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Procès Merah : Éric Dupond-Moretti secoue le juge d’instruction à la barre

Cette journée a été marquée par les témoignages des parties civiles, et s’est achevée par la venue du juge d’instruction Christophe Tessier, cité à la demande de la défense, que Me Dupond-Moretti, seul, s’est employé à questionner durement à propos des charges retenues contre son client.

par Julien Mucchiellile 25 octobre 2017

Après que la cour d’assises eut entendu Samuel Sandler, qui qualifie Mohamed Merah de « petit Eichmann de quartier », il y eut les frères, sœurs, pères, mères et veuves des militaires Ibn Ziaten, Legouad et Chennouf, qui, chacun leur tour, exprimèrent une infinie tristesse. Puis, Loïc Liber, tétraplégique, laissé pour mort par le terroriste le 15 mars 2012 au côté de ses « frères d’arme », a dit son désespoir depuis son lit d’hôpital. « Ma vie est devenue un combat, je suis traumatisé à vie », a-t-il débité, sans qu’on ne le voie à l’écran – car il n’a pas voulu apparaître. Loïc Liber a coupé la communication sans prévenir lorsque son avocate lui a demandé d’évoquer son souvenir du « salut au drapeau ». « Ce doit être l’émotion, on le comprend », a sobrement commenté le président de la cour d’assises spécialement composée, qui juge Abdelkader Merah et Fettah Malki. Puis il a annoncé : « La cour va entendre M. Christophe Tessier, qui est l’un des juges ayant instruit le dossier. »

Il est rarement d’usage, dans un procès d’assises, de voir le juge qui a instruit l’affaire faire une déposition à la barre. Ce fut le cas en 2009, lors du procès en appel d’Yvan Colonna, dans lequel Christophe Tessier était avocat général, tandis qu’Éric Dupond-Moretti, à l’époque, était déjà en défense. L’avocat d’Abdelkader Merah, ce mercredi 25 octobre 2017, se lève, un tas de feuilles sous le bras. Lentement, il se positionne tout près du juge qui vient de faire une synthèse parfaite de son instruction, avec fluidité et précision. « Bonjour monsieur le juge, je suis content de vous retrouver. On va revoir un peu ces histoires d’association de malfaiteurs », entame-t-il, sur un ton que l’on pourrait qualifier de « prêt à en découdre », et dardant un air farouche vers la barre. L’avocat entend questionner le magistrat instructeur sur les éléments constitutifs des infractions pour lesquelles Abdelkader Merah a été renvoyé : l’association de malfaiteurs terroriste, qui lui fait encourir vingt ans de réclusion, et la complicité d’assassinat terroriste, pour laquelle il risque la réclusion criminelle à perpétuité.

Le 10 juillet 2015, les juges Christophe Tessier, Laurence Le Vert et Nathalie Poux rendent un avis de fin d’information. Me Dupond-Moretti : « Je vous ai adressé un mémoire de 19 pages, et vous ne m’avez pas répondu du tout. Pourquoi n’avez-vous pas daigné le faire ? » Le juge répond que le mémoire est visé dans l’ordonnance, et que l’ordonnance de renvoi, rendue le 15 mars 2016, contenait dans ses trente pages la réponse aux arguments de la défense. L’avocat disconvient, et note la diligence avec laquelle le juge, le 6 octobre 2015, s’empresse de « rectifier une erreur matérielle » à la demande du parquet. La prévention d’association de malfaiteurs terroriste passe de délictuelle à criminelle, « au vu de l’implication réelle d’Abdelkader Merah », écrivent les juges. « Ce n’est pas la rectification d’une erreur matérielle, c’est l’application de la politique du parquet », souffle l’avocat.

Il revient sur les éléments matériels, qui ont presque tous été « apportés par la défense », par le mis en cause, sans qui, peut-on comprendre, l’enquête n’aurait rien donné. « Sa présence lors du vol du scooter ? – Il a été le premier à en parler », concède le magistrat. Les audio (enregistrements audio en arabe, sorte de manuel exhaustif pour mener le djihad édité par Al-Qaïda), « c’est lui qui vous dit qu’il les a écoutés. » L’avocat indique qu’on lui a refusé la retranscription intégrale des enregistrements, au motif, lit-il à l’audience, que le contenu des ces audio « n’ont effectivement aucun rapport avec les actes commis par Mohamed Merah. C’est vous qui l’écrivez ! », s’exclame l’avocat. L’accusation estime que les instructions contenues dans ces enregistrements ont été transmises par Abdelkader à Mohamed Merah, qui les a appliquées dans ses assassinats. La défense réfute cet argument, au motif que les précautions prises par le terroriste (mettre une cagoule, par exemple), sont trop élémentaires pour que la coïncidence avec les enregistrements soit troublante – et donc probante.

Il l’interroge sur Mohamed Meskine, mis en examen, qui a bénéficié d’un non-lieu. Pourquoi ne pas le mettre en examen du chef de complicité d’assassinat, alors qu’au stade de l’enquête évoquée, c’est-à-dire au début, les juges disposaient contre lui des mêmes éléments que contre son client — estime Me Dupond-Moretti ? « Parce qu’il y a eu des rencontres, à des moments particuliers », dit le juge – Mais que savez-vous sur ce qu’Abdelkader a dit à Mohamed Merah ? – On ne sait pas. Mais les éléments sont différents », entre Meskine et Abdelkader, élude le juge, qui ne pouvait - et ne peut toujours – que supposer que ces rencontres sont constitutives d’une complicité d’assassinats, au vu des dates (11 et 15 mars) auxquelles elles ont eu lieu.

Me Dupond-Moretti continue. « S’agissant d’Abdelkader Merah, quels éléments montrent son appartenance à Al-Qaïda ? » Le juge perd patience : « C’est dans mon ordonnance – Décrivez-les, ces éléments ! Dans votre ordonnance ». Le juge reste silencieux.

Éric Dupond-Moretti : « Qui sont les autres membres du groupe de l’association de malfaiteurs ? Car vous n’avez peut-être pas suivi l’audience, mais on a parlé des frères Clain, d’Olivier Corel, de l’Artigat.

– La notion de groupe est constituée, d’abord par les deux frères. Après, des personnes ont été entendues.

– Je ne les vois pas dans le box. C’est qui ce groupe, monsieur ? Faut-il regarder au Pakistan ?

– Tout est dans l’ordonnance.

– Non, non, il n’y a rien de tout cela dans l’ordonnance. Il n’y a pas un élément pour dire qu’Abdelkader Merah est affilié à Al-Qaïda.

– Regardez dans l’ordonnance, je n’ai pas à m’expliquer sur les éléments qu’elle contient.

– Qu’est-ce qu’Abdelkader a transmis comme préconisation à Mohamed Merah ? Est-ce que vous avez des éléments permettant d’affirmer qu’Abdelkader a transmis des choses à son frère ?

– Non. » D’une voix faible, il ajoute : « Il y a une proximité entre les deux frères. »

Me Dupond-Moretti marque une pause. De nouveau, il dévisage Christophe Tessier : « Pouvez-vous nous expliquer, Monsieur le juge, quelle est la différence dans les éléments qui constituent les infractions d’association de malfaiteurs terroriste et de complicité d’assassinat ? » Le juge, de plus en plus fébrile, renvoie une nouvelle fois à son ordonnance de mise en accusation. L’avocat s’exclame :

« J’ai pas trouvé !

– Eh bien vous le direz dans votre plaidoirie.

– Vous êtes moins explicatif qu’au début. Dans les éléments matériels, pour la complicité d’assassinat, il y a le blouson [de scooter] qu’Abdelkader a acheté au magasin, le jour du vol du scooter. C’est exact ?

– Oui.

– Il a servi pour toutes les infractions ?

– Je suppose.

– Eh bien non. Il n’a pas servi pour l’école juive. On le voit sur les vidéos, il y a une inscription sur le blouson acheté, qui n’est pas sur le tueur devant l’école. Ça, vous n’avez pas été capable de le voir. Et c’est l’élément de complicité pour la tuerie de l’école juive », répète l’avocat. La prévention, en effet, ne différencie pas les blousons portés par le tueur les 11, 15 et 19 mars, sous-entendant qu’il portait le même.

Les débats sont clos. Les parties civiles plaident à partir de jeudi 26 octobre.