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Les prochaines batailles de l’espace judiciaire européen

En matière judiciaire, le nouveau parlement européen devrait connaître un mandat de transition, plusieurs outils adoptés devant être mis en place, comme le parquet européen. Le nom du procureur européen sera d’ailleurs l’objet de la première bataille, Parlement et Conseil s’opposant entre deux candidatures, une roumaine et une française.

par Pierre Januelle 5 juin 2019

Une coopération judiciaire arrivée à maturité

Les outils de coopération judiciaire mettent beaucoup de temps pour être élaborés et adoptés par les instances de l’Union, transposés dans les états et plus encore pour être appropriés dans les juridictions. Plusieurs outils sont toutefois arrivés à maturité, par exemple le mandat d’arrêt européen. Selon le rapport des sénateurs Jacques Bigot et Sophie Joissains, en 2017, 1 271 mandats d’arrêt européens ont été émis par les juridictions françaises (376 personnes ont été remises aux autorités françaises). Inversement, comme état requis, la France a traité 643 mandats (qui ont abouti à 446 remises). Les procédures sont traitées en moyenne en vingt-deux jours.

Autre exemple : Eurojust, agence européenne chargée de renforcer la coopération judiciaire. Eurojust a ouvert, en 2018, 3 148 dossiers de coopération (dont 76 pour terrorisme), un chiffre qui a augmenté de 75 % depuis 2014. Ces saisines concernent principalement des dossiers bilatéraux (entre deux états), les dossiers multilatéraux ne représentant que 16 % des cas. Pour autant, le budget Eurojust stagne (38,1 millions d’euros).

Le nouveau pas du parquet européen

Pour aller plus loin, plusieurs pays ont poussé à la création d’un parquet européen (v. Dalloz actualité, 20 juin 2017, obs. P. Dufourq isset(node/185491) ? node/185491 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>185491). L’unanimité ayant fait défaut, le parquet européen se base sur une coopération renforcée de plusieurs états. Une coopération large, puisque tous les pays européens y participent, sauf le Royaume-Uni, l’Irlande, le Danemark, la Hongrie, la Pologne et la Suède.

Le parquet européen sera compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices des infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union (fraude aux fonds structurels, fraude à TVA supérieure à 10 millions d’euros). On estime à une cinquantaine le nombre de dossiers annuels qui devraient relever de sa compétence.

Il sera organisé sur deux niveaux. Un niveau centralisé, à Luxembourg, avec le chef du parquet européen, ses deux adjoints et un collège des procureurs composé par un « procureur européen » de chaque pays. Pour l’opération, des chambres permanentes seront établies. Au niveau décentralisé, les procureurs européens délégués agiront au nom du parquet européen, suivant les instructions de la chambre permanente chargée de l’affaire.

Selon le rapport sénatorial, 115 personnes rejoindront le parquet européen d’ici 2023 (dont 45 en provenance de l’Office européen de lutte contre la fraude [OLAF] et 16 d’Eurojust). Pour parachever la transposition en France du parquet européen, deux lois (une simple et une organique) devraient être adoptées d’ici l’été 2020.

Dans son discours de la Sorbonne, le président Emmanuel Macron demandait l’élargissement des compétences du parquet à la lutte contre le terrorisme et le crime organisé (v. Dalloz actualité, 28 sept. 2017, art. M.B. isset(node/186794) ? node/186794 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>186794). Une proposition illusoire. Si l’extension à la criminalité organisée aurait du sens, la lutte contre le terrorisme reste un domaine très politique. D’autant que tout élargissement nécessite l’unanimité des états.

Bataille entre le Conseil et le Parlement pour le choix du procureur européen

Le chef du parquet européen doit être nommé conjointement par le Parlement européen et le Conseil pour un mandat non renouvelable de sept ans. Mais le processus de nomination est actuellement à l’arrêt. Début février, un comité de sélection avait désigné trois candidats : le Français Jean-François Bohnert, procureur général près la cour d’appel de Reims, l’ancienne procureure en chef de la Direction nationale anticorruption roumaine, Laura Codruța Kövesi, et un magistrat allemand, Andrés Ritter.

Au sein du conseil, les états ont clairement affirmé leur préférence pour la candidature de Jean-François Bohnert qui dispose d’un parcours solide : ancien magistrat de liaison, passé par Eurojust, maîtrisant plusieurs langues. Il a bénéficié du lobbying de la France, qui s’est vue reconnaître son rôle moteur dans la création du parquet européen. Au sein du Comité des représentants permanents (COREPER), Bohnert est arrivé largement premier avec cinquante points (Kövesi et Ritter obtenant, ex æquo, vingt-neuf points). Mais, fin février, deux commissions du parlement européen ont marqué une légère préférence pour la magistrate roumaine face à la candidature de Bohnert.

Laura Codruța Kövesi a un profil à l’opposé du français. Moins à l’aise dans la coopération judiciaire, elle est une héroïne de la lutte anticorruption en Roumanie. Elle y fait face à l’hostilité des sociodémocrates et du président du parlement roumain, Liviu Dragnea. Celui-ci vient d’être condamné à trois ans et demi de prison pour corruption, à la suite d’enquêtes conduite par la Direction nationale anticorruption. La campagne contre Codruța Kövesi est rude : elle fait l’objet d’une enquête pour corruption et reste soumise à un dur contrôle judiciaire. Plusieurs eurodéputés ont dénoncé le harcèlement de l’État roumain envers cette magistrate.

L’issue de ce duel entre Conseil et Parlement apparaît incertaine. Le Parlement européen, du fait de son renouvellement, pourrait changer de position. Mais la campagne menée par son gouvernement corrompu pourrait paradoxalement renforcer la magistrate roumaine : les eurodéputés sont sensibles à la capacité d’un procureur européen d’incarner la lutte contre la corruption étatique. D’autant que les enquêtes sur l’utilisation des fonds structurels menacent parfois les dirigeants de certains États.