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Procès Merah : le temps des réquisitions contre « le complice d’un tueur d’enfants »

L’accusation a requis les peines maximales prévues par la loi. La réclusion criminelle à perpétuité pour Abdelkader Merah, assortie d’une période de sûreté de vingt-deux ans, et vingt ans pour Fettah Mali, assortis d’une période de sûreté des deux tiers.

par Julien Mucchiellile 31 octobre 2017

« De toutes les parties présentes, commence l’avocate générale Naïma Rudloff, personne n’a su trouver les mots justes pour décrire le chaos », dit-elle d’un ton certes grave mais déjà âpre, qui n’est allé qu’en se durcissant, tout au long du réquisitoire qu’elle prononça hier, lundi 30 octobre, contre Abdelkader Merah et Fettah Malki. « Il n’existe pas de mots, alors il y a des images, et elles sont insoutenables, ces images. »

Pour demander la condamnation d’Abdelkader Merah pour « complicité d’assassinat terroriste » et « association de malfaiteurs en vue de commettre des actes terroristes » (AMT), l’avocate générale, qui a pris soin de définir la notion de terrorisme – la terreur et l’intimidation – et d’islamisme (« un projet de société, une idéologie totalitaire outrageusement maquillée de religiosité »), a longuement expliqué en quoi les actes de Mohamed Merah revêtaient un caractère terroriste et en quoi cela différait des crimes de droit commun les plus odieux. Les militaires ont été tués parce qu’ils représentaient la France, et les juifs, parce qu’ils étaient juifs, et que l’État et les juifs, ce sont les ennemis des Merah, dit-elle. « Il n’y a rien de personnel entre Merah et les victimes, elles ont été tuées pour ce qu’elle représentaient », et pas pour ce qu’elles étaient. Passé l’hommage, il a fallu qualifier, et la magistrate s’y est longuement employée.

L’AMT : Abdelkader Merah, ce « référent religieux qui a toujours eu un ascendant »

L’AMT. Celle-ci est dite « criminelle ». Qu’est-ce que l’AMT : « C’est moins que l’exécution, c’est plus que l’intention. Il faut un acte matériel, au moins. » Mme Rudloff précise : « C’est l’entreprise à laquelle il a apporté son soutien, entreprise qui doit poursuivre un but terroriste. Tous ses actes, dans le cadre de cette association, prennent une dimension terroriste », explique-t-elle. Ces actes sont qualifiés de « préparatoires ». Cela n’implique pas d’avoir connaissance du projet précis, mais au moins d’avoir conscience de l’éventualité d’une finalité terroriste à ladite association. L’arrêt de la Cour de cassation du 17 octobre 2016, rendu dans ce dossier, rappelle que « la connaissance précise et concrète du projet d’attenter volontairement à la vie ou à l’intégrité de personnes fomenté par l’auteur », n’est pas une condition nécessaire pour que soit retenue l’AMT criminelle.

Dans le cas d’espèce, elle est caractérisée par une multitude d’actes, notamment par les voyages d’Abdelkader en Égypte. Fin 2006, il y est en même temps que d’autres islamistes de la région toulousaine, dont les frères Clain – qui ont rejoint Daesh. Juste avant, il est le liquidateur des dettes de Sabri Essid, « tête de pont » de l’islamisme radical toulousain, qui a rejoint les zones de combat, été condamné par la justice française pour des faits de terrorisme et dont les liens avec Al-Qaïda sont établis. De ces voyages, il est dit qu’il revient chaque fois un peu plus radicalisé, ce qui laisse entendre, dit l’avocate générale, que ses actions sur place dépassent la stricte étude du Coran et l’apprentissage méticuleux de l’arabe littéraire. Par ses fréquentations en France et en Égypte, il construit son édifice idéologique mortifère.

Abdelkader Merah détenait, notamment sur un Ipod, de très nombreux fichiers audio, qui sont une sorte de manuel du parfait djihadiste, dont « la fabrique du terrorisme », édités par Al Qaïda, ayant trait à la constitution d’une cellule dormante djihadiste prête à passer à l’action sur le territoire. Ce sont des leçons très détaillées de ce qu’il faut faire pour mener le djihad armé et, si la défense avance que l’accusé a lui-même donné aux enquêteurs un certain nombre de fichiers, mettant en avant sa curiosité sur les positions d’Al Qaïda sur un certain nombre de sujets, l’avocate générale a souligné que de nombreux fichiers, dont certains ont trait au conflit israélo-palestinien, n’ont pu être récupérés par les experts en informatique. L’accusé les a en effet effacé et a tenté de les effacer « définitivement » avant le passage à l’acte de Mohamed Merah, dont il est dit qu’il a appliqué les consignes, les cours dispensés sur ces fichiers.

Dans ces audio, l’art de la « dissimulation », cette taqîya longuement débattue à l’audience, y est longuement enseigné, et Naïma Rudloff estime que l’accusé l’a soigneusement appliquée. Elle évoque un grand frère qui ne va pas voir son petit frère hospitalisé, à la fin de l’année 2011, après son retour du Pakistan. Abdelkader évite les contacts inutiles, les rencontres superflues. Il se fait discret, comme un djihadiste doit le faire quand la situation est délicate. Mais il demeure ce « référent religieux, qui a toujours eu un ascendant » sur son petit frère et qui fait du prosélytisme en prison, disent les aumôniers de l’établissement où il est détenu. Bien sûr, il n’est pas émir, il n’est qu’un « sachant ». « Si Mohamed Merah est parti dans le Waziristan Nord, en août et septembre 2011, c’est qu’il vient chercher l’accréditation d’un Émir », explique-t-elle. Il prête allégeance à Al Qaïda, organisation dont Abdelkader porte le projet, soutient Naïma Rudloff. L’accord : « Si tu fais quelque chose, on revendiquera, c’est un accord de principe qui doit être finalisé sur le territoire national », pense-t-elle. C’est la phase qu’elle nomme « opération spéciale », qui sera menée par Mohamed avec la complicité d’Abdelkader.

La complicité : le vol du scooter, les rencontres avec Mohamed, la connexion à l’annonce d’Imad

Il y a deux types de complicité : « aide et assistance », c’est-à-dire un soutien logistique, et « autorité et instruction », une influence sur la volonté de l’autorité principale. Pour l’accusation, c’est Abdelkader qui a donné l’impulsion, ce qui en fait « le complice d’un assassin tueur d’enfants ». Pour preuve, son « retour dans la cité », alors qu’il ne la fréquentait plus que rarement. Sa présence au match de foot, également. Les deux frères se fréquentaient. « Quoi de plus normal que deux frères qui se rencontrent ? Oui, mais quoi de plus normal, également, que deux frères qui s’appellent ? » Or il n’existe aucun contact téléphonique entre les deux, alors qu’ils appelaient, séparément, tous les autres membres de leur famille. L’avocate générale y voit une manœuvre visant à dissimuler leurs relations.

La connexion sur l’annonce d’Imad Ibn Ziaten se fait depuis la télévision de la mère des Merah, « c’est indiscutable sur le plan technique. » Impossible, néanmoins, de dire quel frère se connecte. « En revanche, au vu des éléments techniques, nous savons que c’est Mohamed qui s’y connecte le 11 mars », deux heures avant l’assassinat du militaire. Autre élément troublant : quand Imad demande à Mohamed « c’est un pote à toi ? (qui l’a contacté) », le tueur répond : « Ouais, c’est mon frère. » La magistrate y voit l’aveu d’une complicité.

Le vol du scooter fut l’un des éléments les plus débattus du procès. Le 6 mars, les deux frères, accompagnés d’un mystérieux troisième homme (dont il sera dit qu’il s’agit de Walid Larbi-Bey, mort entretemps) sont dans une Clio. Mohamed tout à coup sort de la voiture et revient sur un scooter T-max 530, à l’aide duquel il tuera ses victimes. Naïma Rudloff ne croit pas aux coïncidences avancées, ces circonstances « exceptionnelles de temps et de lieux », étalées par la défense. Elle pense que des repérages avaient été faits, que le scooter était identifié, selon la méthode habituelle de Mohamed, qui pratiquait le « home jacking » pour voler. C’est la seule raison selon elle pour laquelle ils se trouvaient dans cette zone, et la seule raison pour laquelle Abdelkader a ensuite suivi son frère, puis qu’ils sont allés acheter un blouson. Seule la présence des clefs sur le contacteur – « Ce jour, l’occasion était trop belle » – qui sont un pur hasard, permet à l’accusé d’affirmer que c’était un vol purement fortuit.

Enfin, les deux frères se sont rencontrés les 11 et 15 mars, jours des deux premiers actes de l’assassin. Instructions, soutien moral, discussions portant sur les faits ? L’avocate générale n’invente rien, mais, comme pour le scooter, elle ne croit pas aux coïncidences. Les frères Merah se sont rencontrés pour la dernière fois le soir du 17 mars.

« On n’oublie pas Fettah Malki »

« On n’oublie pas Fettah Malki », qui est dans le box. « Sans loi, sans foi, ce qui compte, c’est que ça rapporte. Tout ce qui rapporte », attaque Naïma Rudloff. Elle rappelle : « Il ne faut pas se tromper de surface, Fettah Malki, c’est 160 000 € de bijoux saisis, 130 000 € en transferts d’argent », bref, ce n’est pas un « petit délinquant » mais un vrai bandit. Fettah Malki, qui a beaucoup menti pour se protéger, « prétendait qu’il pensait que c’était pour un braquage, alors que Mohamed Merah n’a jamais été condamné pour vol à main armée ». Mais, comme tout se sait au quartier des Izards, « du fait de la rumeur de la cité », et comme « Mohamed est une vraie pipelette », il ne pouvait ignorer le penchant du jeune Merah pour l’idéologie prônée par Al Qaïda – ce qu’il a nié tout au long de son interrogatoire. Pour l’avocate générale, Fettah Malki ne pouvait vendre le pistolet-mitrailleur Uzi et le gilet pare-balles sans se douter de l’usage terroriste qui en serait fait. « C’est un acte de soutien à une association potentiellement terroriste, dont on ne sait pas forcément l’objectif précis. » Et, au vu des circonstances de l’espèce, pour Fettah Malki, c’est la peine maximale de vingt ans de réclusion qui est demandée. Contre Abdelkader Merah, le ministère public requiert la réclusion criminelle à perpétuité.