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Le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie

Le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie prévoit de rénover l’approche de la prise en charge de la douleur et de la fin de vie, en intégrant la notion de soins palliatifs dans celle plus englobante de « soins d’accompagnement ». Mais son objet principal est de légaliser et encadrer « l’aide à mourir ».

L’adoption de la loi de bioéthique du 2 août 2021 n’a pas permis à ceux qui auraient souhaité qu’elle se prononçât sur la fin de vie d’obtenir satisfaction. La partie n’était toutefois que remise, perspective dans laquelle le Conseil économique, social et environnemental (CESE) s’était déjà inscrit dans un rapport rendu public le 10 avril 2018, recommandant la reconnaissance d’un droit à demander au médecin une sédation profonde et continue « explicitement létale », autrement dit la consécration d’une aide médicale à la mort (Avis CESE, 10 avr. 2018, Fin de vie : la France à l’heure des choix).

Le 13 septembre 2022, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) rendait à son tour un avis sur les questions éthiques relatives à la fin de vie par lequel, malgré des opinions dissidentes en son sein, il émettait plusieurs propositions tendant à ouvrir « une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir » incluant l’assistance médicale au suicide et l’euthanasie pour des personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables, provoquant des souffrances physiques ou psychiques réfractaires, dont le pronostic vital serait engagé à moyen terme (Avis CCNE n° 139, 13 sept. 2022).

Rien de surprenant dans tout cela quand on sait que ce mouvement préparatoire faisait écho à une demande du président de la République en faveur d’une révision de la législation en la matière, mise en œuvre au moyen d’une convention citoyenne sur la fin de vie dont les travaux se sont déroulés de décembre 2022 à mars 2023 sous le patronage du CESE et qui ont donné lieu à un rapport rendu public en avril 2023. Reflétant de nombreuses nuances chez les citoyens consultés (au nombre de 184), une position commune de cette convention s’était néanmoins dégagée en faveur d’un objectif : renforcer le budget dédié aux prochains plans de soins palliatifs et de fin de vie tout en ouvrant la voie vers une légalisation de l’aide active à mourir. À la suite de cette convention citoyenne, le CESE avait rendu public en mai 2023 un avis s’appuyant sur les conclusions de celle-ci pour se déclarer à nouveau favorable à une légalisation de l’aide active à mourir, allant jusqu’à situer son propos dans le cadre d’un projet de société pour la France (Avis CESE, mai 2023, Fin de vie : faire évoluer la loi).

Moins direct en raison de son objet et beaucoup plus nuancé, un rapport parlementaire du 29 mars 2023 sur l’évaluation de la loi dite « Claeys-Leonetti » du 2 février 2016 débouchait lui aussi sur cette conclusion que le cadre législatif ne répondait pas à toutes les situations de fin de vie, en particulier lorsque le pronostic vital n’est pas engagé à court terme, invitant le législateur, à la suite de la convention citoyenne, à débattre et à se positionner sur cette question.

Ces positions plutôt concordantes devaient cependant se heurter à d’autres, beaucoup moins enthousiastes. D’abord, celle de l’Ordre national des médecins. Le 1er avril 2023, l’assemblée générale de l’Ordre national des médecins rendait public le résultat de neuf mois de consultations de l’ensemble des conseils départementaux et régionaux de l’Ordre sur la question de la fin de vie et de l’aide médicale à mourir. Les conclusions n’ont guère surpris si l’on considère les principes fondant la médecine et la déontologie médicale. Non sans recommander fortement le développement des soins palliatifs, l’Ordre des médecins a très clairement exprimé son hostilité à voir des médecins participer à une euthanasie. Envisageant l’éventualité où une assistance médicale au suicide serait légalisée, la sollicitation du corps médical ne pourrait être envisagée que sous réserve du respect de certaines exigences, en particulier la reconnaissance d’une clause de conscience. Enfin, une conclusion intéressante à relever : une défaveur appuyée à l’encontre d’une procédure d’aide active à mourir pour les mineurs et les personnes hors d’état de manifester leur volonté.

Ensuite, l’Académie nationale de médecine rendait elle-même, le 27 juin 2023, un avis en demi-teinte, fermement opposé à l’euthanasie d’un côté, moins opposé de l’autre à la reconnaissance d’un droit à l’assistance au suicide, pourvu qu’il soit assorti de garanties, notamment d’une clause de conscience, tout en soulignant la transgression que cela apporterait à la conception ordinaire de la solidarité et du respect de la vie.

Enfin, dans un rapport sur la fin de vie du 28 juin 2023, la commission des affaires sociales du Sénat appelait résolument à privilégier un modèle français de l’éthique du soin fondé sur l’accompagnement et une offre effective de soins palliatifs et non sur un accès au suicide assisté ou à l’euthanasie et s’opposait en conséquence à l’ouverture d’un droit à une aide active à mourir, non sans dénoncer une commande de réforme de la part de l’exécutif selon un agenda et des conclusions écrites par avance. Évoquant d’ailleurs l’annonce par le président de la République d’un projet de loi, le rapport du Sénat déplorait une commande présidentielle qui « se borne à consacrer à tout prix l’aide active à mourir dans la loi ». La commission des affaires sociales du Sénat jugeait au contraire un tel projet de légalisation de l’aide active à mourir discutable, maladroit dans le contexte actuel de crise que connaît la France et, en toute hypothèse, impossible à mettre en œuvre de façon précise et avec des garanties suffisantes. Pour elle, le législateur devrait plutôt « privilégier une société de la sollicitude » envers les plus vulnérables, notamment en raison du regard social qui pourrait être porté sur les personnes susceptibles de remplir les critères d’une aide active à mourir, et donc porter son effort sur la médecine palliative et « non sur un dispositif d’aide active à mourir qui risquerait dangereusement d’être une option de repli faute d’offre de soins satisfaisante » (Rapp. au nom de la commission des affaires sociales du Sénat sur la fin de vie, 28 juin 2023, Doc. Sénat, n° 795).

C’est dans ce contexte que le 10 avril 2024, un projet de loi, annoncé par le président de la République, a effectivement été présenté en Conseil des ministres et rendu public le même jour. Les choses se précisaient depuis quelques mois, notamment par la publication sur le site du ministère de la Santé et de la prévention, le 11 décembre 2023, d’un rapport intitulé « Vers un modèle français des soins d’accompagnement » dont l’un des objectifs était de rassurer sur l’avenir des soins palliatifs que la législation annoncée sur « l’aide active à mourir » n’avait pas vocation à suppléer. Non sans calcul stratégique, l’idée prônée a alors consisté à inclure les soins palliatifs dans un concept plus large d’« accompagnement » de la fin de vie susceptible d’inclure une « aide à mourir » comprise comme un soin d’accompagnement terminal.

Non sans suggérer quelques améliorations au texte, au demeurant prises en compte pour certaines d’entre elles par le gouvernement, le Conseil d’État, le 4 avril 2024, a rendu un avis favorable sur le projet de loi, préalablement à sa présentation en Conseil des ministres (CE, avis, 4 avr. 2024, n° 408204, AJ fam. 2024. 269, obs. A. Dionisi-Peyrusse ). On notera d’emblée qu’en dépit de la volonté du gouvernement d’éviter d’employer dans le texte, en usant de la formule « aide à mourir », les vocables d’« assistance au suicide » et d’« euthanasie », le Conseil d’État a tenu, à juste titre, à remettre les choses dans leur exacte perspective. Le projet de loi a, souligne-t-il, « pour objet principal de créer une aide à mourir entendue comme la légalisation, sous certaines conditions, de l’assistance au suicide et, dans l’hypothèse où la personne n’est pas en mesure physiquement de s’administrer elle-même la substance létale, de l’euthanasie à la demande de cette personne ». Les mots exacts pour dire les choses comptent et peut-être le Parlement sera-t-il moins rétif à les employer car pour l’instant, le projet de loi reste arc-bouté sur une terminologie quelque peu étuvée. Cela dit, au-delà des mots, le sens du projet de loi, bien restitué par le Conseil d’État, ne trompera personne, notamment le corps médical.

Le projet de loi, soumis à l’examen préalable d’une commission spéciale à l’Assemblée nationale, doit être débattu au Parlement à partir de la fin mai 2024 (Projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, Doc. Ass. Nat., n° 2462, 10 avr. 2024). Les débats parlementaires déboucheront probablement sur quelques retouches de sorte que dans l’attente d’un texte définitif, seront présentées ici les lignes de force du projet de loi. Celui-ci repose pour l’essentiel sur deux volets complémentaires : l’un relatif aux soins d’accompagnement et aux droits des malades, l’autre relatif à l’aide à mourir.

Soins d’accompagnement et droits des malades

Le titre 1er du projet de loi comprend des dispositions relatives à la création des soins d’accompagnement, des plans personnalisés et maisons d’accompagnement, et aux droits des malades.

Soins d’accompagnement et soins palliatifs

L’objectif du projet de loi n’est pas d’instituer un droit aux soins palliatifs. Ce serait bien étrange car la consécration d’un tel droit remonte à une loi n° 99-477 du 9 juin 1999. C’est elle qui a légalement institué le droit de toute personne malade dont l’état le requiert d’accéder à des soins palliatifs. Ce droit a été réaffirmé avec un droit à un accompagnement par la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, puis confirmé par les lois postérieures du 22 avril 2005 (loi Leonetti) et du 2 février 2016 (loi Claeys-Leonetti ; CSP, art. L. 1110-9).

Pourtant, malgré ses vingt-cinq ans d’ancienneté et une politique de santé publique affichant à chaque révision de loi l’accès aux soins palliatifs comme une priorité de santé publique, ce droit est encore loin d’être accessible à tous sur le territoire et cette situation a été dénoncée unanimement par toutes les instances consultées sur le sujet de la fin de vie.

Le droit aux soins palliatifs ne nécessitant pas une nouvelle loi mais un développement sur le terrain, une volonté politique, des moyens financiers, des structures et des personnels...

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