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Prolongation de plein droit de la détention provisoire : applicabilité à la seule issue du délai maximum ?

Il résulte des termes mêmes de l’ordonnance, sans qu’il puisse y être ajouté par voie de circulaire, que la prolongation de plein droit ne s’applique qu’aux délais maximums de détention prévus par le code de procédure pénale et non à la durée du titre de détention en cours, notions juridiquement différentes.

par Sébastien Fucinile 22 mai 2020

Dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire pour faire face à l’épidémie de covid-19, le gouvernement, habilité par la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, a adapté par une ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 les règles de procédure pénale. Si les mesures prises étaient pour la plupart nécessaires (v. Dalloz actualité, 27 mars 2020, obs. D. Goetz), l’une d’elles a suscité et suscite encore la controverse : la prolongation automatique de la détention provisoire. La piètre rédaction de l’article 16 de l’ordonnance ne permettant pas de comprendre si la prolongation s’applique à l’issue de la dernière prolongation possible ou à l’issue du titre de détention en cours, une circulaire est venue préciser, de manière là encore assez confuse, que cette prolongation s’applique sans qu’il soit nécessaire de prendre une décision de prolongation, aux titres de détention en cours arrivant à échéance. Les interprétations par les juges du fond de cette disposition n’en demeurent pas moins variées. C’est ainsi qu’une chambre de l’instruction de la cour d’appel de Nancy a considéré qu’il résulte « des termes mêmes de l’ordonnance, sans qu’il puisse y être ajouté par voie de circulaire, que la prolongation de plein droit ne s’applique qu’aux délais maximums de détention prévus par les dispositions du code de procédure pénale et non à la durée du titre de détention en cours, notions juridiquement différentes ». Dans cette espèce, le juge des libertés et de la détention (JLD) avait prononcé une prolongation de la détention provisoire le 9 avril 2020 à l’issue d’un débat contradictoire, en considérant que l’article 16 de l’ordonnance ne pouvait s’appliquer que si le délai maximum de détention provisoire arrivait à échéance durant l’état d’urgence sanitaire. La chambre de l’instruction a ainsi confirmé l’ordonnance du JLD et a prolongé la détention provisoire à l’issue d’un débat contradictoire pour une durée de quatre mois, conformément aux dispositions de droit commun de l’article 145-1 du code de procédure pénale.

L’article 16 de l’ordonnance du 25 mars 2020 pose en effet des problèmes majeurs d’interprétation : cet article prévoit que « les délais maximums de détention provisoire ou d’assignation à résidence sous surveillance électronique, prévus par les dispositions du code de procédure pénale […] sont prolongés de plein droit » de deux, trois ou six mois selon les cas. Ainsi, il apparaît clairement à la lecture de l’ordonnance qu’il s’agit d’une prolongation « de plein droit », c’est-à-dire automatique, par le seul effet de la loi. C’est là l’aspect le plus critiqué de l’article 16, en ce que la prolongation de la détention provisoire de deux à six mois s’applique sans intervention d’un juge, suscitant des interrogations sur la conformité à l’article 66 de la Constitution et à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme. Mais ce n’est pas sur ce point que s’est prononcée la chambre de l’instruction et elle n’a pas remis en cause la conformité à une norme supérieure de l’article 16 de l’ordonnance. Au contraire, elle a considéré qu’une prolongation de plein droit était conforme à la Convention européenne des droits de l’homme dans la mesure où une demande de mise en liberté peut être présentée à tout moment. Le Conseil d’État, par une ordonnance peu convaincante rendue dans le cadre d’un référé-liberté, n’a en outre pas considéré cette disposition comme étant contraire à une liberté fondamentale (CE, ord., 3 avr. 2020, req. n° 439894, Dalloz actualité, 9 avr. 2020, obs. J.-B. Perrier).

L’analyse de la chambre de l’instruction a conduit à interpréter littéralement l’article 16 de l’ordonnance pour en déduire qu’il ne pouvait s’appliquer qu’à l’issue de la durée maximale de détention provisoire, c’est-à-dire après que toutes les prolongations possibles conformément au droit commun ont été appliquées. En effet, comme le souligne la chambre de l’instruction, la prolongation de plein droit s’applique, conformément à l’article 16, aux délais « maximums ». Ce dernier terme n’a de sens que s’il s’agit de prolonger la durée maximale de détention provisoire, c’est-à-dire de la prolonger au-delà des durées maximales prévues par les articles 145-1 et 145-2 du code de procédure pénale. Le terme maximum n’a en effet aucun sens dans la phrase s’il s’agit de prolonger la durée du titre de détention en cours prenant fin lors de l’état d’urgence sanitaire : s’il s’agissait de cela, il aurait suffi de préciser que la durée du titre de détention en cours qui échoit au cours de la période est prolongée de plein droit. Même si le gouvernement a précisé le sens de l’article 16 par la circulaire du 26 mars 2020, celle-ci n’a aucune valeur normative et ne peut aller à l’encontre de la lettre du texte. S’il est vrai que la lettre de l’article 16 manque de clarté, l’interprétation retenue par la circulaire est en contradiction avec la présence de l’expression « délais maximums de détention provisoire », ce qui a conduit la chambre de l’instruction à adopter une interprétation contraire à la circulaire, mais davantage conforme non seulement à la lettre, mais aussi aux droits de la défense. La chambre de l’instruction affirme à ce propos qu’« en cas de doute sur la portée d’un texte légal ou réglementaire visant une disposition procédurale concernant une mesure privative de liberté, l’interprétation la plus favorable à la personne privée de liberté doit être privilégiée ». Si une telle méthode d’interprétation n’est pas un principe en procédure pénale, elle permet cependant d’adopter une interprétation davantage conforme aux droits de la défense et au droit à la liberté individuelle. Il reste à savoir quelle sera l’interprétation retenue par la Cour de cassation : la présente interprétation aurait pour conséquence la libération immédiate des détenus dont la détention provisoire pouvait encore être prolongée conformément aux dispositions de droit commun et qui ne sont pas détenus pour une autre cause, si aucune décision avec débat contradictoire n’est intervenue.

Conscient des difficultés suscitées par l’article 16 de l’ordonnance, le législateur, par la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020, a mis fin à compter de ce jour aux prolongations automatiques de la détention provisoire. Conformément au nouvel article 16-1 de l’ordonnance, l’article 16 n’est plus applicable à compter du 11 mai 2020. Cependant, si l’échéance du titre de détention en cours intervient avant le 11 juin 2020, la juridiction « dispose d’un délai d’un mois à compter de cette échéance pour se prononcer sur la prolongation sans qu’il en résulte la mise en liberté de la personne ». Les choses sont dites ici plus clairement : le titre de détention en cours est prolongé d’un mois, le texte précisant cependant que cette durée s’imputera sur la durée prévue par les dispositions de droit commun. Le texte précise cependant que « s’il s’agit de la dernière échéance possible, la prolongation peut être ordonnée selon les cas pour les durées prévues à l’article 16 de l’ordonnance ». Il s’agit là d’une prolongation supplémentaire s’ajoutant à celles de droit commun, intervenant à l’échéance de la durée maximale prévue par les dispositions du code de procédure pénale. Mais cette prolongation n’est plus automatique et suppose une décision de la juridiction compétente. En outre, le texte ajoute une précision importante : la prolongation de plein droit intervenue au cours de l’instruction avant le 11 mai 2020 « n’a pas pour effet d’allonger la durée maximale totale de la détention en application des dispositions du code de procédure pénale, sauf si cette prolongation a porté sur la dernière échéance possible ». Cela ne s’applique pas aux prolongations intervenues en matière d’audiencement. Et pour rattraper partiellement ce qui a été fait avant le 11 mai, le législateur a encore précisé que la prolongation automatique de six mois intervenue en matière criminelle au cours de l’instruction « ne peut maintenir ses effets jusqu’à son terme » que par une décision du JLD devant intervenir au moins trois mois avant le terme de la prolongation. La clarté des modalités retenues par la loi du 11 mai 2020 contraste avec l’obscurité de l’article 16 de l’ordonnance. Si le législateur a tenté de limiter les dégâts en mettant fin dès le 11 mai 2020 à la possibilité de nouvelles prolongations automatiques, il n’en reste pas moins que l’article 16 risque encore de susciter des difficultés d’interprétation pouvant aboutir à l’illégalité de certaines détentions en cours. La volonté d’éviter l’intervention du juge pour la prolongation des détentions en cours, alors même que l’article 19 de l’ordonnance organisait les modalités du débat contradictoire permettant de protéger chacun d’un risque de contamination, est une des mesures les plus éminemment contestables. Si une restriction de certaines libertés, lorsque cela est nécessaire et proportionné, peut se justifier pour lutter contre la pandémie actuelle, la mise à l’écart du juge pour se prononcer sur une prolongation de la détention provisoire, alors que tout était organisé pour permettre au juge de se prononcer sans présence physique du détenu ou de l’avocat, semble injustifiable.