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Promesse d’embauche : offre ou promesse unilatérale de contrat de travail

La chambre sociale décide que l’évolution du droit des obligations, résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, conduit à apprécier différemment, dans les relations de travail, la portée des offres et promesses de contrat de travail.

par Jean Sirole 11 octobre 2017

Par ces deux décisions promises à la plus large diffusion, la chambre sociale revient sur une jurisprudence bien établie, et pourtant critiquable, selon laquelle la promesse d’embauche valait contrat de travail (constitue une promesse d’embauche valant contrat de travail l’écrit qui précise l’emploi proposé et la date d’entrée en fonction, la rupture de cet engagement s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, v. Soc. 15 déc. 2010, n° 08-42.951, Bull. civ. V, n° 296 ; Dalloz actualité, 20 janv. 2011, obs. J. Siro ; RDT 2011. 108, obs. G. Auzero ; JS Lamy 2011, n° 293-2, obs. J.-P. Lhernould ; JCP S 2011. 1104, obs. C. Puigelier). Cette jurisprudence se voulait protectrice des intérêts du salarié puisque, comme la Cour de cassation le souligne dans sa note explicative publiée sur son site internet, « dès lors que la promesse d’embauche mentionnant la date d’entrée en fonction et l’emploi proposé valait contrat de travail, l’employeur se trouvait empêché de la retirer, même si le salarié ne l’avait pas encore acceptée », mais elle « présentait quelques difficultés en ce qu’elle ne prenait pas en compte la manifestation du consentement du salarié pour s’attacher exclusivement au contenu de l’acte émanant de l’employeur. Ainsi, un acte unilatéral emportait les effets d’un contrat synallagmatique » (en ce sens, v. nos obs. préc. ; J.-Y. Frouin, Le contrat de travail et les dérogations au droit commun du contrat, Dr. soc. 2017. 696 ).

Dans chacune des deux affaires, un joueur de rugby avait reçu une promesse d’embauche émanant d’un club, respectivement le 25 mai 2012 (pourvoi n° 16-20.103) et le 22 mars (pourvoi n° 16-20.104). Le 6 juin 2012, le club informait les deux joueurs qu’il n’entendait pas donner suite aux contacts noués. Le 12 puis le 18 juin, chacun des deux joueurs retournait la promesse d’embauche signée. La cour d’appel de Montpellier, saisie du litige, a fait application de la jurisprudence alors applicable aux faits de l’espèce : la promesse d’embauche vaut contrat de travail.

La chambre sociale rend sa décision au visa des articles 1134 du code civil dans sa version applicable à l’espèce et L. 1221-1 du code du travail soulignant que « l’évolution du droit des obligations, résultant de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, conduit à apprécier différemment, dans les relations de travail, la portée des offres et promesses de contrat de travail » (formulation déjà employée par une chambre mixte, v. Cass., ch. mixte, 24 févr. 2017, n° 15-20.411, Dalloz actualité, 20 mars 2017, note A. Galliard , note B. Fauvarque-Cosson ; ibid. 1149, obs. N. Damas ; AJDI 2017. 612 , obs. M. Thioye ; AJ Contrat 2017. 175 , obs. D. Houtcieff ; RTD civ. 2017. 377, obs. H. Barbier ).

Elle énonce que :

  • l’acte par lequel un employeur propose un engagement précisant l’emploi, la rémunération et la date d’entrée en fonction et exprime la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation constitue une offre de contrat de travail, qui peut être librement rétractée tant qu’elle n’est pas parvenue à son destinataire ; que la rétractation de l’offre avant l’expiration du délai fixé par son auteur ou, à défaut, l’issue d’un délai raisonnable fait obstacle à la conclusion du contrat de travail et engage la responsabilité extra-contractuelle de son auteur ;
  • la promesse unilatérale de contrat de travail est le contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l’autre, le bénéficiaire, le droit d’opter pour la conclusion d’un contrat de travail, dont l’emploi, la rémunération et la date d’entrée en fonction sont déterminés et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire ; que la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat de travail promis.

Les décisions du juge du fond sont par conséquent censurées puisqu’il n’a pas constaté que, dans chacune des deux hypothèses, l’acte offrait au joueur le droit d’opter pour la conclusion du contrat de travail dont les éléments essentiels étaient déterminés et pour la formation duquel ne manquait que son consentement.

Il appartiendra à la cour d’appel de renvoi de relever si les éléments constitutifs de la promesse unilatérale de contrat de travail sont réunis. Si tel n’est pas le cas, une offre de contrat de travail sera caractérisée et le délai entre sa présentation et sa rétractation sera jugé comme raisonnable ou non, critère permettant la mise en jeu de la responsabilité de l’auteur de l’offre.

La Cour de cassation applique par anticipation la réforme du droit des obligations (v. déjà, pour une application « anticipée », Cass., ch. mixte, 24 févr. 2017, préc.) aux faits de l’espèce. Les dispositions de l’ordonnance du 10 février 2016 ne sont entrées en vigueur que le 1er octobre 2016 et, conformément à l’article 9 de ce texte, les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 demeurent soumis à la loi ancienne. Cette application permet à la chambre sociale de rendre, et là réside le paradoxe, une décision qui n’aurait pas véritablement heurté la lettre et l’esprit du droit antérieur à la réforme (la note explicative souligne d’ailleurs la divergence qui existait entre la jurisprudence de la chambre sociale et celle de la troisième chambre civile, v. Civ. 3e, 7 mai 2008, n° 07-11.690, Bull. civ. III, n° 79 ; Dalloz actualité, 26 mai 2008, obs. G. Forest ; ibid. 2009. 440, chron. M.-L. Mathieu-Izorche ; RTD civ. 2008. 474, obs. B. Fages ).