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Prolongation de la détention provisoire : recours à la visioconférence et santé du détenu

Par cet arrêt, la Cour de cassation précise les modalités de refus par la personne détenue de l’utilisation d’un système de visioconférence devant la chambre de l’instruction et réaffirme strictement les conditions de mise en liberté pour raison médicale.

par Hugues Diazle 21 décembre 2017

Sur fond de règlements de comptes mafieux, un ressortissant géorgien était mis en examen pour complicité de tentative d’homicide volontaire en bande organisée, homicide volontaire en bande organisée et association de malfaiteurs. Placé en détention provisoire à compter du 1er août 2014, il voyait son incarcération prolongée par ordonnances successives du juge des libertés et de la détention (JLD). Le 13 juillet 2017, le JLD reconduisait la détention provisoire pour une nouvelle durée de six mois. Appel de cette ordonnance était interjeté avec demande de comparution personnelle de l’intéressé conformément aux dispositions de l’article 199, alinéa 6, du code de procédure pénale. Par avis d’audience du 27 juillet 2017, le mis en examen était informé que le recours à un système de visioconférence était envisagé, ce qu’il semblait accepter en contresignant ce document. La chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence appelait l’affaire à son audience du 8 août 2017 : le mis en examen refusait finalement le recours à la visioconférence et demandait alors à comparaître personnellement. Sans qu’il soit fait droit à cette demande, le débat contradictoire se poursuivait en la seule présence de son conseil, présent à la barre. Par arrêt du 9 août 2017, les juges d’appel confirmaient l’ordonnance de prolongation de la détention provisoire.

Devant la Cour de cassation, le demandeur au pourvoi se plaignait notamment de n’avoir pu se présenter personnellement devant la chambre de l’instruction, et ce alors même qu’il avait fait connaître, au jour de l’audience, son refus de comparaître par visioconférence.

Par principe, en matière de détention provisoire, la comparution personnelle devant la chambre de l’instruction est de droit si la personne détenue, ou son avocat, en fait la demande (C. pr. pén., art. 199, al. 6). L’article 706-71, alinéa 3, du code de procédure pénale ouvre également la possibilité de recourir à un système de télécommunication audiovisuelle, et ce notamment pour le débat contradictoire de prolongation et, plus largement, toutes les audiences relatives au contentieux de la détention devant la chambre de l’instruction. Ce même alinéa précise in fine que, « lorsqu’il s’agit d’une audience au cours de laquelle il doit être statué sur le placement en détention provisoire ou la prolongation de la détention provisoire, la personne détenue peut, lorsqu’elle est informée de la date de l’audience et du fait que le recours à ce moyen est envisagé, refuser l’utilisation d’un moyen de télécommunication audiovisuelle, sauf si son transport paraît devoir être évité en raison des risques graves de trouble à l’ordre public ou d’évasion ». Conformément à la lettre du texte, cette faculté de refuser (ou d’accepter) l’utilisation de la visioconférence ne vaut que pour les audiences au cours desquelles « il doit être statué sur le placement […] ou sur la prolongation de la détention provisoire » (Crim. 9 août 2017, n° 17-83.298).

Selon la Cour de cassation, le mis en examen peut uniquement refuser la visioconférence au moment où il est informé de la date de l’audience et du recours envisagé à ce moyen de télécommunication (Crim. 19 avr. 2017, n° 17-80.571, Dalloz actualité, 27 nov. 2017, obs. D. Goetz isset(node/187805) ? node/187805 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>187805) : une telle lecture semble conforme au texte qui précise bien que l’opposition doit s’exprimer au moment de l’information. Par l’arrêt commenté, la haute juridiction vient surabondamment préciser « qu’il se déduit de [l’article 706-71], qui trouve son fondement dans le souci d’une bonne administration de la justice, que l’intéressé ne peut plus revenir sur ce choix ultérieurement ». Nul doute que des considérations pratiques imposent que le mis en examen ne puisse successivement changer d’avis – et ce a fortiori au jour de l’audience –, sauf à faire peser une trop lourde incertitude sur l’organisation des débats.

Pour ce qui concerne la poursuite du débat contradictoire, et bien que cela ne soit pas directement évoqué par l’arrêt commenté, la Cour de cassation, dans des circonstances distinctes mais relativement proches, a déjà pu valider la motivation d’un arrêt d’une chambre de l’instruction qui avait retenu « qu’à deux reprises, […] le mis en examen [avait], par écrit et en des termes non équivoques, fait savoir au juge des libertés et de la détention qu’il acceptait de comparaître par visioconférence lors du débat contradictoire préalable à une éventuelle prolongation de sa détention provisoire, et que sa demande de comparution en personne devant ce magistrat, formulée au moment même où se déroulait la visioconférence, n’était pas, en raison de son caractère tardif, de nature à faire obstacle à la poursuite du débat contradictoire en cours » (Crim. 19 oct. 2016, n° 16-84.777).

Le demandeur articulait une seconde branche de cassation pleine de bon sens et faisait valoir que, ne parlant pas français, il n’avait pas bénéficié des services d’un interprète (ou d’une traduction) lorsqu’il lui avait été demandé de signer l’avis d’audience par lequel il aurait accepté le recours à la visioconférence. L’argument semblait particulièrement pertinent puisque, s’il est maintenant acquis que le demandeur ne peut plus revenir sur son choix, encore faut-il que ce choix ait été effectué de manière éclairée. Toutefois, la Cour de cassation ne se prononce pas : le grief n’ayant pas été formulé devant la chambre de l’instruction, il est jugé nouveau et, comme tel, irrecevable (v. not. J. Boré et L. Boré, La cassation en matière pénale, Dalloz action, nos 112.00 s.).

Indiquons à ce sujet que, « si la personne suspectée ou poursuivie ne comprend pas la langue française, elle a droit, dans une langue qu’elle comprend et jusqu’au terme de la procédure, à l’assistance d’un interprète, y compris pour les entretiens avec son avocat ayant un lien direct avec tout interrogatoire ou toute audience, et, sauf renonciation expresse et éclairée de sa part, à la traduction des pièces essentielles à l’exercice de sa défense et à la garantie du caractère équitable du procès qui doivent, à ce titre, lui être remises ou notifiées en application du présent code » (C. pr. pén., art. prél. III ; AJ pénal 2013. 527, note E. Daoud et L. Rennuit-Alezra ). Par renvoi aux articles 803-5 et D. 594-6 et suivants du code de procédure pénale, doivent notamment être traduits les décisions relatives à la détention provisoire, les décisions de saisine de la juridiction de jugement, les décisions statuant sur l’action publique et portant condamnation, le procès-verbal de première comparution ou de mise en examen supplétive, sans préjudice de la possibilité d’ordonner, d’office ou à la demande de la personne concernée, la traduction d’un document considéré comme essentiel à l’exercice de la défense et à la garantie du caractère équitable du procès (AJ pénal 2015. 152, note D. Brach-Thiel ; ibid. 2016. 219, note J. Gallois ; ibid. 2017. 501, note M-H. Yazici ). En outre, certaines dispositions prévoient spécifiquement l’intervention d’un interprète à différents stades de la procédure, et notamment lors de la notification des droits de garde à vue (C. pr. pén., art. 63-1), lors de l’audition libre (C. pr. pén., art. 61-1), lors des auditions de témoins, interrogatoires et confrontations faites dans le temps de l’instruction (C. pr. pén., art. 102, 116 et 121), ainsi que devant les juridictions de jugement (C. pr. pén., art. 272, 344, 407, 512 et 535).

La question ici posée, regrettablement restée sans réponse, était de savoir si la personne détenue aurait dû bénéficier d’un interprète (voire d’une transcription de l’avis d’audience dans sa langue maternelle) : d’un point de vue très pragmatique, on voit difficilement comment un détenu étranger pourrait utilement se saisir d’un droit qui ne lui aurait pas été notifié de manière intelligible dans une langue qu’il comprend.

Par ailleurs, arguant d’importants problèmes de santé, continuellement aggravés, le demandeur au pourvoi soutenait notamment dans un second moyen de cassation que son état de santé n’était pas compatible avec le maintien en détention au sens des articles 3 de la Convention européenne et 147-1 du code de procédure pénale.

Sur ce point, la chambre criminelle approuve les juges du fond qui, après analyse des éléments médicaux transmis par la défense ainsi que des modalités de prise en charge médicale, ont considéré qu’il n’était pas démontré que l’état de santé du demandeur était incompatible avec son incarcération. Depuis une loi du 15 août 2014, entrée en vigueur au 1er octobre 2014, l’article 147-1 du code de procédure pénale prévoit en son premier alinéa : « en toute matière et à tous les stades de la procédure, sauf s’il existe un risque grave de renouvellement de l’infraction, la mise en liberté d’une personne placée en détention provisoire peut être ordonnée, d’office ou à la demande de l’intéressé, lorsqu’une expertise médicale établit que cette personne est atteinte d’une pathologie engageant le pronostic vital ou que son état de santé physique ou mentale est incompatible avec le maintien en détention » (v. not., Dalloz actualité, 18 juin 2015, obs. M. Lena). Au cas de l’espèce, s’il était effectivement acquis que le demandeur présentait de sérieux problèmes de santé, les pièces médicales versées aux débats semblaient acter un suivi médical « conséquent et régulier », ainsi qu’un état clinique « stable ». Aucun examen n’établissait par ailleurs une « pathologie engageant [son] pronostic vital ou que son état de santé physique ou mentale était incompatible avec le maintien en détention ». Par une application stricte du texte, le moyen avait peu de chance de prospérer, la motivation des juges du fond étant par ailleurs, selon la Cour, exempte de toute insuffisance (v. not. Crim. 11 juill. 2017, n° 17-82.623 ; 7 févr. 2017, n° 16-86.877, Dalloz actualité, 9 mars 2017, obs. A. André isset(node/183779) ? node/183779 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>183779).

En cette matière, il convient enfin d’insister sur un point : même lorsque l’état de santé devient incompatible avec le maintien en détention, le législateur a entendu ménager à la juridiction d’instruction la prérogative considérable, et par certains aspects peut-être discutables, de ne pas faire droit à une telle demande de mise en liberté.