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Procès Tapie : « L’ordonnance de renvoi, c’est une thèse complotiste »

Après Jean-François Rocchi, Stéphane Richard, Maurice Lantourne et Pierre Estoup ont été défendus par leurs avocats, mardi et mercredi, qui ont tous requis la relaxe.

par Julien Mucchiellile 3 avril 2019

Selon Jean-Pierre Gastaud, 51 ans de barre, « tous les avocats sont vaniteux. » Après avoir plaidé 2 heures et 30 minutes devant la 11e chambre correctionnelle pour son client Pierre Estoup, après avoir fini, la voix et les mains tremblantes, sur une citation d’Apollinaire, et alors que la présidente Christine Mée allait suspendre l’audience pour écouter les deux autres conseils du même prévenu, ces derniers se sont levés et l’un d’eux, Edgard Vincensini, a surpris tout le monde : « Notre confrère a tout dit, nous renonçons à plaider. » Son confrère Renaud Bertin approuvait d’un hochement de tête. Tous les avocats ne sont peut-être pas si vaniteux.

Pierre Estoup, 92 ans, a été longuement rudoyé par les réquisitions de lundi, aux termes desquelles il a été requis trois ans de prison contre lui (v. Dalloz actualité, 2 avr. 2019, art. J. Mucchielli isset(node/195222) ? node/195222 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>195222). Me Gastaud a longuement et vertement répliqué, d’abord contre la partie civile (l’État) : « Me Chabert a requis avec une virulence particulière contre Tapie, Lantourne et Estoup, mais (il le regarde) … vous vous êtes tus sur les serviteurs de l’État, ce choix n’est pas un choix spontané, mais il vous a été dicté. L’affaire Tapie, Adidas, est devenue une affaire gouvernée par la raison d’État à partir de 2012. Ce petit groupe a posé en principe de la raison d‘État que Tapie et son groupe devaient restituer les sommes que la décision arbitrale leur avait attribuée », pose-t-il d’entrée.

Il fustige la mise en cause d’un arbitrage parfaitement régulier, exequaturé par le président du tribunal de Paris et exécuté par les entités concernées (ce qui est le résultat des manœuvres frauduleuses alléguées par l’accusation et l’ordonnance de renvoi). Il déduit cette régularité de l’absence de recours contre cet arbitrage (Christine Lagarde, après avoir pris l’avis de juristes, y avait renoncé), « alors on a inventé une fraude, pour permettre au Consortium de réalisation, cinq ans après l’arbitrage, d’engager une procédure de révision. Parce qu’il n’y avait pas de révision possible sans fraude. »

Voilà pourquoi, selon Me Gastaud, il a fallu à l’accusation « transformer des banalités en manœuvres frauduleuses ». Pierre Estoup aurait manipulé les deux autres juges, Jean-Denis Bredin et Pierre Mazeaud, « parce qu’il aurait rédigé deux malheureux procès-verbaux et fixé le calendrier ? » De toute manière, pensent-ils, ces personnalités sont au-dessus de tout soupçon. Pourquoi ? Parce qu’ils sont vieux. « Quand on arrive à cet âge-là, qu’on a le sentiment de la finitude, que l’avenir est dans ses souvenirs, on est libre. La vieillesse c’est des souffrances, c’est des blessures, mais c’est aussi la liberté. La vraie garantie, c‘est qu’ils ont 80 ans, c’est leur vraie force », plaide Me Gastaud. C’est ainsi qu’il est inconcevable que Pierre Estoup ait pu subjuguer ses deux co-arbitres.

« Est-ce une fraude de désigner un arbitre que l’on connaît ? À l’évidence non »

Avant lui, Me Paul-Albert Iweins a plaidé dans les intérêts de Maurice Lantourne (3 ans avec sursis requis). Il a prévenu le tribunal de la mort professionnelle que signifierait une condamnation : « Il suffit d’une décision de culpabilité pour que son Ordre prenne à son égard une décision disciplinaire. » Ce qui serait injuste, car, pour son avocat, Me Lantourne « a gagné le dossier Adidas à la loyale, devant la cour d’abord puis devant le tribunal arbitral. »

Me Lantourne défendait Bernard Tapie dans ce dossier depuis de nombreuses années. En 2005, un arrêt de la cour d’appel condamne le Crédit Lyonnais pour escroquerie, qui doit verser 135 millions d’euros (et 1 € symbolique au titre du préjudice moral) à Bernard Tapie. En octobre 2006, la Cour de cassation casse cet arrêt. En septembre 2006, Maurice Lantourne envoie des notes à Pierre Estoup, relatives à ce dossier. Me Iweins pose la question : « Envisager l’arbitrage à ce stade, avant l’arrêt de la Cour de cassation, en quoi est-ce condamnable ? » L’accusation y voit la préparation de l’escroquerie à venir. Me Iweins : « La note qu’il envoie à Estoup en septembre 2006, prouve qu’il ne connaissait pas le dossier, et pas qu’il était dans la collusion depuis 1999. »

Maurice Lantourne connaissait bien Pierre Estoup, avec qui il a travaillé dans plusieurs procédures d’arbitrage. « Est-ce une fraude de désigner un arbitre que l’on connaît ? À l’évidence non, et je dirais que c’est une faute professionnelle de ne pas le faire. Il serait absurde de ne pas désigner quelqu’un d’hostile à notre thèse », plaide Paul-Albert Iweins. Le CDR a choisi Jean-Denis Bredin qui, entendu par le juge d’instruction, a concédé avoir été un peu « roulé » par Pierre Estoup. Me Iweins rappelle qu’entre-temps, Jean-Denis Bredin (dont personne n’a manqué de rappeler l’immense respect dont il jouit de par le monde), avait eu un accident vasculaire cérébral, et qu’il était diminué.

« L’ordonnance de renvoi, dit-il, c’est une thèse complotiste : elle commence par affirmer qu’il y a eu un complot ourdi au plus haut sommet de l’État, avec Nicolas Sarkozy, avec Claude Guéant », et avec leurs obligés, dont Stéphane Richard.

L’actuel président d’Orange, présent à presque toutes les journées d’audience, trépignait sur sa chaise, mardi après-midi, tandis que ses avocats plaidaient, et notamment Me Jean-Étienne Gianmarchi, pour qui la thèse de l’accusation repose sur une double imposture. La première, c’est son syllogisme : l’arbitrage est demandé par Bernard Tapie, c’est donc frauduleux, et tous ceux qui ont accédé à sa demande ne pouvaient ignorer ce caractère frauduleux. « Hier soir, on a assisté à une leçon de morale, mais certainement pas une leçon de droit. L’accusation fait état de postulats non démontrés et non établis », envoie-t-il d’emblée.

La deuxième imposture serait l’existence d’un pacte entre Nicolas Sarkozy et Bernard Tapie, en raison du soutien apporté par celui-ci à la campagne présidentielle. Il évoque la réunion du 30 juillet 2007 (entre Bernard Tapie, Claude Guéant, Jean-François Rocchi, François Pérol – secrétaire général adjoint de l’Élysée – et Stéphane Richard) qui a pu alimenter les fantasmes autant que nourrir les soupçons. Pour l’accusation, « la seule tenue de la réunion était la démonstration que les personnes présentes se voyaient enjoindre d’agir dans les intérêts de Bernard Tapie. » Mais il n’y a aucune preuve de ce qui est avancé, peut-on résumer.

L’implication de l’Élysée, retenue à charge « n’est en fait que le fonctionnement normal de l’État lorsque le ministre est amené à prendre une décision à caractère politique. Vous pensez que ça ne le méritait pas, vu l’enjeu financier, la personnalité de Bernard Tapie, l’atteinte à l’image de l’État pour sa mauvaise gestion de fonds publics ? » Il ajoute : il n’y a aucun élément qui atteste d’instructions données ou reçues. Aucun élément sur l’implication de Nicolas Sarkozy (qui n’a jamais été entendu). » Pour lui, Stéphane Richard ne pouvait avoir conscience d’éventuelles manœuvres frauduleuses que le parquet prête aux autres, et le directeur de cabinet de la ministre de l’Économie et des finances ne pouvait en avoir conscience.

Mes Julia Minkowski et Hervé Temime doivent plaider ce jeudi en défense de Bernard Tapie.