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Sixième semaine de procès, intégralement consacrée aux plaidoiries en défense des cinq prévenus toujours représentés, c’est-à-dire pas Bernard Tapie. Comme ce dernier, ils avaient été relaxés en première instance. La semaine dernière, le parquet général a requis (notamment) contre tous des peines d’emprisonnement, partiellement ou totalement assorties d’un sursis. L’arrêt sera rendu le 6 octobre 2021.
par Antoine Blochle 10 juin 2021
Dernière semaine d’audience, toujours sans Bernard Tapie (cinq ans de sursis probatoire requis) ni ses conseils. Bien que moins expressive (« hostile », considéraient alors certains) que les semaines précédentes, la cour opine du chef, lève les yeux au ciel, pouffe même, lorsqu’elle ne vaque pas ostentatoirement à ses occupations. En fil rouge de ces (huit) plaidoiries de la défense, une métaphore. Elle est picturale, et répond au conseil du CDR qui, la semaine précédente, avait utilisé l’image du « pointillisme » pour évoquer la technique du faisceau d’indices, invitant la cour à faire un ou deux pas de recul pour considérer le tableau dans son ensemble. Après quelques considérations sur l’histoire de l’art, et même la peinture en bâtiment, un avocat résume la position commune : « Ce n’est même pas du pointillisme, c’est du trompe-l’œil. On vous a créé brillamment une illusion. Mais un dossier pénal ne se regarde pas de loin, il se regarde de très près. » Bref, de ces « petits points », on discute la précision et la concordance. « Avec tout un tas de petits bouts de ficelle, ils essaient de faire une corde pour pendre les prévenus », conclut plus dramatiquement un confrère.
On commence avec le président de l’EPFR, Bernard Scemama (trois mois de sursis simple requis). L’avocat cite d’abord le jugement de première instance, duquel il ressort que son client « a agi […] sans dénaturer ses fonctions ». Puis embraye : « Le parquet a fait appel de la relaxe qu’il avait lui-même sollicitée, ce qui est, il faut quand même bien le dire, une curiosité juridique. » Sur le détournement de fonds, il souligne que « la qualification n’est pas opérante, puisque ce n’est pas lui l’ordonnateur, c’est le ministre. Il n’est pas non plus le comptable public qui a procédé au paiement, ni le dépositaire, puisque les fonds étaient sur un sous-compte de celui du ministère à la Banque de France ». La négligence ne serait pas davantage constituée, dans la mesure où « il y avait déjà beaucoup de bonnes fées autour du berceau [du dossier], et d’ailleurs assez chères », à commencer par « trois cabinets majeurs de la place, qui […] totalisent plus de 300, et peut-être même 500 avocats. Mais aussi des consultants extérieurs spécialisés en arbitrage, des professeurs qui sont des sommités, la crème de la crème », et plusieurs directions juridiques. Et d’ajouter : « Ceux qui sont devant vous n’étaient pas débiteurs de l’obligation de conseil. Ils en étaient créanciers. »
L’avocat de l’arbitre Pierre Estoup s’interroge sur le sens des peines requises par le parquet général, à savoir « des peines de prison, même avec sursis [trois ans le concernant, ndlr], à l’égard de personnes dont l’espérance de vie se compte en mois, peut-être en semaines ». Il ajoute à l’attention de la cour que « du côté de l’accusation, on attend de vous une forme d’assistance, pour parachever une mauvaise besogne ». Il raille aussi le changement de pied du parquet général, passé d’une escroquerie, centrée sur la remise des fonds, à une escroquerie au jugement, reposant sur l’obtention de la décision arbitrale : « C’est une infraction qui est consommée […] par la remise du jugement, donc la prescription […] commence à courir à compter du prononcé de la sentence. […] Or, à l’époque, elle était de trois ans » et n’avait a priori pas été interrompue à temps. Il convoque pêle-mêle Kundera, Giraudoux et Camus, avant d’expliquer : « La véritable affaire Tapie […] n’est pas pénale. La prémisse, c’est que Tapie a reçu trop d’argent, […] il faut le faire rembourser […] alors on fabrique une escroquerie. »
La défense de Maurice Lantourne (trois ans de sursis simple requis) souligne quant à elle que « ce dossier a été traité à l’envers. On a d’abord jugé le civil, puis la négligence […], seule infraction qui ne nécessite pas d’intention délictuelle, puis le détournement […]. On vous dit que, puisque Christine Lagarde a été condamnée, vous devez condamner. C’est inacceptable ». Non sans avoir souligné que « le parquet est indivisible, mais il est versatile », l’avocat enfonce le clou sur l’escroquerie : « Quelle est la manœuvre, quelle est la remise, on ne sait pas… » Il revient sur l’une de ces « manœuvres », d’ailleurs hors période de prévention : « Je ne vois pas en quoi ce serait une infraction pénale d’informer un arbitre que vous pourriez peut-être le désigner, avec des pièces qui seraient peut-être un peu trop nombreuses. » Puis passe au préjudice moral (à 45 millions d’euros) de Tapie, « l’alpha et l’oméga de ce dossier », en soulignant que, dans la mesure où il incluait nécessairement un préjudice de carrière qui ne disait pas son nom, il ne peut donc être comparé aux préjudices d’affection sur lesquels on disserte depuis plusieurs semaines. Il explique enfin que l’ORTC ne tient pas compte de la coexistence de deux organismes : la SA CDR et la SAS CDR Créances. Avant de conclure : « Vous ne pouvez détruire cet homme au motif de sauver vos décisions. »
Le second avocat du même Lantourne rappelle que le parquet général a requis contre son client « deux morts, une mort professionnelle et une mort civile ». Il souligne également son abnégation, puisque « Tapie n’est pas réputé pour payer les notes d’honoraires qu’on lui adresse ». Il raille l’information judiciaire : « Ça se termine avec le renvoi d’un arbitre sur trois, un avocat sur cinq, et quelques hauts fonctionnaires dont j’avoue ne pas comprendre la présence ici. » Puis en vient « à l’ignoble Pierre Estoup, le corrompu ». « Je suis prêt à dire beaucoup de choses sur la justice française, mais elle n’est pas corrompue », explique-t-il avant de définir ledit Estoup comme un « brave petit monsieur ». Lui aussi anticipe une tentation de cohérence judiciaire de la cour : « Vous n’êtes pas tenu par la décision civile […], d’autant moins qu’elle a été rendue hors la présence de Maurice Lantourne […] et sans le moindre élément à décharge. » Il précise que cet arrêt, « quelles que soient les critiques que vous avez pu entendre à cette audience, est applicable, et Bernard Tapie doit payer les 600 millions, enfin s’il survit à tout cela ». Il revient finalement à son client : « Vous avez un avocat qui a fait son boulot d’avocat, qui l’a même fait très bien. Et même trop bien. Mais si on peut être condamné pour être trop bon, on va tous devenir médiocres. Ou [s’installer] dans les fauteuils confortables de la partie civile. »
Le dernier jour, on passe à Stéphane Richard, dircab’ de Christine Lagarde (trois ans dont un ferme requis). « À chaque fois qu’il y a un ministre qui sauve sa tête, il y a un directeur de cabinet qui trinque », préambule son premier avocat. Sur la coexistence de l’escroquerie et du détournement de fonds, il défend le principe non bis in idem : « Quand ils ont fait leur ORTC, [les magistrats instructeurs] ont pris tous les faits, et dessus, ils ont mis deux étiquettes. […] Le tribunal [a eu raison de] retenir la prévention la plus large. » Sur la notion de complicité, il souligne en outre que l’on « ne peut pas être complice de ce que l’on ignore. Or il y a un morceau d’anthologie [dans l’ORTC] qui énonce que “s’il ne connaissait sans doute pas dans le détail les stratagèmes […], il en avait nécessairement conscience”. On a à la fois une litote et un syllogisme. Tapie est un escroc, or Tapie veut un arbitrage, donc l’arbitrage est une escroquerie ». Sur la notion de « faute politique », il ajoute : « Gouverner, c’est choisir […], les choix ne sont pas forcément bons mais il faut les assumer. » Le second avocat de Richard cite quant à lui in extenso des paragraphes entiers d’auditions de Christine Lagarde. Comme les cours des étudiants en droit, certaines pages sont même intégralement couvertes de Stabilo jaune. En attaquant sa dernière pochette, il lâche finalement : « Pardon, j’ai l’impression d’être long », ce qui déclenche quelques hochements de tête approbateurs. Avant de tourner les talons, Stéphane Richard aimerait bien intercaler une déclaration, indiquant notamment : « J’ai découvert le droit et la procédure pénale à l’occasion de ce procès, qui m’aura au moins apporté ça. » Reste que la justice qu’il entrevoit n’est pas nécessairement celle du quidam. Ne serait-ce que parce que la cour lui laisse un « dernier mot » d’une bonne vingtaine de minutes sans l’interrompre.
On conclut avec Jean-François Rocchi, ancien président du CDR (trois ans dont deux ferme requis). Son avocate rebondit sur les réquisitions du parquet général : « On va nous dire que l’élément intentionnel, c’est que, dès le départ, nous avions une appétence pour l’arbitrage. […] En somme, [on] vous donne un élément intentionnel préexistant à une infraction qu’on ne connaît pas. » Elle reprend successivement les (vingt-deux) griefs de l’ORTC, avant de considérer : « Il n’y a rien d’anormal, rien d’illégal, ce n’est même pas un début de faisceau. » Constatant que le CDR tient mordicus à ne surtout pas faire annuler le compromis arbitral tout en faisant mine de le contester, elle ajoute : « On [lui] reproche d’avoir fait n’importe quoi, mais le travail [qu’il a] fait sert aujourd’hui encore au CDR. » Sur les anomalies ou incongruités dans le processus d’arbitrage, elle précise que Rocchi « était président d’une SA, […] il n’y connaissait rien, et il avait des avocats. » Sur l’absence de recours, elle souligne : « Ce qu’il demande à ses administrateurs, c’est […] de ne pas se laisser aller à une analyse politique ou qui fasse du bien au peuple. » Elle objecte également que son client « était mandataire social, et pas chargé d’une mission de service public ». « Vous avez ici un innocent qui n’a fait que son travail », conclut-elle.
L’arrêt, sur le fond comme l’embrouillamini joint au fil des semaines, sera rendu le mercredi 6 octobre.
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