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La procréation post mortem par transfert in utero d’embryons humains : le Conseil d’État dit toujours non

Par une décision du 28 novembre 2024, le Conseil d’État juge à nouveau le dispositif résultant de la loi de bioéthique n° 2021-1017 du 2 août 2021 relatif à l’interdiction de la procréation post mortem et de l’exportation d’embryons humains vers l’étranger à cette fin compatible avec la Convention européenne des droits de l’homme sous réserve de circonstances particulières caractérisant une atteinte disproportionnée aux droits qu’elle garantit.

Depuis plusieurs années en France se sont multipliées en justice des demandes d’assistance médicale à la procréation (AMP) post mortem. Elles ont donné lieu à des décisions généralement défavorables. Le Conseil d’État s’est en général montré hostile à accueillir favorablement de telles demandes, notamment celles d’exportation de gamètes comme celles d’embryons humains conçus in vitro vers l’étranger, en vue d’y obtenir une AMP dans des conditions interdites en France (v. pour le rejet de demandes d’exportation portant sur des gamètes, CE 13 juin 2018, n° 421333, AJDA 2018. 2278 ; D. 2019. 725, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; 4 déc. 2018, n° 425446, D. 2019. 725, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ fam. 2019. 64, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; 28 déc. 2021, n° 456966 ; ou sur des déplacements d’embryons humains, CE 24 janv. 2020, n° 437328, D. 2021. 657, obs. P. Hilt ; AJ fam. 2020. 88, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2020. 355, obs. A.-M. Leroyer ). Rien de surprenant a priori au regard des dispositions de la loi. Il faut bien reconnaître en la matière une constance de la législation qui, depuis 1994, nonobstant ses multiples révisions, prohibe la procréation post mortem en faisant du décès de l’un des membres du couple un obstacle à l’insémination artificielle ou au transfert embryonnaire dès lors que ce décès est survenu avant l’insémination ou le transfert de l’embryon. La même hostilité du Conseil d’État a pu être constatée sous l’angle du droit résultant de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique, malgré l’ouverture de l’accès à l’AMP à des couples de femmes ou à des femmes seules (v. à propos de demandes refusées d’exportation d’ovocytes dans le cadre de la loi de 2021, CE 27 oct. 2022, n° 467726 et n° 467727, Dalloz actualité, 21 nov. 2022, obs. D. Vigneau ; D. 2023. 807, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 855, obs. RÉGINE ; AJ fam. 2022. 569, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2023. 80, obs. A.-M. Leroyer ). Elle l’a été également sous l’angle du droit européen tel qu’interprété par le Conseil d’État puisque ce dernier a déjà eu l’occasion de poser que la loi ne méconnaît pas les exigences nées de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme garantissant le respect de la vie privée et familiale. On pointera néanmoins que le Conseil d’État a pu, exceptionnellement, s’affranchir de cette rigueur, en considération de « circonstances particulières » et sur le même fondement de l’article 8 de la Convention, en accueillant favorablement une demande d’exportation de gamètes vers l’Espagne au motif que la femme était d’origine espagnole et était retournée vivre en Espagne (CE 31 mai 2016, Gonzales Gomez, n° 396848, Dalloz actualité, 2 juin 2016, obs. M.-C. de Montecler ; Lebon avec les conclusions ; AJDA 2016. 1092 ; ibid. 1398 , chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet ; D. 2016. 1470, obs. M.-C. de Montecler ; ibid. 1472, note H. Fulchiron ; ibid. 1477, note B. Haftel ; ibid. 2017. 729, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 781, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 935, obs. RÉGINE ; ibid. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2016. 439, obs. C. Siffrein-Blanc ; ibid. 360, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RFDA 2016. 740, concl. A. Bretonneau ; ibid. 754, note P. Delvolvé ; RTD civ. 2016. 578, obs. P. Deumier ; ibid. 600, obs. J. Hauser ; ibid. 802, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 834, obs. J. Hauser ; RTD eur. 2017. 319, obs. D. Ritleng ).

De prime abord donc, la décision rapportée du Conseil d’État du 28 novembre 2024 ne va pas sortir des sentiers battus. En l’espèce, un couple marié avait débuté en 2022 un parcours d’AMP avec fécondation in vitro (FIV) et conservation d’embryons auprès d’un centre hospitalier universitaire. À la suite du décès de son époux, la veuve avait demandé à l’Agence de la biomédecine (ABM) l’autorisation de faire sortir du territoire les embryons du couple conservés par ce centre vers l’Espagne aux fins de poursuite de leur projet parental mais en vain, l’ABM lui ayant notifié en juillet 2024 une décision rejetant sa demande. La veuve avait en même temps demandé au centre hospitalier la poursuite du parcours d’AMP et le transfert des embryons conservés, en vain également en raison du rejet de sa demande par le centre en juin 2024. La veuve saisit le juge des référés du tribunal administratif pour demander d’une part qu’il soit enjoint à l’ABM d’autoriser la sortie du territoire des embryons du couple vers l’Espagne et d’autre part, la suspension de la décision de rejet du centre hospitalier et le réexamen de sa demande de transfert embryonnaire. Par deux ordonnances des 16 août et 3 octobre 2024, le juge des référés du tribunal administratif rejeta les demandes de la veuve. C’est sur les pourvois de la veuve en cassation devant le Conseil d’État que ce dernier, statuant sur les deux demandes jointes, se prononce par la décision rapportée. Il rejette les pourvois.

On n’insistera pas sur le rappel classique par le Conseil d’État de l’office du juge administratif des référés qui lui permet, en application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’ordonner toutes mesures urgentes et nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale, et en application de l’article L. 521-1 du même code, d’ordonner la suspension de l’exécution d’une décision administrative, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

La décision du Conseil d’État, bien qu’elle s’inscrive sans réelle surprise dans sa jurisprudence hostile à la procréation post mortem, présente néanmoins un intérêt certain en raison de l’interprétation plus affinée qu’elle donne de la compatibilité avec les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme du nouveau cadre juridique applicable en la cause, résultant de la loi de bioéthique du 2 août 2021.

Cadre juridique applicable à la procréation post mortem

Classiquement, le Conseil d’État prend soin...

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