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Durant quatre jours, le tribunal correctionnel de Paris a jugé cinq Britanniques pour la vente d’un médicament non autorisé, le GcMAF, censé guérir presque toutes les maladies. Le parquet a requis quatre ans contre le principal prévenu. Décision le 14 avril.
par Pierre-Antoine Souchardle 30 mars 2021
Sont-ils des charlatans ayant exploité la crédulité de malades en vendant des produits dangereux pour la santé, comme soutient le parquet ? Ou des illuminés dont la foi inébranlable en l’efficacité de leur remède, certes contesté, n’a pas varié au fil des ans, même à la barre de la 31e chambre, comme l’a plaidé la défense ?
Foi et profit n’étant pas antinomiques, certains des prévenus ont amassé de substantiels gains. Le GcMAF et le GOleic, produits supposés soigner cancers, autisme, maladies d’Alzheimer, Parkinson, Lyme, Crohn, sclérose en plaques, herpès, etc., auraient rapporté entre deux et neuf millions d’euros, selon l’accusation. La fiole de deux centilitres était vendue 450 €.
Si l’ordonnance de renvoi évoque un réseau structuré écoulant à grande échelle ses produits, des cartons déchargés de petits avions dans des Jaguars à l’aéroport de Cherbourg, de laboratoires clandestins, une fois aperçus les quatre prévenus, difficile de les imaginer dans un rôle de trafiquants chevronnés. Des Pieds nickelés perchés, version outre-Manche, sans arsenic ni vieilles dentelles, mais tendances complotistes et paranoïaques. Leur ennemi : le Big Pharma qui empoisonne l’humanité à coups de gélules et vaccins.
Tout commence en décembre 2015, lorsque l’agence britannique de régulation du médicament (MHRA) informe son homologue français qu’un trafic de médicaments non autorisé est organisé depuis le Cotentin. Ils sont fabriqués et conditionnés dans un laboratoire à Cherbourg, puis vendus via le site d’une société Firstimmune, détenue par un Anglais, David Noakes. À l’époque, ce dernier est déjà poursuivi dans son pays pour des faits similaires. Les Anglais le soupçonnent d’avoir délocalisé sa lucrative activité en France. À Cherbourg et à Digosville où il loue avec sa compagne une ferme dans laquelle travaille un « chimiste ».
Au tribunal, David Noakes explique avoir bâti sa fortune dans les logiciels de gestion. Il a travaillé pour des établissements bancaires comme JPMorgan, Deutsche Bank ou ING. Anti-européen flirtant avec les thèses d’extrême droite, il s’est présenté en 2005 sous la bannière du UKIP, le parti chantre du Brexit. Du temps de sa splendeur, il roule en Rolls-Royce, Aston Martin, réside à Guernesey, paradis fiscal à défaut d’être un petit coin de paradis ensoleillé, et en Angleterre, et pilote de petits avions dans lesquels il est soupçonné de transporter en France la matière première à l’élaboration du pseudo-médicament.
Association de bienfaiteurs versus bande organisée
Aujourd’hui, M. Noakes, 68 ans, a perdu de sa superbe. Tous ses biens ont été saisis par la justice anglaise. Il est le seul détenu de ce dossier. Incarcéré en juin 2020, il parle à peine le français. Ce qui ne simplifie pas sa détention. Il a, dit-il, le « cerveau emprisonné ». Sa coupe de cheveux, carcérale, lui donne un faux air de moine médiéval défroqué. Il réfute le diagnostic d’Asperger léger posé par les experts. « Je n’ai pas l’impression d’être autiste, mais plutôt que ce sont tous les gens autour de moi. »
Présenté comme le cerveau de ce réseau, il est poursuivi, entre autres, pour « escroquerie en bande organisée, exercice illégal de la profession de pharmacien, commercialisation de médicament sans autorisation de mise sur le marché, tromperie sur la marchandise entraînant un risque pour la santé, ouverture d’un établissement pharmaceutique sans autorisation ».
Un cran en dessous, Linda T…, sa compagne, 58 ans. Ils se sont trouvés sur un site de rencontres. Une petite femme, toute en claudication, dont le regard bleu ciel vire au noir foudroyant quand elle s’oppose au tribunal. Selon l’accusation, elle est la caution scientifique du réseau. À la barre, malgré les efforts des traducteurs, il fut compliqué de comprendre sa formation initiale. Sa mémoire – au choix, sélective, défaillante ou décalée – n’a pas aidé à définir son rôle dans ce réseau. « Je suis une scientifique, j’ai été persécutée. On m’a emprisonnée. » Mme T… a passé dix-sept mois en détention provisoire et tenté de se suicider en 2019.
Un échelon plus bas, David H…, 54 ans, logisticien à la dégaine de musicien de rock. Mais de rock flegmatique. Ingénieur en mécanique, sans compétence médicale, il a fabriqué et conditionné tant bien que mal les produits dans les deux laboratoires de Cherbourg et de Digosville. « Quand vous connaissez le matériel, ce n’est pas très difficile », traduit l’interprète. Avant de les expédier via UPS aux quatre coins du monde.
Dans le bas, voire à côté de cette pyramide, Lesley B…, 56 ans, la sœur de Linda, et son compagnon, Michael N…, 46 ans. Il est absent, retenu en Pologne. Mme B…, installée près d’Avranches, commercialisait une crème, Mafactiv, à base de GcMAF, qui, selon son site internet, avait des vertus curatives pour soixante-dix-sept maladies. Le pot de crème de la Perrette de la Manche lui a rapporté près de 360 000 € par an.
Adossé à ce réseau, une nébuleuse de sociétés immatriculées aux Pays-Bas, par laquelle ont transité les fonds provenant des ventes. Pour l’accusation, le GcMAF et le GOleic sont des médicaments par présentation, tels que définis par l’article L. 5111-1 du code de la santé publique. À savoir une substance présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines.
La main du Big Pharma
Davis Noakes se défend d’être à la tête d’un quelconque trafic. Ses ennuis judiciaires en Grande-Bretagne l’ont, explique-t-il au tribunal, dissuadé de poursuivre la commercialisation de ce qu’il considère toujours comme le meilleur remède contre le cancer. Si le service de santé britannique l’avait agréé, « il sauverait près de 120 000 personnes par an », a-t-il affirmé.
M. Noakes a découvert le GcMAF en 2009. Un peu après sa rencontre avec Linda T…, « une brillante scientifique qui [l]’a aidé dans mes recherches ». Convaincu que cette molécule pouvait guérir le cancer, il se lance dans sa fabrication. À l’époque, elle est produite aux États-Unis. « Pourquoi vouloir fabriquer une version européenne », lui demande la présidente Isabelle Prévost-Desprez. « Je ne voulais pas faire une version européenne mais une version britannique », répond-il. « Nous savons que vous avez un problème avec l’Europe », rétorque-t-elle.
Pour vanter les mérites de cette molécule, David Noakes s’appuie sur des études menées par deux professeurs, l’un japonais, l’autre italien, mais critiquées par le monde médical pour leur manque de rigueur scientifique. Il réfute, affirmant que ce sont les grands laboratoires pharmaceutiques qui ont œuvré pour les décrédibiliser.
À la barre, Linda T… admet avoir rédigé des publications sur le GcMAF. Mais elle ne sait pas comment elle s’est retrouvée seule actionnaire d’une des sociétés aux Pays-Bas qui gérait les commandes du produit miracle. Encore moins pourquoi cette même société la rétribuait. Si David H… a travaillé à la ferme qu’elle louait avec David Noakes, elle ne s’est jamais intéressée à ses activités. Pas plus qu’elle ne lui a apporté de Guernesey de la matière première. Des interceptions téléphoniques lues par la présidente montrent le contraire.
Charlatanisme et appât du gain
Tous sont sur une même ligne, ils ont vendu des compléments alimentaires. Pas des médicaments. En Grande-Bretagne et en Suisse, M. Noakes a été condamné pour vente de médicament non autorisé. Sur le banc des parties civiles, pas un seul des soixante-six clients français parmi les quelque 11 000 acheteurs. Mais l’Ordre national des pharmaciens, par le biais de son avocat, Jean-François Laigneau, réclame 20 000 € de dommages-intérêts, estimant que la « criminalité pharmaceutique [représentait] un véritable danger pour la santé publique ».
« Le but premier du charlatanisme est l’appât du gain, pas de sauver l’humanité », rappelle la procureur Sylvie Marchelli. M. Noakes a entretenu « la confusion » sur un produit pour s’enrichir « au mépris de la santé de ses clients ». Les produits vendus correspondent bien, dit-elle, à la définition du médicament par présentation. Les prévenus ont vanté leurs vertus curatives et thérapeutiques. Idem pour la crème vendue par Mme B….
« Vous n’êtes pas ci pour juger si le GcMAF a des effets ou pas mais pour juger des personnes qui ont fait croire, sur la base d’études non validées que le GcMAF était utile », a-t-elle souligné. Les faits de tromperie et d’escroquerie en bande organisée sont constitués, selon le parquet. Contre M. Noakes, elle réclame quatre ans ferme et maintien en détention, trois ans, dont dix-huit mois avec sursis, contre Mme T…. Deux ans, dont dix-huit mois avec sursis, contre David H… et Lesley B…, et un an avec sursis contre son compagnon, Michael M….
Les avocats de la défense ont critiqué le poids excessif des réquisitions. « On est dans un dossier où il n’y a pas de morts, pas de cadavres. Juste des infractions au code de la santé publique », a relevé Me David Apelbaum, conseil de M. Noakes. Dans le dossier du Mediator, où les morts se comptent par centaines, la peine la plus lourde requise était de trois ans ferme, a-t-il rappelé.
La défense a regretté l’absence d’audition de clients lors de l’instruction. « Si l’escroquerie nécessite la preuve de manœuvres frauduleuses, on ne peut pas prouver que quelqu’un a été trompé », a plaidé Me Apelbaum. Où sont les victimes de l’escroquerie, de la tromperie, s’est interrogé Me Olivier Forray, pour Mme T…. « Dans ce dossier, nous n’en avons aucune. C’est le vide sidéral. »
« À aucun moment, nous n’avons eu une explication simple sur le produit dont on parle », a rappelé Me Agnès Bouquin, toujours pour Mme T…. Les experts n’y ont trouvé aucun médicament ou toxique, a-t-elle rappelé. Comment dès lors le qualifier de dangereux ? Le GcMAF devait être conservé au congélateur. Or, souligne-t-elle, personne ne sait comment les fioles saisies l’ont été, mettant dès lors en cause l’intégrité des scellés. « On est vraiment dans un amateurisme complet. »
David H… est « un exécutant de second rang dont on fait un élément central pour faire tenir le dossier », a souligné Me Léa Dordilly. Il « croit aux vertus et bénéfices » du produit qu’il pensait être un complément et non un médicament. Elle réclame une peine avec sursis pour son client qui a déjà passé quatre mois en détention provisoire. Me Béatrice Cohen, pour Mme B… et Michael N…, a demandé leur relaxe, estimant qu’ils avaient été accrochés dans ce dossier « par pur opportunisme judiciaire ».
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