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Le projet de loi de programmation prévoit un règlement des litiges sans audience

Poursuivant le chantier de la justice ouvert le 6 octobre 2017, un projet de loi de programmation pour la justice 2018-2022 prévoit en son article 12 un « règlement des litiges sans audience ».

par Corinne Bléryle 27 mars 2018

Poursuivant le chantier de la justice ouvert le 6 octobre 2017, un projet de loi de programmation pour la justice (PLPJ) 2018-2022 a été déposé au Conseil d’État et devrait être présenté en Conseil des ministres le 11 avril 2018. Il entend mettre en œuvre un certain nombre des préconisations émises par les groupes de travail.

Son titre II est ainsi consacré à la procédure civile (art. 1er à 18) et « s’inspire notamment des propositions issues du rapport remis à la garde des Sceaux le 15 janvier 2018 par Frédérique Agostini, présidente du tribunal de grande instance (TGI) de Melun, et Nicolas Molfessis, professeur à l’université Paris 2 Panthéon Assas » (v. l’exposé des motifs du projet de loi ; sur le rapport, v. Dalloz actualité, Dossier, 7 févr. 2018, par C. Bléry ; C. Brenner, La réforme de la procédure civile : un chantier de démolition ?, D. 2018. 361 ; J. Théron, Améliorer et simplifier la procédure civile. Comment regagner la confiance des justiciables ?, JCP 2018. 237).

La matière relève principalement du décret – annoncé pour « les prochaines semaines » (v. l’exposé des motifs, p. 1) – ; pour autant le PLPJ prévoit des « mesures destinées à structurer le futur, dans l’intérêt premier des justiciables, soucieux de bénéficier de décisions rendues dans les meilleurs délais et d’une qualité incontestable » (ibid.). Affirmation qui n’a pas convaincu les avocats, le Conseil national des barreaux (CNB) dénonçant « une déjudiciarisation qui aboutit à une véritable privatisation de la justice, en faisant primer une réduction de moyens qui aboutit à une justice sans juge, sans avocat et sans justiciable » (v. Dalloz actualité, 21 mars 2018, art. J. Mucchielli isset(node/189779) ? node/189779 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>189779).

En préalable, il faut préciser que le même PLPJ prévoit la suppression du tribunal d’instance, au profit du seul TGI (v. art. 54), tout en gardant cette appellation : le groupe de travail sur la procédure civile parlait de « tribunal judiciaire » (TJ), celui sur le réseau des juridictions évoquait, à côté de ce TJ un tribunal de proximité (TP). Le traitement de litiges qui relèvent actuellement du tribunal d’instance fait donc l’objet de dispositions visant le futur TGI. Il est aussi prévu que « le tribunal de grande instance peut comprendre, en dehors de son siège, des chambres dénommées “tribunal d’instance” […] » (COJ, art. L. 212-7, créé par PLPJ, art. 54, I, 12°).

Au nombre de ces dispositions, l’article 12 organise un « règlement des litiges sans audience ». Il insère deux articles, 3-1 et 3-2, dans la loi « J21 », n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, après l’article 3. Cet article 3 n’est pas codifié (pas plus que l’article 4 qui prévoit, « à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office », que la saisine du tribunal d’instance par déclaration au greffe soit précédée d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, sauf exception). Cette méthode n’est guère satisfaisante qui maintient dans des lois en grande partie codifiées des dispositions qui ne le sont pas et sont difficilement accessibles ; la sécurité juridique et la lisibilité du droit n’en sortent pas gagnantes. C’est donc dans la version en vigueur « trouée » que ces deux articles 3-1 et 3-2 sont insérés, dans un chapitre II intitulé « Faciliter l’accès à la justice ». Ils suscitent une interrogation relativement à la dispense d’audience.

Loi J21, article 3-1 : exigence de l’accord des parties

L’article 3-1 du PLPJ prévoit ainsi que « devant le tribunal de grande instance, la procédure peut, avec l’accord des parties, se dérouler sans audience ». L’article 3-2 dispose que « les demandes formées devant le tribunal de grande instance en paiement d’une somme n’excédant pas un montant défini par décret en Conseil d’État peuvent, avec l’accord des parties, être traitées dans le cadre d’une procédure dématérialisée. Dans ce cas, la procédure se déroule sans audience » (al. 1er) ; « toutefois, le tribunal peut décider de tenir une audience s’il estime qu’il n’est pas possible de rendre une décision au regard des preuves écrites ou si l’une des parties en fait la demande. Le tribunal peut, par décision spécialement motivée, rejeter cette demande s’il estime que, compte tenu des circonstances de l’espèce, une audience n’est pas nécessaire pour garantir le déroulement équitable de la procédure. Le refus de tenir une audience ne peut être contesté indépendamment du jugement sur le fond » (al. 2).

Le groupe de travail sur la procédure civile voulait « renouveler l’articulation de l’écrit et de l’oral » (p. 20-21). Il nous avait semblé qu’il souhaitait « en réalité consacrer la procédure écrite actuelle, avec la mise en état écrite et une audience de plaidoiries facultative, là où la procédure orale impose une mise en état à l’audience sous réserve d’avoir été dispensé de se présenter » (dossier préc.). Le rapport précisait que « cette nouvelle procédure permettrait également un traitement adapté des affaires relevant de l’urgence ou du provisoire, en ne recourant à l’oralité [plus rigoureusement à une audience de plaidoiries] que lorsqu’elle est jugée nécessaire par le juge ou sollicitée par les parties. Elle pourrait être abandonnée lorsqu’elle ne l’est pas, ce qui est souvent le cas dans les procédures de référé aux fins de mesure d’instruction, ce qui a d’ailleurs conduit à l’adoption récente de l’article 486-1 du code de procédure civile dispensant le défendeur qui a acquiescé à la demande de comparaître [alors qu’il s’agit d’une dispense de se présenter]. On pourrait envisager d’aller plus loin en permettant au juge de statuer sans audience, dès lors que les parties en seraient d’accord, ou que le défendeur, régulièrement informé de la requête aux fins de mesure d’instruction ce dont le requérant aura justifié, n’aurait pas, dans le délai imparti, fait valoir d’observations » (p. 21).

C’est donc cette dernière préconisation qui est retenue à l’article 3-1. Elle ne nous paraît pas critiquable, au moins pour la mise en état. D’ailleurs, en procédure orale actuelle, on constate que « les plaideurs se dispensent parfois déjà eux-mêmes de présentation, sans respecter les conditions posées à l’article 446-1 du code de procédure civile » (dossier préc.). Il nous semble cependant plus gênant de se passer d’audience de plaidoiries qui, à l’inverse, « devrait être mieux encadrée par les textes qu’aujourd’hui afin d’être utile : les plaidoiries devraient être systématiquement interactives et même permettre la parole des parties (adde E. Jullien, L’oralité est morte… Vive la plaidoirie ; E. Brochier et M. Brochier, Le droit de plaider, nouveau principe directeur du procès, JCP 2015. 391) » (ibid.).

Il est vrai que le modèle d’une procédure écrite sans audience – en principe – existe : selon l’article 5, § 1er bis, du règlement (CE) n° 861/2007 du 11 juillet 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges (mod. par Règl. [UE] 2015/2421 du Parlement européen et du Conseil du 16 déc. 2015), « la juridiction tient une audience uniquement si elle estime qu’il n’est pas possible de rendre une décision sur la base des preuves écrites ou si l’une des parties en fait la demande. La juridiction peut rejeter cette demande si elle estime que, compte tenu des circonstances de l’espèce, une audience n’est pas nécessaire pour garantir le déroulement équitable de la procédure. Ce refus est motivé par écrit. Il ne peut pas être contesté séparément d’un recours à l’encontre de la décision elle-même ». En outre, selon l’article 8, § 1er, également modifié en 2015, « lorsque la tenue d’une audience est jugée nécessaire en application de l’article 5, § 1er bis, cette audience a lieu en utilisant toute technologie de communication à distance appropriée, telle que la vidéoconférence ou la téléconférence, dont la juridiction dispose, à moins que, compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, l’utilisation d’une telle technologie ne soit pas appropriée au regard du déroulement équitable de la procédure ».

L’article 3-1 prévoit en outre une simple faculté soumise à l’accord des parties. Ce garde-fou n’est peut-être que provisoire, pour ne pas effrayer (?) : l’accord des parties pour fixer un calendrier de procédure, prévu initialement à l’article 446-2 du code de procédure civile (dans sa rédaction issue du décret n° 2010-1165 du 1er octobre 2010) a ainsi été supprimé par le décret n° 2017-892 du 6 mai 2017 ; de même, l’article 764 du même code dispose, depuis le même décret, que le juge de la mise en état peut fixer un calendrier de la mise en état après avoir recueilli « l’avis » et non plus l’accord des avocats…

Toutes les procédures devant le tribunal de grande instance sont concernées par l’article 3-1, hormis celles qui peuvent être dématérialisées conformément à l’article 3-2, qui organise différemment l’absence d’audience.

Loi J21, article 3-2 : règlement des petits litiges par voie dématérialisée

Cet article 3-2 permet une dématérialisation des procédures pour des « petits litiges ». Selon l’exposé des motifs (p. 5), « l’objectif est de permettre aux justiciables, dans les procédures sans représentation obligatoire relevant du tribunal d’instance, d’obtenir une décision dans un délai raccourci grâce à des échanges s’effectuant de manière complètement dématérialisée, via le portail de la justice. Dans ce cadre, la mise en état de l’affaire puis le jugement aura en principe lieu en dehors de toute audience ».

Autant dire que :

• les « petits litiges » devraient être ceux dont le montant va jusqu’à 10 000 € (puisque sont évoquées les procédures relevant du tribunal d’instance – compétent en matière civile, personnelle ou mobilière jusqu’à ce montant), alors qu’aujourd’hui, on parle plutôt de litiges dont le montant va jusqu’à 4 000 €, voire 5 000 pour les petits litiges européens : ainsi en est-il depuis que le règlement (UE) 2015/2421 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015 a modifié le règlement (CE) n° 861/2007 précité, en portant à la somme de 5 000 € le montant des demandes pour lesquelles ce règlement peut trouver à s’appliquer (v. dossier préc.) ;

• la « dématérialisation envisagée n’est plus de la communication par voie électronique version 1 (CPVE 1.0, 1.2, etc.), mais bien une version 2 (CPVE 2.0)… sous réserve que le portail de la justice soit assez performant pour une mise en œuvre effective de cette CPVE 2.0 ; les insuffisances du réseau privé virtuel des avocats (RPVA) doivent devenir de l’histoire (du droit et des faits). Le rapport Molfessis-Agostini prenait, de fait, position sur « la nécessaire transformation numérique de la justice », devant impliquer « un changement de perspective », c’est-à-dire l’abandon de la démarche d’équivalence : autrement dit, il s’agissait de passer de la « CPVE 1.0 » à la « CPVE 2.0 » ou cyberprocédure civile (C. Bléry et J.-P. Teboul, De la communication par voie électronique au code de cyber procédure civile, JCP 2017. 665). Le tribunal plateforme – ou tribunal 2.0 (v. art. préc.), ainsi annoncé, prend juridiquement vie pour les petits litiges. Rappelons que l’arrêté du 9 février 2016 « Secrurigreffe » (v. C. Bléry et J.-P. Teboul, Une nouvelle ère pour la communication par voie électronique, in 40 ans après… Une nouvelle ère pour la procédure civile ?, Thèmes et commentaires, Dalloz 2016, p. 31 s., n° 25 ; C. Bléry, Securigreffe : l’identité numérique judiciaire opposable est née, JCP 2016. 256) permet déjà d’avoir l’architecture juridique d’un tribunal de commerce plateforme…

• le recours à la procédure 2.0 est encadrée par l’article 3-2 : tout d’abord, il suppose « l’accord des parties ». Les rapports sur la procédure civile et le numérique évoquaient le nécessaire accompagnement du justiciable, qui semble avoir été un souci commun des personnes consultées. Le nécessaire accord des parties résout les difficultés : le plaideur dépourvu d’accès à internet ne sera pas piégé par son absence d’« aptitude » en la matière… sauf si cette condition n’est que provisoire (v. supra) ;

• la mise à l’écart de toute audience nous semble, à nouveau, problématique. Certes, un retour à l’audience est prévu, à l’initiative du juge (comp. art. 446-1, al. 2, in fine et 5, § 1er bis du règlement « petits litiges »), voire d’une partie. Le juge n’est toutefois pas tenu de faire droit à une telle demande et son refus ne peut être contesté qu’avec le jugement sur le fond (v. encore art. 5, § 1er bis du règlement « petits litiges »). Cette concentration prive d’une grande part de son utilité la possibilité d’exercer un recours et vise visiblement à dissuader les plaideurs de se plaindre du refus…

Dispense d’audience

L’exposé des motifs précise que « l’article 12 pose les fondements d’une procédure dématérialisée des litiges inférieurs à un montant qui sera défini par décret en Conseil d’État en prévoyant une dérogation législative au principe de publicité des audiences » – dérogation résultant de l’article 3-2 de la loi J21. En fait, l’article 3-1 de la même loi organise aussi une dispense d’audience. Effectivement, « les exceptions à la publicité des débats résultent d’une loi au sens formel. Le Conseil d’État a justement estimé que la publicité des débats constituait un principe général du droit et qu’il n’“appartenait qu’au législateur d’en étendre ou d’en retreindre les limites” [CE, ass., 4 oct. 1974, Dame David, n° 88930, Lebon ] » (J. Héron et T. Le Bars, Droit judiciaire privé, 6e éd., Précis Domat, Lextenso 2015, n° 479) : l’article 435 du code de procédure civile ne fait que recopier « pour des raisons de commodité » le texte de loi qui prévoit quelles affaires doivent ou peuvent être débattues en chambre du conseil (ibid.) – au passage, le législateur pourrait s’inspirer de ce « recopiage commode ». A fortiori, une loi doit-elle être nécessaire pour exclure toute audience ?

Or cette nécessité d’une loi pose question. En effet, diverses dispositions, aujourd’hui codifiées, issues des décrets n° 2010-1165 du 1er octobre 2010 (C. pr. civ., art. 446-1, art. 861-1, 861-2, 861-3, CPCE, art. R. 121-9, R. 121-10 s.), n° 2016-660 du 20 mai 2016 (C. trav., art. 1454-1, R. 1454 s.), puis n° 2017-892 du 6 mai 2017 (C. pr. civ., art. 486-1, cité par le rapport) ont règlementé des dispenses de présentation : celles-ci – judiciaire ou légales – permettent en oralité moderne de ne pas se présenter à une audience, voire à toutes les audiences, y compris – d’ailleurs – de plaidoirie, sont prévues par des dispositions de valeur réglementaire (v. C. Bléry et J.-P. Teboul, D’un principe de présence à une libre dispense de présentation ou les évolutions en cours de l’oralité, in C. Puigelier et I. Petel-Teyssié (dir.), Quarantième anniversaire du Code de procédure civile (1975-2015), Les Éditions Panthéon-Assas, 2016, p. 109). Subiront-elles le sort de l’article 83 du décret n° 72-684 du 20 juillet 1972 instituant de nouvelles dispositions destinées à s’intégrer dans la partie générale d’un nouveau code de procédure civile, ayant donné lieu à l’arrêt Dame David ? Ils semblent en tout cas passibles d’annulation…