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Article
Projet de loi Asile et Immigration : entre fermeté et régression des droits
Projet de loi Asile et Immigration : entre fermeté et régression des droits
Le ministre de l’intérieur a présenté, devant le conseil des ministres du 21 février 2018, son projet de loi « pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif ». Ce projet ne s’inscrit pas dans la lignée des grandes lois, mais se caractérise par une réforme d’ajustement d’esprit plutôt technocratique, visant principalement à colmater des brèches, réduire le périmètre de certains droits, abaisser la pression que font peser les contraintes de temps sur les juridictions et, au demeurant, faciliter l’action administrative.
par Christophe Poulyle 23 février 2018
Le projet de loi s’articule autour de trois axes, que Gérard Collomb définit comme la garantie « de l’exercice et de l’effectivité du droit d’asile », le renforcement de « l’efficacité et de la crédibilité de la lutte contre l’immigration irrégulière » et « l’amélioration des conditions d’intégration et d’accueil des étrangers en situation régulière ».
Les droits de demandeurs d’asile en régression
Ce qu’il faut en retenir au premier abord, c’est une régression des garanties octroyées aux demandeurs d’asile. Très concrètement, outre le placement en procédure accélérée des demandes déposées tardivement, plus de 90 jours après l’entrée sur le territoire, ou la clôture des demandes qui ne sont pas introduites dans le délai imparti suivant la présentation au guichet unique, le caractère suspensif du recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) est supprimé pour toutes les demandes de réexamen, lorsque le demandeur provient d’un pays d’origine sûr ou lorsque la présence de ce dernier constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l’État. Les demandeurs d’asile faisant l’objet d’une mesure d’expulsion ou d’interdiction du territoire peuvent être assignés à résidence ou placés en rétention pendant l’examen de leur demande. Parallèlement, le gouvernement a pris soin d’instituer une nouvelle procédure juridictionnelle, dite de « sursis à exécution », relevant de la compétence du tribunal administratif, qui permettrait au demandeur de solliciter la suspension de l’exécution de la mesure d’éloignement dans l’attente de la décision prise par la CNDA sur le recours introduit contre la décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), lorsque les éléments qu’il ferait valoir seraient jugés suffisamment sérieux et de nature à justifier son maintien sur le territoire. Procédure hasardeuse, qui place le président du tribunal administratif, ou plutôt le magistrat qu’il désigne, en position de juge de l’asile, qui alourdira un peu plus la charge contentieuse pesant sur la juridiction administrative, et à laquelle le Conseil d’État a vivement recommandé d’y renoncer. Le délai de saisine de la Cour est aussi ramené à 15 jours – ce qui mécaniquement risque d’augmenter le nombre de recours tardifs – et la compétence du président ou des présidents de section de la CNDA statuant à juge unique est étendue aux décisions de retrait de la protection internationale. Le formalisme procédural est allégé, la décision de l’OFPRA pouvant être notifiée par tout moyen et celle rendue par la CNDA opposable dès sa lecture en séance publique. Et, pour éviter l’annulation d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) prise après le rejet d’une demande d’asile au motif d’un défaut d’examen de situation, il est prévu que l’étranger qui entend se prévaloir d’un droit au séjour en dehors de sa demande de protection internationale doive le faire valoir, dans ces conditions qui seront fixées par décret, parallèlement à l’examen de sa demande d’asile, ce qui conduira le préfet à y répondre concomitamment à l’édiction de l’OQTF.
Enfin, les conditions matérielles d’accueil des demandeurs d’asile se voient soumises à un régime directif et s’apparentent de plus en plus à une assignation à résidence. Les demandeurs doivent résider, de manière effective, dans la région vers laquelle ils ont été orientés, et doivent solliciter une autorisation pour en sortir, sauf motifs impérieux, sous peine de se voir retirer, de plein droit, le bénéfice de ces prestations.
Fermeté assumée sur les mesures d’éloignement
Dans la même logique, priorité est donnée à une meilleure garantie de l’exécution effective des mesures de refoulement ou d’éloignement prononcées. En premier lieu, en jouant sur le périmètre de la définition du risque de fuite et de celle concernant « les garanties de représentation », lequel détermine, par voie de conséquence, le recours à des mesures coercitives. En second lieu, en verrouillant les procédures juridictionnelles, dont l’objet est pourtant d’assurer le contrôle du respect des droits des intéressés, allongeant ici de 24 heures le délai imparti au JLD pour statuer (ce qui évite son dessaisissement lorsque le délai de 24 heures n’est pas suffisant pour organiser une audience), portant là à 10 heures la durée au cours de laquelle le procureur de la République peut interjeter appel suspensif de l’ordonnance du juge de la détention et des libertés (JLD), impliquant la mise à disposition du retenu pendant ce temps durant laquelle l’étranger peut à nouveau contacter un avocat, un tiers, rencontrer un médecin et s’alimenter. Le juge administratif bénéficie, pour sa part, de 24 heures de plus pour statuer, portant le délai à 96 heures à compter de l’expiration du délai de 48 heures au terme duquel le recours doit être introduit, lorsque l’étranger est placé en rétention ou assigné à résidence. En outre, la mise en œuvre des vidéo-audiences n’est plus subordonnée à l’accord du retenu (ou des personnes maintenues dans les procédures à la frontière). Enfin, la faculté qu’a le juge judiciaire d’assigner à résidence est encore plus limitée en raison, d’une part, de la justification, par l’étranger, d’une adresse dans un local affecté à son habitation principale, ce qui exclut désormais les propositions d’hébergement ponctuelles et, d’autre part, de l’extension de l’obligation de motivation spéciale imposée dès que l’intéressé ne s’est pas conformé à une mesure d’éloignement antérieure qui n’est plus en vigueur. Enfin, le régime juridique de l’interdiction de retour sur le territoire est précisé, en réparant une malfaçon résultant de la loi du 7 mars 2016 et en codifiant la portée, conformément à ce qui a été jugé par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE 26 juill. 2017, aff. C-225/16, AJDA 2017. 2299, chron. P. Bonneville, E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ). Une interdiction dite de circulation sur le territoire français est également prévue à l’encontre de certaines personnes faisant l’objet d’une remise « Schengen » aux autorités d’un autre État membre. Et, last but not least, la durée de rétention administrative peut être portée jusqu’à 135 jours (contre 45 aujourd’hui), fractionnée de sorte que cette durée totale s’inscrive dans une succession de prolongations, accordées en raison de motifs particuliers, par l’autorité judiciaire ; mécanisme conforme aux exigences du paragraphe 3 de l’article 15 de la directive « retour », mais critiquable et critiqué par le Conseil d’État quant aux motifs justifiant les prolongations au-delà des 90 jours. La durée de retenue pour vérification du droit au séjour et de circulation est alignée sur celle de la garde à vue (24 heures), et celle de l’assignation à résidence des étrangers frappés d’une interdiction du territoire pourra être fixée pour une durée de cinq ans (en réponse à la censure du Conseil constitutionnel qui a jugé que le caractère indéfini de la durée, dans ce cas précisément et en l’absence de circonstances particulières, portait une atteinte disproportionnée à la liberté d’aller et venir (Cons. const. 1er déc. 2017, n° 2017-674 QPC, AJDA 2017. 2382 ; D. 2017. 2430 ).
L’accueil, parent pauvre du projet de loi
Enfin, les dispositions relatives à l’admission au séjour sont légèrement modifiées, soit pour en élargir le bénéfice à de nouvelles catégories d’étrangers, soit pour contrôler plus strictement les conditions de délivrance de titre de séjour. D’un côté, c’est d’abord une transposition, a minima, de la refonte de la directive européenne concernant les étudiants, chercheurs, stagiaires et jeunes au pair (Dir. [UE] 2016/810 du Parlement européen et du Conseil, 11 mai 2016), qui conduit le gouvernement à créer des statuts propres aux étudiants et chercheurs bénéficiant de programmes de mobilité au sein de l’Union, et une carte de séjour temporaire spécifique « jeune au pair ». L’autorisation provisoire de séjour établissant une passerelle entre le statut d’étudiant et celui de salarié ou d’entrepreneur est supprimée au bénéfice de la création d’une carte de séjour temporaire « recherche d’emploi ou création d’entreprise ». La carte de séjour « passeport talent » voit son périmètre légèrement étendu (chercheurs en mobilité et salariés d’entreprises innovantes reconnues par un organisme public, ou toute personne susceptible de participer de façon significative et durable au développement économique, au développement de l’aménagement du territoire ou au rayonnement de la France). Les critères de délivrance de la carte de séjour temporaire mention « visiteur » ainsi que du document de circulation délivré aux étrangers mineurs sont précisés, et la carte de séjour délivrée aux salariés détachés dans le cadre d’un transfert intragroupe (ICT) n’est plus renouvelable.
Mais d’un autre côté, la délivrance de la carte de séjour mention « vie privée et familiale » en qualité de parent d’enfant français, dont les conditions sont précisées, est remise en cause par une procédure de contestation des conditions d’établissement de la filiation. En imposant, d’une part, la présentation d’une pièce d’identité à l’occasion de toute reconnaissance et de la justification du domicile. En instituant, d’autre part, une procédure d’opposition à la reconnaissance, un peu sur le modèle de celle prévue pour prévenir les mariages frauduleux. L’officier d’état civil informe le procureur de la République d’une reconnaissance qu’il juge suspecte, et ce dernier dispose d’un délai de 15 jours pour décider soit d’enregistrer la reconnaissance, soit d’y sursoir le temps qu’il soit enquêté sur cette demande, soit de s’y opposer. Dans le deuxième cas, le sursis à enregistrement est fixé à un mois renouvelable une fois, durée portée à deux mois renouvelable dans les mêmes conditions lorsque l’enquête est menée par l’autorité consulaire ou diplomatique. Si l’opposition est prononcée, l’auteur de la reconnaissance peut en solliciter la mainlevée auprès du président du tribunal de grande instance qui statue dans un délai de 10 jours suivant sa saisine.
Il est évidemment probable que ce projet soit largement amendé au cours de la navette parlementaire, ce d’autant plus que de nombreuses réserves émises par le Conseil d’État n’ont pas été entendues, sans que, toutefois, sa philosophie soit remise en cause.
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