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Projet de loi asile-immigration : tant de bruit pour si peu

Après de longs et parfois virulents débats, le projet de loi « pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif » n’a été amendé que de manière marginale par l’Assemblée nationale. La discipline de parti a eu raison des réticences de l’aile gauche de la majorité, et n’en a que conforté l’autorité du ministre de l’Intérieur. Les grands équilibres ont été sauvegardés, ainsi d’ailleurs que les petits calculs. 

par Christophe Poulyle 24 avril 2018

Le projet de loi a été adopté le 22 avril 2018 à une large majorité (228 voix contre 139), après sept jours de débats.

Des amendements à la marge

L’Assemblée nationale a surtout amendé le texte dans une logique humanitaire, en rappelant ici ou là qu’il convenait de prendre en considération la vulnérabilité des personnes, notamment pour l’accès aux centres provisoires d’hébergement réservés aux bénéficiaires d’une protection internationale ou pour tout placement en rétention. La prise en compte du handicap « moteur, cognitif ou psychique » devient aussi un critère d’appréciation dans la mise en œuvre de la rétention, ce qui signifie surtout que le législateur en autorise sans ambiguïté le recours, alors que l’on aurait pu imaginer une proscription pure et simple, d’autres moyens moins coercitifs ayant pu être privilégiés.

Les députés ont fait passer à 90 jours la durée maximale de la rétention, qui est aujourd’hui d’une durée de 45 jours. Mais, à supposer que les sénateurs adoptent cette disposition sans la modifier, l’impact n’en sera que très limité, tant il est peu probable que des personnes soient retenues aussi longtemps, surtout dans la mesure où la priorité est désormais donnée à la conclusion d’accords de réadmission permettant l’usage du laissez-passer européen afin de palier les défaillances des pays tiers sur ce point.

Assignation à résidence, l’art de contourner la jurisprudence

C’est une disposition qui semble anodine, mais qui neutralise pourtant la portée d’un avis du Conseil d’Etat qui a interprété les dispositions de l’article L. 561-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, applicable aux assignations à résidence de courte durée, comme autorisant l’assignation à résidence, « en dehors des hypothèses où elle inclut une astreinte à domicile », en présence d’une domiciliation postale (CE, avis, 11 avr. 2018, n° 415174, AJDA 2018. 828 ). Dans la rédaction de cette disposition, telle qu’issue de la première lecture, l’astreinte à domicile est généralisée à toutes les mesures d’éloignement, à la discrétion de l’autorité administrative, dans la limite de trois heures consécutives par vingt-quatre heures, sans préjudice du régime plus contraignant réservé aux personnes expulsées ou interdites du territoire français. Cela signifie donc que l’administration peut prononcer une astreinte à domicile dans tous les cas et surtout substituer un placement en rétention à une assignation à résidence dès lors que la personne ne justifiera que d’une domiciliation postale puisqu’elle ne pourra pas être astreinte à domicile.

Des corrections symboliques…

Le délai au terme duquel un demandeur d’asile peut travailler est réduit à six mois, au lieu des neuf mois initialement prévus. Mais dans le même temps, le législateur précise qu’il appartient à l’intéressé d’en faire la demande et que faute de réponse de l’autorité compétente au terme d’un délai de deux mois, l’autorisation de travail est réputée acquise. Si bien qu’en fait, le demandeur ne pourra travailler au terme d’un délai de huit mois dans la plupart des cas puisqu’il est presque inévitable qu’en adoptant le principe du silence valant acceptation, l’autorité compétente ne répondra qu’en cas de refus. Le pouvoir d’appréciation du préfet, en présence d’une demande de titre de séjour pour soins ayant reçu un avis favorable, a été encadré. Le préfet pourra toujours passer outre cet avis favorable mais à la seule condition de motiver spécialement sa décision.

…Et de petites innovations

De manière plus inattendue, l’Assemblée a adopté un amendement, suggéré par Emmaüs comme le souligne l’exposé des motifs, précisant que les personnes hébergées pendant au moins trois ans par des organismes d’accueil communautaire et d’activités solidaires doivent bénéficier de plein droit d’une admission exceptionnelle au séjour, sous réserve que les demandeurs soient soutenus par ces mêmes organismes dont il appartiendra d’attester « d’un parcours d’intégration complet et de l’accompagnement de leur projet personne ». Le nombre de personnes concernées sera assez marginal.

Enfin, au titre des simplifications des démarches administratives, l’Assemblée a décidé que les droits afférents à la possession d’un titre de séjour étaient maintenus durant les trois mois suivant l’expiration de la date de validité de ce titre, sur simple justification d’une demande de renouvellement. Le récépissé de demande de renouvellement de titre de séjour, qui est de moins en moins délivré dans les délais réglementaires, ne sera donc plus exigé. Il est toutefois précisé que ce dispositif ne sera applicable qu’en 2021.

Une révision du délit de solidarité en trompe-l’œil

Si la presse évoque, de manière presque unanime, un assouplissement du « délit de solidarité », en raison d’une extension des circonstances exonératoires en ce sens que sont ajouté, à la liste des faits justificatifs, « l’accompagnement » linguistique et social de l’étranger, ainsi que « tout transport lié à l’une de ces exceptions, sauf si l’acte a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte ou a été accompli dans un but lucratif », cette révision reste néanmoins symbolique. D’abord parce que jusqu’à présent, les personnes mise en cause l’ont rarement été à l’occasion d’une aide soit linguistique ou de nature « sociale », et l’ajout du « transport » n’est finalement qu’une des modalités de cette aide. Aussi parce que cette modification n’empêchera pas que ces personnes soient visées par des enquêtes et gardées-à-vue, à charge pour eux de s’expliquer sur l’aide apportée. Enfin, l’ajout du caractère lucratif de l’aide, en tant qu’il s’agit d’une condition alternative, n’en réduit en rien la portée du fait justificatif qui impose déjà que l’aide n’ait donné lieu « à aucune contrepartie, directe ou indirecte ». 

Il est permis de s’interroger sur la persistance de l’incompatibilité de la loi française avec le droit de l’Union. La directive 2002/90/CE du Conseil du 28 novembre 2002 définissant l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers précise bien, dans son article premier, point 1, sous b), que « chaque État membre adopte des sanctions appropriés (…) à l’encontre de quiconque aide sciemment, dans un but lucratif, une personne non ressortissante d’un État membre à séjourner sur le territoire d’un Etat membre en violation de la législation de cet Etat relative au séjour des étrangers ». Au sens de ces dispositions, le but lucratif est donc un élément constitutif et déterminant de l’infraction d’aide au séjour ; alors qu’en France, c’est le défaut de but lucratif, notamment mais pas seulement, qui peut conduire à l’exonération de la responsabilité pénale de la personne mise en cause. Dans ces conditions, selon le droit de l’Union, ce serait à l’autorité poursuivante de rapporter la preuve du but lucratif de l’aide (étant précisé qu’une contrepartie n’est pas nécessairement lucrative) alors qu’en droit interne, c’est au prévenu de rapporter la preuve qu’il n’a pas agit dans ce but, ce qui change tout, tant au regard de la décision de poursuivre que dans la possibilité de s’en défendre.

Compte tenu de l’accueil qui a été réservé au texte par les députés, les travaux du Sénat peuvent réserver quelques surprises. Ce qui est certain, c’est qu’ils révèlent un manque de maturité d’une Assemblée qui, dans deux cas (délai de recours contre les décisions de transfert et durée de validité de l’ordonnance de visite domiciliaire), a déjà abrogé ce qu’elle avait adopté un mois plus tôt à la faveur de la loi du 20 mars 2018.