’Abdelkader Merah, chargé de réfuter les éléments avancés par l’accusation pour établir la complicité de l’accusé, dans les assassinats terroristes perpétrés par son petit frère. « Il résulte des éléments objectifs, dit Archibald Celeyron, en détachant soigneusement les mots qui composent son propos, que Mohamed Merah était un tueur décidé, et qu’il avait enclenché ses plans bien avant la réconciliation avec son frère Abdelkader ». Il établit, chronologiquement, les époques où les deux frères ont pu se fréquenter, se rencontrer. « Lorsqu’Abdelkader Merah rentre d’Égypte le 24 novembre 2010, ils sont brouillés. » Ils sont réconciliés en mars 2011, se voient de manière « normale ».

À cette époque, les renseignements ont mis en place une surveillance physique sur le petit frère, et ne notent rien de particulier au sujet de l’aîné. Il se brouille de nouveau en juin, au sujet du mariage de leur sœur Souad, et « on ne sait pas s’il est au courant du départ de son frère au Pakistan en août et septembre ». Abdelkader ne visite pas Mohamed, malade de l’hépatite A, à l’hôpital. Il n’assiste pas non plus au mariage religieux de Mohamed. Et c’est par le biais de sa mère qu’il apprend son divorce, prononcé 15 jours plus tard à l’initiative de Mohamed.

L’accusation a une explication à ceci : taqîya. La dissimulation de sa radicalité, que les djihadistes appliquent dans le temps de préparation des actes terroristes. Mais les frères, réconciliés après une nouvelle brouille, se fréquentent de nouveau à partir de février 2012. Ils se voient le 11 mars — juste avant le 1er assassinat — sur le terrain de foot ? « Sur 23 témoins, deux disent avoir vu Mohamed Merah, et aucun des deux ne les a vu parler ensemble », résume Me Celeyron. Le dîner du 15 mars, après la deuxième attaque ? « Vous ne pouvez rien tirer juridiquement de ces rencontres », dit l’avocat, citant les éléments constitutifs de la complicité, énumérés à l’article 121-7 du code pénal. « Alors que toute l’accusation se fonde sur la taqîya, comment expliquez vous que son complice dîne avec l’assassin le soir du crime ? »
« Il risque la perpétuité pour un scooter qu’il n’a même pas touché »

Mais peut-être, ainsi que le suggère Éric Dupond-Moretti, Abdelkader Merah est-il « le terroriste le plus con de la planète » ? C’est lui qui indique sa présence, le 6 mars 2012, sur les lieux du vol du scooter. « Il livre un élément qui était inconnu des enquêteurs », dit Archibald Celeyron. L’accusation est persuadée que Mohamed Merah a fait des repérages, et que le vol du scooter est une action préméditée — préméditation dont l’homme du box serait complice. « C’est une construction intellectuelle pour accrocher Abdelkader Merah », dit Me Celeyron, qui évoque un vol fortuit — cela a été longuement débattu à l’audience. Pour preuve : les clefs étaient sur le contact. Et lorsque Mohamed commet le vol, Abdelkader est garé à 160 mètres. Selon la défense la reconstitution établit qu’Abdelkader ne pouvait voir ce vol se dérouler. Il fait remarquer que l’ADN de l’accusé n’a pas été retrouvé sur le scooter : « Il risque la perpétuité pour un scooter qu’il n’a même pas touché. »
« Vous savez que le blouson n’a même pas fait l’objet d’une expertise de poudre ? », clame Me Dupond-Moretti sur un ton faussement interloqué. « On ne sait même pas s’il a servi ! » Ce blouson de moto, pour lequel Abdelkader a avancé l’argent à Mohamed, est un élément matériel clef de l’accusation pour établir la complicité.

« Une association de malfaiteurs à géométrie variable »

Me Dupond-Moretti, en parlant de l’association de malfaiteur, la qualifie « d’infraction que l’on appelait fourre-tout, que l’on dénomme toujours infraction poubelle », et il évoque la « piste agricole », dans le dossier Érignac, justement surnommé le « dossier poubelle ». « C’est l’infraction préférée de la galerie Saint-Éloi ! » [le pôle antiterroriste, ndlr]. Me Antoine Vey ne l’aime pas beaucoup, surtout dans ce dossier, dans lequel « elle n’a jamais été envisagée comme une infraction autonome. » « On ne condamne pas sur une impression, sur un sentiment, on ne condamne pas sur la preuve par le vide », plaide-t-il. L’association de malfaiteurs est un rattrapage, une béquille qui doit seconder la complicité. Elle se décline ainsi.

La participation à Al-Qaïda : il est établi que les séjours en Égypte avaient pour but l’apprentissage de l’arabe littéraire et du Coran. Les renseignements pensent qu’Abdelkader Merah y a rencontré des djihadistes, mais ils n’ont aucun élément pour l’avancer. En France, sa fréquentation des salafistes est certaine, mais « pourquoi ne sont-ils pas là, dans le box ? C’est une association de malfaiteurs à géométrie variable, qui semble avoir été avancée uniquement pour accrocher Abdelkader Merah », pense Me Vey.

« Le syllogisme de la taqîya »

« Avoir une tenue militaire, ne pas porter sa montre à droite, varier les moyes de transports pour casser les filatures », ces audio d’Al-Qaïda, qui figuraient sur l’IPod de l’accusé, sont des conseils pour mener le djihad. « La seule détention de ces fichiers n’établit pas d’actes préparatoires », dit simplement Antoine Vey. Cela n’établit pas une « adhésion » aux idées contenues. Quant aux rapports avec son frère, dont aurait pu découler une influence décisive, il les estime « normaux », c’est à dire conformes aux rapports que deux frères peuvent entretenir, et pointe le double discours de l’accusation qui reproche à la fois la « dissimulation » de leurs rapports et leur affichage. « Le syllogisme de la taqîya », résume Me Dupond-Moretti : on ne sait pas ce qu’ils se sont dit, car ils le dissimulent. C’est donc qu’ils se sont dit quelque chose.

Sans s’y appesantir, Éric Dupond-Moretti a cinglé ce qu’il a qualifié de « raisonnements débiles de Mme l’avocat général », la légèreté intellectuelle dont il estime qu’elle s’est rendue coupable. Et puis, « ces avocats de la partie civile devenus procureurs de droit privé, qui donnent dans la surenchère médiatique lors des suspensions d’audience. » Et enfin, citant son mentor Alain Furbury : « Parfois, sur une robe d’avocats, les crachats, c’est mieux que la légion d’honneur ».

Les trois avocats ont demandé l’acquittement, comme ce matin Mes Chrstian Etelin et Édouard Martial, tout plein d’éloquence et de gravité, ont demandé l’acquittement de Fettah Malki.

Le verdict est attendu jeudi 2 novembre.