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Projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire : la discipline de l’avocat

La discipline de l’avocat serait, selon ce projet, appelée à être profondément réformée. Qu’en est-il ?

par Yves Avrille 27 avril 2021

Le contexte de l’intervention du législateur

La discipline de l’avocat a de longue date été confiée à la profession dans un système que l’on appelle « l’autorégulation », c’est-à-dire la possibilité pour la profession d’organiser sa discipline. Dès le décret du 14 décembre 1810 (art. 19, 20 et 21, le bâtonnier étant désigné par le procureur général parmi les membres, élus, du conseil de l’ordre) rétablissant le Barreau de France, le conseil de l’ordre a reçu une fonction de juge disciplinaire. La procédure a commencé à manquer de souffle lorsqu’au visa de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, des arrêts rendus par la Cour de cassation ont censuré des décisions qui ne remplissaient pas l’exigence d’un procès équitable.

Une loi de 2004 (n° 2004-130, 11 févr. 2004) puis un décret d’application (n° 2005-581, 24 mai 2005) ont permis la mise en place de conseils régionaux de discipline, avec des exceptions pour les barreaux de Paris, de Papeete et de Nouméa, dont le conseil de l’ordre a conservé sa compétence disciplinaire.

La nouvelle procédure, insérée dans des formes et délais impératifs, exigeait des précisions inévitables de la jurisprudence. Ainsi, la haute juridiction statuait à plusieurs reprises sur l’impartialité du rapporteur (Civ. 1re, 2 avr. 2009, n° 08-12.246, Bull. civ. II, n° 71 ; Dalloz actualité, 8 avr. 2009, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2009. 2011 , note M. Roux ; ibid. 1135, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2704, obs. B. Blanchard ; JCP 2009. II. 10290, note E. Putman ; Gaz. Pal., 17-18 juin 2009, note P. Douvile et Rachel ; 4 mai 2012, n° 10-27.520 ; 12 juin 2012, n° 11-16.408, Bull. civ. I, n° 128 ; D. 2012. 1623 ) puis sur la nécessité d’attendre la décision sur le fond pour critiquer sa désignation (Civ. 1re, 12 oct. 2016, n° 15-24.450, à paraître ; D. 2016. 2171 ; ibid. 2017. 74, obs. T. Wickers ; Gaz. Pal., 10 janv. 2017, p. 12, note D. Piau ; ibid., 28 oct. 2016, p. 51, obs. C. Berland ; ibid., 6 juin 2017, p. 27, obs. B. de Belval). Plus gênantes sont les critiques qui soulignent que le plaignant est tenu pour l’essentiel dans l’ignorance de la procédure. Quand la décision est rendue, seule exigence d’information, le plaignant est censé être informé du dispositif et donc d’une minuscule partie de la décision rendue lorsqu’elle est passée en force de chose jugée (décr. n° 91-1197, art. 196). Encore faut-il préciser qu’aucun texte ne précise qui a la charge de cette information, ce qui laisse à penser qu’elle n’est pas systématique.

Insérée dans des formes et délais rigoureux, la procédure est à juste titre qualifiée de complexe. La Cour de cassation a estimé que le droit disciplinaire, à l’instar du droit pénal, est un droit répressif et applique volontiers l’appréciation d’Ihering « la forme est la sœur jumelle de la liberté ». Quand elle est prononcée, la solution peut être encore revue par la Cour européenne des droits de l’homme qui est susceptible de porter une appréciation différente (CEDH 23 avr. 2015, Morice c. France, req. n° 29369/10, Dalloz actualité, 13 mai 2015, obs. O. Bachelet ; D. 2015. 974 ; ibid. 2016. 225, obs. J.-F. Renucci ; AJ pénal 2015. 428, obs. C. Porteron ; Constitutions 2016. 312, chron. D. de Bellescize ; RSC 2015. 740, obs. D. Roets ; 19 avr. 2018, Ottan c. France, req. n° 41841/12, Dalloz actualité, 4 mai 2018, obs. S. Lavric ; D. 2018. 894, et les obs. ; AJ pénal 2018. 310, obs. J.-B. Thierry ; D. avocats 2018. 275, obs. G. Deharo ).

Enfin, si les avis divergent sur la mise en place de l’échevinage, tous s’accordent pour penser qu’il convient d’associer des magistrats professionnels dès le premier stade de la procédure et des avocats en appel (D. avocats 2017. 351, obs. Y. Avril ). La seule observation de la réalité montre une insuffisance : au premier degré la juridiction disciplinaire est exclusivement composée d’avocats et au second degré elle est exclusivement composée de magistrats.

Dans son rôle qu’elle veut positif, la profession a publié des résolutions faisant suite à des études nourries. Le Conseil national des barreaux a adopté des propositions d’amendements au décret du 27 novembre 1991 relatives à la désignation des avocats (ass. gén. des 18 et 19 janv. 2013). Puis ne voyant venir aucune proposition de réforme, la Conférence nationale des bâtonniers a mis en place une commission (présidée par le bâtonnier Alain Marx, nous en faisions partie) qui a déposé conclusions et suggestions en 2017. Enfin, le Conseil national des barreaux a repris récemment ses propositions (résolutions de l’ass. gén. du CNB, 3 avr. 2020, sur une proposition d’adaptation et de réforme de la procédure disciplinaire applicable aux avocats).

C’est donc avec surprise que l’on prenait connaissance d’un rapport de l’Inspection générale de la justice sur la discipline des professions du droit et du chiffre du 4 décembre 2020. Pour le moins, il traduisait une absence de communication entre la profession et le gouvernement pour envisager une réforme dont le principe est accepté de tous. Sur le fond, on remarquait qu’en évoquant les professions du chiffre, le rapport se bornait à la situation des commissaires aux comptes en ignorant la profession d’expert-comptable (au nombre de 15 537 en août 2020), mais mettait sur un même plan des professions à l’histoire, au statut et à l’activité distincts : notaires, commissaires de justice, mandataires judiciaires, commissaires aux comptes et greffiers des tribunaux de commerce.

Les critiques ne manquaient pas de s’interroger sur la possibilité de concevoir une réforme aussi générale (Dalloz actualité, 18 déc. 2020, obs. Y. Avril ; J.-M. Brigant, Aux grands maux les grands remèdes, JCP 2021. 37 ; Gaz. Pal., 12 janv. 2020, p. 10, O. Jougla, propos recueillis par L. Garnerie). Rapidement, on apprenait (P. Januel, Les travaux de la Chancellerie sur la discipline des officiers publics et ministériels, Dalloz actualité, 16 janv. 2021) que la Direction des affaires civiles et du Sceau travaillait à une réforme de la discipline des notaires, commissaires de justice, greffiers des tribunaux de commerce et avocats aux conseils. Celle-ci devait distinguer les avocats.

C’est donc avec intérêt que l’on prend connaissance du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire qui propose, pour la discipline de l’avocat, des dispositions de réforme exclusivement réservées à la profession.

L’examen du projet de loi

Sur le plan formel et procédural

Il s’insère dans un chapitre intitulé « déontologie et discipline des professions du droit » (p. 27). Une première section est consacrée à la discipline des officiers ministériels, une seconde à la discipline des avocats.

Sur le plan de l’accès au droit, la lecture comprend des indications qu’un profane trouvera absconses. Ainsi, à l’article 28 du projet (p. 32) est évoqué l’article 21 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971. Il est écrit : « L’article 21 est ainsi modifié… 2° La seconde phrase du deuxième alinéa est supprimée. » Cette seconde phrase est courte. N’aurait-il pas été plus lisible de citer le texte supprimé : « En cette matière, le bâtonnier peut déléguer ses pouvoirs aux anciens bâtonniers, ainsi qu’à tout membre ou ancien membre des conseils de l’ordre » ?

Le texte comprend des dispositions d’importance mais reste sibyllin sur leur mise en œuvre. Elle nécessitera nombre de précisions qui seront l’œuvre du pouvoir réglementaire. À ce stade, la question a déjà été réglée. La discipline de l’avocat n’est pas du domaine exclusif de la loi et nombre de ses dispositions peuvent être prises par le gouvernement (CE, 6e et 1re ss-sect, 15 nov. 2006, nos 283475, 284964 et 285065, Lebon T. ; RTD civ. 2007. 67, obs. R. Encinas de Munagorri ; JCP 2007. II. 10001, note R. Martin).

Sur le fond de la proposition de réforme

Les critiques concernant la discipline actuelle reçoivent un traitement, mais on peut penser qu’il ne fera pas l’unanimité.

L’allègement de la procédure

Pour répondre au grief de complexité et de lourdeur de l’instance, l’on aurait pu introduire l’admonestation. Celle-ci a été mise à mal par une décision de principe. Analysée comme une sanction, elle ne peut être prononcée car aucun texte n’a prévu cette peine et le bâtonnier est sans pouvoir pour prononcer une condamnation (Civ. 1re, 7 mai 2008, n° 07-10.864, Bull. civ. I, n° 124 ; Dalloz actualité, 26 mai 2008, obs. S. Lavric ; D. 2008. 1735 , note Y. Avril  ; JCP 2008. I. 184, note Bortoluzzi). Une décision plus récente (Civ. 1re, 16 mai 2012, n° 11-13.854, Bull. civ. I, n° 107 ; D. 2012. 1868 , note Y. Avril ) a admis l’admonestation, mais sans versement au dossier disciplinaire, ce qui ne lui donne pas plus de force qu’une simple correspondance. La restauration de l’admonestation a régulièrement été réclamée comme étant un des remèdes à la complexité de la procédure (B. Blanquer, Réforme de la procédure disciplinaire. Pour l’instauration d’une admonestation du bâtonnier, Gaz. Pal., 16-18 sept. 2012, p. 11).

Le projet de loi (art. 28, II) instaure une possibilité nouvelle : « Lorsque la nature de la réclamation le permet, et sous réserve des réclamations abusives ou manifestement mal fondées, le bâtonnier peut organiser une conciliation entre les parties. Un avocat au moins prend part à la conciliation. » Cette procédure méritera des précisions, notamment pour l’avocat nécessairement présent. S’agit-il d’un délégué du bâtonnier ? S’agit-il du conseil du plaignant ?

L’information et la participation du plaignant

Le plaignant doit être systématiquement informé des suites réservées à sa réclamation. Cela constitue un progrès notable puisque l’autorité de poursuite, bâtonnier ou procureur général, n’est pas tenu actuellement d’informer le tiers du dépôt d’un acte de saisine auprès de la juridiction disciplinaire, pas plus qu’il n’est tenu de l’informer de la date de l’audience.

En revanche, la participation du plaignant reçoit ici une innovation majeure, que les différents projets émanant de la profession n’avaient jamais envisagée : le pouvoir octroyé au plaignant de saisir la juridiction disciplinaire, sans toutefois que lui soit reconnu le droit de faire appel. Si l’on considère que la complexité de la procédure reste une constante, l’on voit mal, sauf ministère obligatoire d’un avocat, comment cette possibilité constitue un progrès.

Une réforme récente (L. const. n° 2008-274, 25 juill. 2008) permet au justiciable, mécontent d’un magistrat, de saisir le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Voit-on dans cette nouvelle possibilité un parallélisme ? Toutefois, la plainte au Conseil supérieur de la magistrature est soumise à une commission d’examen des requêtes, filtre efficace, dont la décision est insusceptible de recours (sur six années, 97,37 % des plaintes ont été déclarées irrecevables. Chiffres donnés par V. Valton, in Intervention dans le cadre du service de formation continue ; Responsabilité et déontologie des magistrats, ENM, 7 mars 2017).

La disposition la plus novatrice est celle qui a trait à l’instauration de l’échevinage, c’est-à-dire l’entrée en première instance, pour présider la juridiction, d’un magistrat professionnel désigné par le premier président de la cour d’appel (L. n° 71-1130, art. 22-3 nouv.). Cette présidence ne sera pas systématique. Il faudra que l’instance fasse suite à la réclamation d’un tiers ou émane d’une demande de l’avocat poursuivi. Cette composition en option d’une juridiction constitue une singularité en droit processuel et il faudra voir si cette disposition, dans la mesure où elle serait retenue, passera le barrage d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui ne manquera pas d’être soulevée, tant les avocats poursuivis n’hésitent pas à utiliser tous les moyens.

On peut penser qu’elle soulèvera un beau tollé de la part de la profession puisqu’elle soupçonne, a priori, un manque d’impartialité pour lequel la procédure de récusation paraît un moyen insuffisant pour la protection du justiciable.

Quant à la composition de la cour d’appel, il faudra compter avec trois magistrats professionnels, dans l’un assure la présidence. L’appoint est formé par « deux membres du conseil de l’ordre du ressort de la cour d’appel ». Sauf à voir dans ce raccourci une composition à déterminer dans le décret, l’on doit sans doute comprendre « deux avocats appartenant au conseil de l’ordre d’un barreau situé dans le ressort de la cour d’appel » (L. n° 71-1130, art. 23, 2°, nouv.).

La profession aura tôt fait de constater que, désormais, au premier degré comme au second degré, la juridiction disciplinaire sera dans nombre d’instances présidée par un magistrat professionnel.

Code de déontologie

Enfin, sans examen préalable, il est décidé de créer un code de déontologie dont la préparation est confiée au Conseil national des barreaux (L. n° 71-1130, art. 23, VI, nouv.). Pour l’avocat européen, une charte existe mais des auteurs de référence indiquent qu’il ne s’agit pas d’un code de déontologie (S. Bortoluzzi, D. Piau, T. Wickers, H. Ader et A. Damien, Règles de la profession d’avocat, Dalloz Action, 2018, § 132.22). Pour les magistrats, l’absence d’un code de déontologie est un parti réfléchi (CSM, Recueil des obligations déontologies des magistrats, Doc. fr., 2019, p. 7). Cette innovation, qui n’est pas neutre, aurait mérité un débat avant d’être soumise à la décision du législateur.

* * *

Cette loi, par les nouveautés qu’elle introduit, ne va pas rendre plus simple la procédure disciplinaire. À ce titre, elle mériterait des mesures d’accompagnement qui pourraient concerner tant les magistrats que les avocats, juges disciplinaires. On pense à des obligations de formation continue. On souffre trop de cassations récurrentes pour des vices de procédure traduisant maladresses et inexpérience, notamment au niveau des cours d’appel. Il est vrai que certaines cours peuvent laisser passer une année sans avoir une seule affaire disciplinaire à juger (pour l’omission d’indiquer que l’avocat a eu la parole en dernier, v. Civ. 1re, 25 mars 2020, n° 19-14.413 ; pour l’omission de préciser si l’avis du procureur général en appel est oral ou écrit et si en ce cas l’avocat poursuivi en a reçu communication, v. Civ. 1re, 20 janv. 2021, n° 19-24.058).

Enfin, l’inexpérience des juges disciplinaires est relevée tant pour les avocats que pour les magistrats compte tenu de l’instabilité de leur désignation qui n’est faite que pour un temps limité. La stabilité institutionnelle de la désignation n’est pas envisagée.