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Projet de loi sur la laïcité et les principes républicains : regard internationaliste

Le gouvernement a annoncé le 5 octobre un projet de « loi visant à renforcer la laïcité et confronter les principes républicains ». Il prévoit le durcissement du traitement réservé aux polygames en droit des étrangers et réintroduit un droit de prélèvement sur les biens situés en France lorsque la loi étrangère applicable à la succession conduit à exhéréder les femmes. 

par Marta-Louise Zambonile 16 octobre 2020

Le 5 octobre 2020, le gouvernement a annoncé la préparation d’un projet de « loi visant à renfoncer la laïcité et conforter les principes républicains », autrement évoquée par des membres du gouvernement comme « loi de lutte contre le séparatisme religieux ». Si le texte définitif sera présenté en Conseil des ministres le 9 décembre 2020, parmi les objectifs de l’ébauche de projet, on retrouve un axe libellé « Assurer la dignité et l’égalité de tous » qui peut d’ores et déjà retenir l’attention. 

Le texte prévoit le durcissement du traitement réservé aux polygames et réintroduit un droit de prélèvement sur les biens situés en France lorsque la loi étrangère applicable à la succession conduit à exhéréder les femmes. Si la première mesure amène à s’interroger quant à sa compatibilité au droit de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe, le second point requiert d’analyser s’il s’agit vraiment d’une innovation et si le projet peut parvenir à assurer une protection efficace aux femmes exhérédées.

L’expulsion des polygames

Parmi les mesures préfigurées, on retrouve le « renforcement de la réserve de polygamie pour la délivrance de tous les titres de séjour sans distinction de nature ou de catégorie ». En droit privé, l’ordre juridique français est prêt en principe à tolérer les effets d’un mariage polygamique lorsque l’union a été valablement célébrée sans fraude à l’étranger. Pour l’instant, la réforme annoncée ne semble pas interférer sur le traitement de ces unions sur le plan du droit privé en ce qu’elle vise uniquement un durcissement des mesures déjà existantes en droit des étrangers. Au regard du cadre normatif présent, il est déjà possible d’anticiper le problème qui se présentera face aux mesures d’éloignement de l’étranger du territoire français au regard du respect du droit au respect de la vie familiale au titre de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, tout particulièrement dans le cas où le polygame aurait des enfants qui résident régulièrement en France. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme considère depuis longtemps que la protection de la vie familiale profite au parent vivant en état de polygamie, de telle sorte qu’une mesure d’éloignement prise à son encontre peut s’analyser en tant qu’ingérence disproportionnée au regard d’un tel droit fondamental (Comm. EDH, 6 janv. 1992, n° 14501/89, A et A c/ Pays Bas). Aussi, la Cour de justice de l’Union européenne considère qu’un parent ressortissant d’un pays tiers et ayant à charge un enfant citoyen de l’Union doit se voir attribuer un droit de séjour (CJUE 8 mars 2011, aff. C-34/09, Ruiz Zambrano c/ Office national de l’emploi, AJDA 2011. 479 ; ibid. 1082 ; ibid. 1007, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat , note M. Houser ; D. 2011. 1325 , note S. Corneloup ; ibid. 2012. 390, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; RFDA 2011. 1225, chron. L. Clément-Wilz, F. Martucci et C. Mayeur-Carpentier ; ibid. 2012. 377, chron. L. Clément-Wilz, F. Martucci et C. Mayeur-Carpentier ; RDSS 2011. 449, note C. Boutayeb et A. Raccah ; Rev. crit. DIP 2012. 352, note J. Heymann ; RTD eur. 2011. 564, obs. E. Pataut ; ibid. 2012. 23, étude S. Platon ; ibid. 398, obs. F. Benoît-Rohmer ; Rev. UE 2013. 45, chron. E. Sabatakakis ; ibid. 2014. 596, étude H. Pongérard-Payet ; 5 mai 2011, aff. C-434/09, McCarthy c/ Secretary of State for the Home Department, AJDA 2011. 930 ; ibid. 1614, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat ; D. 2011. 1604 , note S. Corneloup ; ibid. 2012. 390, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; RFDA 2011. 1225, chron. L. Clément-Wilz, F. Martucci et C. Mayeur-Carpentier ; ibid. 2012. 377, chron. L. Clément-Wilz, F. Martucci et C. Mayeur-Carpentier ; Rev. crit. DIP 2012. 352, note J. Heymann ; RTD eur. 2011. 564, obs. E. Pataut ; ibid. 2012. 23, étude S. Platon ; ibid. 398, obs. F. Benoît-Rohmer ; Rev. UE 2014. 596, étude H. Pongérard-Payet ; Europe 2012. Comm. 432, obs. A. Rigaux ; CJCE 25 juill. 2008, aff. C-127/08, Metock c/ Minister for Justice, Equality and Law Reform, AJDA 2009. 321 , note H. Alcaraz ; RSC 2009. 197, obs. L. Idot ; RTD eur. 2009. 91, note S. Ph. D. Hammamoun et N. Ph. D. Neuwahl ; V. aussi, CJCE 19 oct. 2004, aff. C-200/02, Kunqian Catherine Zhu, Man Lavette Chen c/ Secretary of State for the Home Department, AJDA 2004. 2237 ; D. 2004. 3036 ). Reste à savoir si la « proportionnalité des mesures » annoncée par le Ministre de la justice au cours d’un entretien avec la presse permettra d’assurer le respect des engagements internationaux de la France (V., É Dupond-Moretti, J’ai défendu les magistrats quand ils ont été accusés de laxisme, Le Figaro, 5 oct. 2020).

La réserve héréditaire au profit des exhérédées 

La proposition du gouvernement a remis au goût du jour la question de la discrimination entre les héritiers à raison du sexe qui, dans le discours doctrinal, semblait être passée en arrière-plan au profit des interrogations suscitées par l’application de lois étrangères ignorant la réserve héréditaire (Civ. 1re, 27 sept. 2017, n° 16-13.151, D. 2017. 2185 , note J. Guillaumé ; ibid. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 2384, obs. S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier ; AJ fam. 2017. 595, obs. A. Boiché ; ibid. 510, obs. A. Boiché ; ibid. 598, obs. P. Lagarde, A. Meier-Bourdeau, B. Savouré et G. Kessler ; Rev. crit. DIP 2018. 87, note B. Ancel ; RTD civ. 2017. 833, obs. L. Usunier ; ibid. 2018. 189, obs. M. Grimaldi ; RTD com. 2018. 110, obs. F. Pollaud-Dulian ). Or, la solution proposée par le gouvernement quant au problème de la discrimination des personnes exhérédées de sexe féminin passera justement par l’instauration d’un mécanisme de « réserve héréditaire ». En effet, la Ministre déléguée chargée de la Citoyenneté a « tweeté » que « concrètement, lorsque la loi étrangère applicable à la succession ne connaît aucun mécanisme réservataire, un prélèvement compensatoire sur les biens situés en France sera appliqué pour récupérer la part due à l’héritière ». Ainsi, il semble que la réforme, tout en visant les cas de discrimination en raison du sexe, pourrait également interférer avec l’application des lois étrangères ignorant la réserve héréditaire. En effet, ces droits, sans consacrer de discrimination, laissent beaucoup de liberté au de cujus dans l’aménagement de sa succession, en permettent concrètement d’exhéréder tout héritier (femme ou homme), même celui qui devrait être considéré réservataire en application de la loi française. Les propos du Ministre de la justice pourraient laisser entendre que la nouvelle loi visera également ces hypothèses (É. Dupond-Moretti, J’ai défendu les magistrats quand ils ont été accusés de laxisme, préc. : « nous souhaitons, lorsque les biens se trouvent en France, qu’aucun enfant ne soit lésé et privé de sa part de succession »).

Reste à savoir si le projet visera uniquement les lois étrangères conduisant à une exhérédation totale des femmes ou si seront également évincées les lois consacrant une simple disparité entre les héritiers en raison du sexe, ce qui est le cas de certains droits d’inspiration musulmane prévoyant que la part des filles correspond à la moitié de celle des fils et que la part du conjoint survivant varie en fonction de son sexe (Rép. intern., Succession, par P. Lagarde). En tout les cas, il semble que la discrimination devrait être sanctionnée uniquement en ce qu’elle atteint la réserve héréditaire. En effet, même en application du droit interne français, il est possible de parvenir à une disparité entre héritiers par le biais d’une disposition testamentaire valable dans la mesure où la réserve héréditaire n’est pas atteinte. 

Pour le moment, l’annonce du projet de loi se focalise uniquement sur les lois objectivement discriminatoires en raison du sexe. En cela, il est possible de se demander s’il s’agit d’une nouveauté. L’ordre juridique français ne saurait se rendre complice d’une violation du principe d’égalité en acceptant d’appliquer des lois discriminatoires. Ainsi, les différentes sources interdisant la discrimination (DDHC, art. 6 ; Conv. EDH, art. 14 ; Charte des droits fondamentaux de l’UE, art. 21) peuvent déjà être mobilisées par le juge via le mécanisme traditionnel de l’ordre public international afin d’évincer l’application de lois étrangères conduisant à un résultat choquant aux yeux de la France. Dans ce cas, ce qui heurte les conceptions de l’ordre juridique français n’est pas l’absence de la réserve héréditaire mais la discrimination opérée entre les héritiers à raison du sexe.

Pour l’instant, tel qu’elle est rédigée, la proposition semble uniquement mettre cause l’application de normes étrangères consacrant une inégalité entre les héritiers en raison du sexe. Il sera remarqué que parmi les différentes figures de la discrimination, le gouvernement a visé celles fondées sur le sexe, en restant muet concernant d’autres types de discriminations, par exemple celles qui seraient fondées sur la nature de la filiation ou sur l’appartenance religieuse (V., CEDH, gde ch., 18 juin 2020, Molla Sali c/ Grèce, n° 20452/14 condamnant la Grèce en raison de la violation de l’art. 14 Conv. EDH combiné avec l’art. 1 du protocole n° 1 pour avoir appliqué une règle étrangère opérant une discrimination entre héritiers en raison de la religion). Ce silence peut surprendre, s’agissant d’un projet de loi visant à lutter contre le séparatisme religieux. Reste à savoir si les mesures adoptées auront la généralité annoncée par le Ministre de la justice et si finalement la protection s’étendra à tout héritier discriminé (même aux épouses d’un polygame ?).

Dès lors, lorsque la discrimination en application de la loi étrangère est constatée, et si elle atteint la réserve héréditaire, selon le mécanisme traditionnel, une fois la loi étrangère écartée, le juge français va appliquer la loi française en la substituant aux dispositions étrangères choquantes.

Il est donc possible de se demander si l’outillage du droit français ne permettrait pas déjà d’atteindre un résultat équivalent à celui escompté par la future loi. En tout, cas il faudra s’interroger sur l’efficacité de la mesure proposée.

 Un résultat déjà garanti par le droit international privé ?

Concrètement, le problème de l’application des lois étrangères éventuellement discriminatoires par le juge français est souvent esquivé par le règlement « Successions » (Règl. (UE) n° 650/2012 du 4 juill. 2012). En effet, en cas de compétence d’un juge d’un État membre, le système du règlement mène de manière presque systématique à l’application de la loi du for (V., P. Lagarde, Les principes de base du nouveau règlement européen sur les successions, Rev. crit. DIP 2012. 691). Dès lors, dans ces cas, le juge français va appliquer la loi française à l’ensemble de la succession, ce qui produit déjà l’effet collatéral d’éviction de lois étrangères discriminatoires. Toutefois, le juge français peut également être amené à appliquer une loi étrangère, tout particulièrement lorsque le chef de compétence repose sur la présence de biens successoraux sur le territoire français (art. 10) ou en raison du forum necessitatis (art. 11) : dans ce cas la coïncidence et le forum et je jus sera subordonnée au jeu de la clause d’exception (art. 21, § 2) ou au jeu du renvoi au premier degré (art. 34).

Lorsque la coïncidence entre juge et loi n’est pas garantie par le règlement et la loi étrangère désignée applicable consacre une discrimination fondée sur le sexe, l’ordre juridique du for peut l’écarter si son application est « manifestement incompatible avec l’ordre public du for » (art. 25). L’ajout de la nécessité d’une contrariété manifeste à l’ordre public est tout à fait classique dans le droit international privé de source européenne et conventionnelle et semblerait en tout cas, permettre d’opposer l’ordre public à des lois étrangères discriminatoires. En effet, dans ces cas, l’application de la loi étrangère semble suffisamment « odieuse » pour remplir la condition d’incompatibilité manifeste (comp. consid. 28 règl. « Successions » qui, en visant l’application des lois d’États membres empêche de mettre en échec un droit conforme à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en particulier à son article 21 qui interdit toute forme de discrimination).

Néanmoins, selon certains auteurs, se référant à la théorie de l’Inlandsbeziehung (V., N. Joubert, La notion de liens suffisants avec l’ordre juridique « Inlandsbeziehung » en droit international privé, 2007, Litec) une telle incompatibilité manifeste avec l’ordre public français ne se vérifierait pas dans les cas où la compétence du for serait établie sur des liens jugés plus « faibles », notamment lorsque le chef de compétence repose sur la situation des biens en France ou sur le déni de justice, lesquels cas sont, comme on l’a vu, précisément ceux où l’application de la loi étrangère sera plus fréquente. À titre d’exemple, selon ces auteurs, dans le cas de la compétence du juge français fondée sur la présence de biens en France, une loi successorale étrangère qui introduit une discrimination fondée sur le sexe ne devrait pas être écartée si tous les héritiers sont de nationalité étrangère et résident à l’étranger, en raison de l’absence de proximité de la situation avec le for (V. not., G. Khairallah, La détermination de la loi applicable à la succession, in Droit européen des successions internationales, 2013, Défrenois, p. 47 s., spéc. p. 57 ad notam ; M. Revillard, Droit international privé et européen : pratique notariale, 9e éd., 2018, Defrénois, n. 1119, p. 652). Dès lors, si l’on suit cette conception, la présence des biens de France, condition requise pour l’application du droit de prélèvement, ne serait pas en soi suffisante pour évincer la loi étrangère.

La proposition du gouvernement ne fait pas mention d’une distinction fondée sur l’existence de liens suffisants avec l’ordre juridique français, notamment en raison de la nationalité française ou le domicile français de la femme discriminée. Néanmoins, l’ajout d’une condition de proximité ne semble pas totalement à exclure dans la mesure où le Ministre de la justice a annoncé la prévision de mesures proportionnelles (l’ordre public de proximité pouvant être vu comme une manifestation du principe de proportionnalité). Dans ce cas, il resterait encore à savoir quels seraient les liens pertinents avec la France à retenir, tout en sachant que la protection exclusive des héritiers français serait censurée en raison de la discrimination et que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’une norme visant à lutter contre la discrimination de source étrangère ne soit pas discriminatoire à son tour (V. déjà, Cons. const. 5 août 2011, n° 2011-159 QPC, D. 2012. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 2331, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; AJ fam. 2011. 440, obs. B. Haftel , obs. A. Boiché ; Rev. crit. DIP 2013. 457, note B. Ancel ; JCP 2011, n° 1139, obs. M. Attal ; JCP N 2011. 1236, obs. E. Fongaro, et chron. 1256, n° 7, obs. H. Péroz ; Dr. fam. 2011. Comm. 173, obs. D. Boulanger ; Dr. et patr. déc. 2011. 93, obs. M.-E. Ancel ; Defrénois 2011. 1351, note M. Revillard ; LPA 27 oct. 2011, p. 18, note L. d’Avout ; JDI 2012. 135, obs. S. Godechot-Patris, ayant déclaré contraire à la Constitution, précisément à l’art. 6 DDHC, le droit de prélèvement réservé aux cohéritiers de nationalité française privés d’une part successorale en application d’une loi étrangère). L’interdiction de discrimination serait également à prendre en compte si le législateur français décidait d’appliquer ce nouveau droit de prélèvement au titre de loi de police (à supposer que l’application des lois de police du for soit permise par le règlement en dehors de l’hypothèse particulière de l’art. 30).

Lorsque l’application des lois étrangères discriminatoires est déclarée contraire à l’ordre public, l’éviction de la loi successorale se limite aux dispositions contraires à l’ordre public international français. Pour le reste, le droit successoral étranger reste applicable (P. Lagarde, préc.). Ainsi, ce qui est choquant dans la loi étrangère, la discrimination en raison du sexe, sera écarté et la part de l’héritière sera alors calculée en application du droit français.

Il semble que le résultat obtenu par le bais de l’exception d’ordre public diffère de ce qui est préconisé par le gouvernement, à savoir, un prélèvement compensatoire sur les biens situés en France pour récupérer la part due à l’héritière. Ainsi, on peut imaginer que ce nouveau système se heurtera aux mêmes difficultés de l’ancien droit de prélèvement : il faudra opérer un règlement fictif de la succession afin de déterminer quels auraient été les droits de l’héritière discriminée si l’ensemble de la succession avait été soumis à la loi française. La différence entre ce résultat et celui de la loi étrangère discriminatoire pourra être prélevée sur les biens situés en France (V., S. Godechot Patris, note préc. p. 140).

Concrètement, la mesure sera apte à pallier la discrimination dans une situation où la plupart des biens du défunt seraient situés en France : c’est-à-dire par les actifs sur lesquels l’ordre juridique français est réputé détenir seul la « puissance d’exécution » (B. Ancel, Inconstitutionnalité du droit de prélèvement de l’héritier français dans les successions internationales, Rev. crit. DIP 2013. 457 ). Toutefois, il faudrait également prendre en compte la possibilité d’opérer un partage égalitaire lorsque l’ensemble ou la plupart des biens composant masse successorale se trouvent dans des États prohibant la discrimination en raison du sexe : dans ce cas, pourquoi se priver d’opérer un partage égalitaire au regard de l’ensemble de la succession, (ce que la mise en œuvre de l’ordre public permet déjà de faire), qui pourra être exécuté concernant les biens situés dans ces États, au lieu de se limiter au seul prélèvement compensatoire en France ?

 Une mesure efficace ?

Il reste à savoir, si la mesure préconisée par le gouvernement sera apte à protéger concrètement les femmes ou tout héritier exhérédé. En effet, si l’application de la loi française passera par le mécanisme des lois de police, il est à remarquer que l’applicabilité au fond d’une telle disposition ne déclenche pas la compétence exclusive du juge français ni en droit commun (Civ. 1re, 22 oct. 2008, n° 07-15.823, Sté Monster Cable Products Inc c/ Sté Audio Marketing Services (AMS), Bull. civ. I, n° 233 ; D. 2009. 200 , note F. Jault-Seseke ; ibid. 2008. 2790, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2009. 684, chron. A. Huet ; ibid. 1557, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; ibid. 2384, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; Rev. crit. DIP 2009. 1, étude D. Bureau et H. Muir Watt ; RTD com. 2009. 646, obs. P. Delebecque ; Procédures 2008. Comm. 331, obs. C. Nourissat; JCP 2008. II. 10187, note L. d’Avout ; JDI 2009. Comm. 11, obs. M.-N. Jobard-Bachellier et F.-X. Train) ni dans le cadre du règlement « Successions ». Le juge étranger ne sera pas tenu à appliquer la loi de police française (de plus, il sera rappelé qu’un État appliquant le règlement « Successions » ne pourrait pas donner effet aux lois de police étrangères en dehors de l’hypothèse visée à l’art. 30).

Dès lors, une fois le litige successoral tranché à l’étranger, la question de la régularité du jugement obtenu pourrait se poser en France dans le cadre d’une instance indirecte. Pour cela, encore faudrait-il avoir un intérêt à agir en exécution en France. La recevabilité de la demande de reconnaissance pourrait alors être retenue en cas de présence de biens relevant de la masse successorale sur le sol français. S’agissant des meubles, il sera toujours possible de les déplacer les biens à l’étranger afin d’échapper à l’exécution du jugement étranger France (il est à remarquer que cette stratégie peut également être utilisée pour échapper à la compétence directe du juge français). À cet égard, il faut se demander si la nouvelle loi aura pour effet de rendre plus fréquentes de telles stratégies afin d’échapper au contrôle du juge français.

Une fois la reconnaissance du jugement étranger requise devant le juge français, il faudra s’interroger sur l’accueil réservé à un jugement qui n’aurait pas appliqué la loi française. En cas de forum shopping malus (V. à ce propos, P. de Vareilles-Sommières, Le forum shopping devant les juridictions françaises, Trav. Com. fr. DIP 1998-2000, 2001, Pedone, p. 49 s.) en droit commun, le contrôle d’une éventuelle fraude à la compétence et à la loi est encore admis (V. toutefois les réserves sur la possibilité de vérifier l’absence de fraude à la loi suite à la suppression du contrôle la compétence législative par la jurisprudence Cornelissen, F.-X. Train, note sous Civ. 1re, 20 févr. 2007, JDI 2007. 1195, spéc. p. 1203 ; P. Mayer, V. Heuzé et B. Rémy, Droit international privé, 12e éd., 2109, LGDJ, n° 406, p. 288 ; B. Audit in Trav. Com. fr. DIP 2010-2012, 2013, Pedone, p. 292). En l’absence de fraude, il faudra se placer sur le terrain de l’ordre public. Dans ce cadre, il est communément admis que l’ordre juridique d’accueil doit se montrer plus tolérant lorsque le litige a déjà été tranché à l’étranger, selon la fameuse théorie de l’effet atténué. Malgré cela, on peut bien imaginer que le juge français refusera d’accueillir le jugement étranger consacrant une discrimination flagrante. Il reste à espérer que la prohibition de la révision au fond mettra l’ordre juridique français à l’abri des inconvénients de la mise à l’écart d’un jugement opérant un partage égalitaire tout en n’ayant pas prévu le prélèvement franco-français qui sera éventuellement consacré par la nouvelle loi.