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Procès Merah : islam, djihad et taqîya en débat

En cette fin de troisième semaine, la cour d’assises spécialement composée, qui juge Abdelkader Merah et Fettah Malki pour association de malfaiteurs terroriste et le premier pour complicité d’assassinats terroristes, a interrogé l’insaisissable accusé sur son engagement religieux.

par Julien Mucchiellile 22 octobre 2017

La cour, au début du procès d’Abdelkader Merah, avait abandonné un insupportable petit caïd qui criait « Ben Laden ! Ben Laden ! », au lendemain des attentats du 11 septembre. Pas par fanatisme, fallait-il comprendre, mais par bêtise et provocation. « Je faisais les 400 coups, à travers cette vie, je n’avais pas trouvé la paix intérieure, j’éprouvais une tristesse de cœur », expose-t-il. Aujourd’hui, Abdelkader Merah ne chante plus « Ben Laden ! », dans les rues du quartier des Izards, à Toulouse. Il est ce placide barbu dissertant sur sa foi. Il pèse ses mots, interroge son interrogateur, le président Franck Zientara, pour le renvoyer à la pertinence de sa question.

Abdelkader Merah est volubile, mais il esquive, ou plutôt, il « dissimule », pense l’accusation. « M. Merah, en voilà une belle recette de taqîya », a lancé une avocate de la partie civile, faisant référence au terme arabe désignant le fait de dissimuler sa foi sous la contrainte du persécuteur. Abdelkader Merah, exposé dans l’immense box de la cour d’assises, est un salafiste au pays des « mécréants », qui doit convaincre ses juges qu’il n’a pas adhéré à l’idéologie qui a conduit son petit frère à perpétrer un massacre.

Au commencement était la conversion. L’islam ? « Nous, les jeunes de quartiers, on voyait ça comme quelque chose de presque moyenâgeux. » Mais Sabri Essid, tête de pont dans les cités de la propagande salafiste, apparaît un jour au volant d’une « Mercedes SLK cabriolet ». « On a compris que l’islam n’empêchait pas d’avoir une belle voiture, une belle femme. Après que Sabri Essid est venu au quartier, pendant deux mois les mosquées étaient bondées », relate-t-il. C’était en 2005, et depuis, « je me réveille musulman, je mange musulman, je dors musulman, je vis musulman ».

Le président retrace son parcours de croyant. « Vous avez appris vous-même ? – Il n’y a pas de programme structuré pour avoir des connaissances religieuses bien cadrées. Je ne fréquente aucune mosquée en particulier », au contraire d’autres « frères », explique-t-il. En 2006, il entreprend le premier de ses quatre voyages en Égypte. « J’étais fraîchement converti, on m’a dit que c’était le bon endroit pour apprendre la science religieuse. Je m’ennuyais à Toulouse. Je me suis inscrit à deux ou trois cours, puis je suis allé me balader. » Mohamed est venu l’y rejoindre de sa propre initiative. Les deux frères hilares figurent sur une photo, le Coran ouvert à la page du du repentir, le doigt levé.

Puis, il y les troisième et quatrième voyages (après, sans doute, un deuxième dont il n’a pas été question). « Là, j’étais focalisé sur les études », assure-t-il. Le président : « Quel était votre objectif ? – Je suis axé sur la langue arabe, car pour pouvoir comprendre le Coran, les préceptes de mon créateur, cela passe par l’apprentissage de la langue arabe », répond-il. Cette école est dénommée « Al-Fajr ». C’est une institution présente dans de nombreux pays arabes. Est-elle salafiste, demande en substance le président ? C’est une université « spécialisée dans l’enseignement de l’arabe littéraire », soutient l’accusé. Aujourd’hui, il se dit tout entier focalisé « sur l’acquisition de la science ».

Son avocat Éric Dupond-Moretti s’était inquiété, la veille, qu’il soit fait grief à son client de sa foi en tant que telle, et avait déposé des conclusions qui rappellent « qu’en droit français, la religion ne peut-être constitutive d’une infraction », ce à quoi la cour a répondu : « il ne s’agit nullement d’interroger Abdelkader Merah sur sa foi intime mais sur son adhésion éventuelle à une idéologie radicale ». Les faits généraux établis, l’interrogatoire de l’accusé se concentre sur quelques thèmes précis de son engagement religieux, ceux qui pèsent comme des charges contre lui, qui pourraient faire de lui le membre d’une association de malfaiteurs à but terroriste, base nécessaire à une éventuelle complicité dans les assassinats commis par son frère.

Sur ses fréquentations « salafistes » – les autres malfaiteurs de l’association, en somme ? « Corel, les frères Clain, Sabri Essid, je les ai connus comme j’ai connu d’autres personnes. Ce n’était pas un groupe fermé. » Parfois, la réponse est sans équivoque : « La filière dite de l’Artigat’, qui acheminait des combattants en Irak ? Je désapprouve. » Mais le plus souvent, il digresse, part dans des circonlocutions dont il perd lui-même le fil.

« Certains considèrent… D’autres considèrent… », d’un ton docte, tourné vers la cour (Me Maklouf, en partie civile, fera remarquer que c’est aussi la direction de La Mecque), il cultive l’incertitude, invoque la nécessaire exégèse des textes sacrés par l’entremise des érudits, sur lesquels il se défausse lorsqu’il est question du djihad. Lui n’est qu’un humble croyant qui fait ce que le Prophète lui dit de faire. Mais il concède volontiers les vérités trop patentes : « Personne ne peut nier l’existence du djihad. Mais le djihad, c’est quelque chose de noble, ce n’est pas prendre une arme et crier "Allahou akbar" », explique Abdelkader Merah.

Le président note. « Quand vous parlez de djihad, c’est de quoi ? — Le djihad, Monsieur le Président, vous ouvre une porte, il y en a plusieurs », répond l’accusé, sibyllin. « Sur ce point, il faut poser les questions aux savants », qui, s’ils étaient dans le box, pourraient éclairer la cour. Mais dans le box, il n’y a que Fettah Malki qui s’ennuie.

Le président, docile, poursuit : « Pour quel djihad êtes-vous ? » Car il y a celui du cœur, et celui de l’épée. « Je ne fais allégeance à personne, je n’ai pas d’Émir ». On comprend qu’il n’est ni pour ni contre, bien au contraire. Cela rend la question suivante un peu vaine : « Et Al-Qaïda, vous adhérez ?

— Je n’ai jamais vu Al-Qaïda à Toulouse, je n’adhère pas à cette idéologie, répond-il.

— En avez-vous parlé avec votre frère Mohamed ?

— Ce serait vous mentir que de vous répondre non. Oui, on en a parlé.

— Et lui, il était pour quelle option ?

— Mohamed était très affecté par la situation des Palestiniens et la colonisation des Américains en Irak. Il voulait faire bouger la cause musulmane, je lui disais qu’on ne pouvait pas juste venir comme ça et frapper, qu’il y avait des règles. J’ai essayé de le recadrer.

— Lui, il était prêt à frapper ?

— Lui, il était déterminé. Mais vous savez, il parlait d’une chose et changeait de sujet. » Ce n’était pas une discussion suivie, semble-t-il expliquer. Sur les voyages de Mohamed : « À 80 %, je pensais qu’il cherchait un groupe armé », concède-t-il.

Ce qui pèse sur Abdelkader Merah, en plus des textes trouvés en perquisition qui prônent un djihad offensif – parmi une myriade de textes religieux anodins trouvés en fouillis sur des disques durs –, c’est l’éloge qu’il semble faire des actes de son petit frère. Les propos tenus en garde à vue, sur sa fierté de voir son frère « tombé en martyr », relevaient de la tristesse et de la provocation, a t-il expliqué. Mais il a beau dire : « Tuer des enfants, c’est assez terrible, c’est abominable », la sonorisation des parloirs avec sa mère ont permis aux enquêteurs de l’entendre s’exclamer : « Ne t’inquiète pas, maman, le cadeau que Mohamed m’a fait, personne ne me l’avait fait. » Ou encore, ce rêve qu’il rapporte à sa mère : « Il y avait une assemblée ébahie devant Mohamed, c’était comme au paradis, comme il était beau ! Comme il était beau ! » L’accusé commente : « Je me souviens très bien de ce rêve. » Il ne voit pas le problème : « Bien sûr que j’espère que mon petit frère est au paradis. » Il nuance : « Les actes sont là, mais ça reste mon petit frère, c’est mon sang. » Puis, sentencieux : « Il répondra de ses actes devant son créateur, car personne ne peut échapper à la justice divine. » Et enfin : « Mon frère est un musulman terroriste. » Et lui, que pense-t-il du martyre ? La question lui est posée par à peu près tous les avocats des parties civiles. Mais on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment. Une heure de questions pourraient être résumées par cet échange :

« — Vous souhaiteriez partir en martyr ?

— Je souhaiterais mourir en musulman.

— Vous ne voulez pas répondre ?

— Je viens de répondre.

— Non, ça s’appelle de l’esquive

— Non.

— Si. »

Me Dupond-Moretti proteste. Les avocats en partie civile lèvent le ton. Le président tente, en vain, de ramener le calme. Brouhaha. Suspension d’audience.

Ce lundi 23 octobre, Fettah Malki aura enfin l’opportunité de s’exprimer sur les faits qui lui sont reprochés.