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Production forcée de données structurées en matière de private enforcement : les modalités précisées

La directive relative aux actions en réparation des pratiques anticoncurrentielles prévoit que les juridictions nationales doivent pouvoir enjoindre aux auteurs de pratiques anticoncurrentielles de produire les preuves pertinentes pour l’indemnisation de la victime. Cette production s’entend non seulement de preuves préexistantes à l’état brut mais également de documents à créer résultant de l’agrégation ou de la classification de données.

Cet arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne montre à quel point l’exploitation et le traitement des données revêtent une dimension primordiale dans les actions indemnitaires des pratiques anticoncurrentielles. La directive 2014/104 relative à ces actions octroie d’ailleurs une place significative à l’enjeu de la production de preuves au profit de la victime qui se trouve placée dans une situation d’asymétrie probatoire par rapport à l’auteur de la pratique. Mais l’enjeu consiste à pouvoir déterminer l’étendue des possibilités de cette production ainsi que l’équilibre des intérêts des parties.

La Cour de justice devait en l’occurrence se prononcer sur l’interprétation de la notion de preuve pertinente au sens de l’article 5, § 1, de la directive dans le cadre d’une question préjudicielle du tribunal de commerce de Barcelone. Saisie d’une action en réparation à la suite de la condamnation du cartel des fabricants de camions, le tribunal doutait qu’il pût ordonner au constructeur de camions DAF d’élaborer et de produire un document nouveau présentant une comparaison des prix recommandés avant, pendant et après la période de l’entente ; autrement dit à transmettre des données qui ne se limitent pas à des données brutes mais ayant fait l’objet d’un traitement et d’une classification. Pour considérer que la juridiction saisie d’une demande indemnitaire dispose de ce pouvoir, la Cour est conduite à devoir tenir des raisonnements qui ne procédaient pas de l’évidence : d’abord en vérifiant que les règles de la directive relatives à la production des preuves s’appliquaient à des faits qui lui sont antérieurs, ensuite en dépassant la lettre du texte qui ne favorise guère la solution retenue.

Application ratione temporis de l’article 5, § 1, de la directive

La Cour de justice devait en premier lieu s’assurer que les dispositions en cause étaient applicables alors que le cartel s’était déroulé avant l’adoption de la directive. Dans la lignée de son récent arrêt Volvo (CJUE 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks, aff. C-267/20, D. 2022. 1260 ), elle rappelle qu’au visa de l’article 22 de la directive, ses dispositions non substantielles s’appliquent immédiatement.

Or on sait qu’une directive ne peut, avant l’entrée en vigueur de sa transposition, créer d’obligations entre des particuliers, comme vient de le rappeler la Cour de cassation (Com. 19 oct. 2022, n° 21-19.197 P, Dalloz actualité, 9 nov. 2022, obs. L.-M. Augagneur ; D. 2022. 1852 ) conformément à la jurisprudence bien établie de la Cour de justice (CJCE 26 févr. 1986, C-152/84, Rec. p. 723, pt 48 ; 14 juill. 1994, aff. C-91/92, Rec. p. I-3325, pt 20, D. 1994. 192 ; RTD eur. 1995. 11, étude F. Emmert et M. Pereira De Azevedo ; 5 oct. 2004, aff. C-397/01 à C-403/01, pt 108, AJDA 2004. 2261, chron. J.-M. Belorgey, S. Gervasoni et C. Lambert ; 19 janv. 2010, aff. C-555/07, pt 46, AJDA 2010. 248, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat ; RDT 2010. 237, obs. M. Schmitt ; RTD eur. 2010. 113, chron. L. Coutron ; ibid. 599, chron. L. Coutron ; ibid. 673, chron. S. Robin-Olivier ; ibid. 2011. 41, étude E. Bribosia et T. Bombois ; Rev. UE 2013. 313, chron. E. Sabatakakis ).

Or la contrainte à la production de preuves est destinée à conférer à la partie qui les obtient « un atout qu’elle ne...

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