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Projet de loi terrorisme : « C’est la pollution du droit commun par l’intégration de l’état d’urgence »

De nombreuses associations, syndicats, universitaires et avocats ont détaillé, lundi 25 septembre, les raisons pour lesquelles ils appelaient au retrait du texte « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme ». Pour eux, il ne s’agit ni plus ni moins d’une pérennisation de l’état d’urgence.

par Julien Mucchiellile 26 septembre 2017

L’état d’urgence cessera le 1er novembre, qu’importe, il sera devenu « permanent » : voici la lecture critique faite par de nombreuses associations, collectifs et personnalités, qui se sont réunis hier à Paris pour une conférence de presse, exposant clairement leur souhait que le projet de loi renforçant la lutte contre le terrorisme soit abandonné.

La présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), Christine Lazerges, a introduit la conférence en dénonçant ce qu’elle estime être « la pollution du droit commun par la suppression de l’état d’urgence, qui en réalité, devient permanent, car intégré dans ce droit commun ». Pour tous les commentateurs, les choses sont très claires : à quelques détails près, le texte reprend toutes les mesures permises par l’état d’urgence, et fait des mesures exceptionnelles de sûreté la norme légale.

Examiné depuis le lundi 25 septembre, et jusqu’au 2 octobre, par l’Assemblée nationale, l’adoption de la loi, compte tenu de la large majorité dont dispose La République en marche (LREM), ne fait guère de doutes. Le gouvernement a justifié le recours à la procédure d’urgence parlementaire, par la nécessité que cette loi soit adoptée avant le 1er novembre. En réalité, la sortie de l’état d’urgence est conditionnée par l’adoption de cette loi. Partie à la conférence, le Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche), a publié une analyse très critique du projet.

Les perquisitions administratives ou « visites et saisies »

Cette analyse rappelle tout d’abord que « les perquisitions administratives menées en nombre (plus de 4 300) n’ont abouti qu’à l’ouverture de 30 procédures en matière antiterroriste, sans qu’il ne soit démontré de manière transparente que ces enquêtes – pour certaines évoquées dans l’étude d’impact - n’auraient pas pu intervenir dans un contexte intégralement judiciaire ».

Pourtant, le futur article L. 229-1 du code de sécurité intérieure, prévoit la pérennisation de cette procédure. Pour faire moins peur, elles s’appelleront les « visites et saisies », et serviront à « prévenir la commission d’actes de terrorisme lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’un lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics et qui soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient ou adhère à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes ».

La nouveauté réside dans l’introduction du contrôle du juge des libertés et de la détention (JLD), qui devra prendre une ordonnance motivée après avis du parquet de Paris. L’introduction d’un contrôle juridictionnel constitue a priori une avancée dans la garantie du respect des droits et libertés. Mais pour le SM, « le problème réside dans les critères permettant de recourir à ces mesures et les modes de preuves qui seront rapportées par l’administration, qui portent en germe ces dérives ». En clair, les éléments qui seront à l’appréciation du JLD sont trop flous, insuffisants à ce stade pour que le JLD puisse exercer un contrôle juridictionnel efficient. En outre, pense Laurence Blisson, la secrétaire générale du SM, « il y a cette crainte que les collègues JLD ne soient soumis à une pression hiérarchique et politique pour rendre des décisions » qui n’entraveraient pas la poursuite de l’enquête initiée par les services de police. Enfin, le JLD pourrait devenir « l’alibi » de l’exécutif, la caution juridictionnelle de l’administratif.

Les « mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance »

C’est la version Orwellienne des assignations à résidence. L’article 3 du projet étend le dispositif introduit à l’article L. 225-1 du code de la sécurité intérieure par la loi du 3 juin 2016 et aggravé par la loi du 21 juillet 2016, qui prévoyait une assignation à résidence pour une durée d’un mois, renouvelable deux fois, des personnes revenant d’un théâtre d’opérations de groupements terroristes (non mis en examen et non suspectés d’une infraction pénale). Désormais, la période d’assignation est de trois mois, renouvelable indéfiniment, et peut prévoir jusqu’à trois pointages hebdomadaires, dans un périmètre déterminé qui est au minimum la commune de résidence.

Le critère d’assignation est très largement étendu, puisqu’il énonce un objectif général, la « prévention des actes de terrorisme », dit la loi, alors que la mesure vise des situations moins restrictivement définies. Cela pourra notamment concerner les personnes qui diffusent des contenus terroristes (futur art. L. 228-1 CSI). « Dès lors que le texte est flou, le contrôle est évanescent », explique Laurence Blisson. Pour Christine Lazerges, les critères d’assignation sont tellement larges et flous, qu’ils pourraient être censurés par le Conseil constitutionnel – si tant 60 parlementaires le saisissent.

Les fermetures administratives de lieux de cultes sont également prévues dans le nouveau texte, et même largement facilitées, puisqu’elles peuvent désormais être prononcées après de simples « propos tenus » sans autre précision, notamment quant à leurs auteurs.

« Périmètres de protection »

L’article 1er du projet de loi dispose : « Afin d’assurer la sécurité d’un lieu ou d’un événement exposé à un risque d’actes de terrorisme à raison de sa nature et de l’ampleur de sa fréquentation, le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, le préfet de police peut instituer par arrêté motivé un périmètre de protection au sein duquel l’accès et la circulation des personnes sont réglementés ». Cela implique que toute personne ou véhicule s’y trouvant pourra être fouillée, et expulsée de la zone en cas de refus de se plier à cette obligation. Les conditions particulières réservées aux personnes habitant ce périmètre doivent être discutées.

L’inquiétude du SM, de la CNCDH, de la ligue des droits de l’homme (LDH), du syndicat des avocats de France, tous présents à la conférence, se fonde avant tout sur leur expérience de l’État d’urgence. Me Raphaël Kempf a défendu des militants écologistes et de l’ultra gauche, interdits de séjour dans une zone restreinte (pour les interdire de manifester), sur la base de mesures contenues dans l’état d’urgence, et sur la seule preuve de « notes blanches », une feuille A4 non datée et non signée, qui fait état de tous les éléments de fait qui « prouvent », selon l’administration, qu’un individu représente une menace pour la sécurité et l’ordre publics. Fort de cette expérience, Me Kempf craint que ces nouvelles mesures, « puissent être utilisées contre des personnes n’ayant rien à voir avec le terrorisme ».

« Cette loi, c’est la loi des suspects », pense Me Henri Leclerc, représentant de la LDH à la conférence. Le projet de loi inquiète d’autant plus, qu’il apparaît superflu, au vu de l’état du droit existant. « L’arsenal pénal antiterroriste est largement suffisant », estime Laurence Blisson. En outre, aucune mise en examen dans le cadre d’une affaire terroriste, ne provient d’une procédure initiée par une perquisition administrative. Le pôle antiterroriste se nourrit depuis longtemps du renseignement, et les perquisitions judiciaires sont faciles à mettre en œuvre, dès lors qu’il existe une quelconque suspicion.

Un journaliste a une question : pourquoi une telle indifférence des Français ? Christine Lazerges pense que la plupart ne se sentent pas concernés. Florian Borg, du SAF, évoque l’attitude des parlementaires, qui le recevaient il y a quelque temps pour évoquer le sujet : « ils ne réagissaient pas à mes arguments, on aurait dit une rangée d’éponges, », lance-t-il aux journalistes. Ils discuteront de la loi toute la semaine.