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Prononcé d’une peine d’emprisonnement sans sursis en matière correctionnelle : à quelles conditions ?

En l’absence d’autres éléments portés à leur connaissance, les juges qui prononcent une peine d’emprisonnement sans sursis en matière correctionnelle peuvent, sans méconnaître les dispositions de l’article 132-19 du code pénal, fonder leur appréciation de la personnalité du prévenu sur le seul casier judiciaire.

par Dorothée Goetzle 19 février 2020

En l’espèce, à l’issue d’une information judiciaire relative à un trafic de cocaïne, un individu était renvoyé devant le tribunal correctionnel des chefs d’association de malfaiteurs établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, des délits d’acquisition, détention et transport non autorisés de stupéfiants, punis de dix ans d’emprisonnement. Parallèlement, l’administration des douanes le faisait citer devant cette même juridiction pour avoir coopéré à des exportations sans déclaration de marchandises prohibées au sens de l’article 38 du code des douanes. Relaxé par le tribunal correctionnel, l’intéressé était condamné par les secondes juges, sur appel du parquet et de administration des douanes, à quatre ans d’emprisonnement et à des amendes douanières.

Dans son pourvoi en cassation, il relève la violation des articles 132-19 et 132-24 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. Il reproche à cour d’appel de l’avoir condamné à une peine d’emprisonnement sans avoir spécialement motivé ce choix au regard de la gravité de l’infraction, de la personnalité de l’auteur et du caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction. Il est vrai que, selon l’article 132-19 du code pénal dans sa version en vigueur à la date des faits, en matière correctionnelle, une peine d’emprisonnement sans sursis ne peut être prononcée qu’en dernier recours si la gravité de l’infraction et la personnalité de son auteur rendent cette peine nécessaire et si toute autre sanction est manifestement inadéquate. En application de ce texte, le juge qui prononce une peine d’emprisonnement sans sursis doit en justifier la nécessité au regard de la gravité de l’infraction, de la personnalité de son auteur et du caractère manifestement inadéquat de toute autre sanction (Crim. 20 juin 2018, n° 17-84.128, Dalloz actualité, 18 juill. 2018, obs. M. Recotillet ; D. 2018. 1664, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 2259, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ fam. 2018. 463, obs. M. Saulier ; AJ pénal 2018. 524, obs. E. Gallardo ; RSC 2018. 678, obs. Y. Mayaud ; 23 oct. 2019, n° 18-85.088, Dalloz actualité, 12 nov. 2019, obs. D. Goetz ; D. 2019. 2097 ; AJ pénal 2020. 25, étude C. Litaudon ; RTD com. 2019. 1022, obs. B. Bouloc ).

La chambre criminelle a déjà considéré que ne répond pas à ces exigences l’arrêt qui prononce une peine d’emprisonnement, pour partie sans sursis, sans caractériser la nécessité de la peine d’emprisonnement ferme ni l’impossibilité d’ordonner une mesure d’aménagement (Crim. 10 nov. 2010, n° 10-80.265 P, D. 2011. 2823, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, S. Mirabail et T. Potaszkin ; RSC 2011. 872, obs. D. Boccon-Gibod ; Dr. pénal 2011, com. 5, obs. M. Véron ; Gaz. Pal. 2010. 2. 3734). Dans le même esprit, n’a pas justifié sa décision la cour d’appel qui, pour condamner les prévenus, le premier, à trois ans d’emprisonnement sans sursis et, le second, à cinq ans d’emprisonnement sans sursis, énonce qu’en raison de la particulière gravité et de la nature des faits une peine d’emprisonnement ferme est de nature à sanctionner de manière appropriée les délits qu’ils ont commis, alors que l’arrêt aurait dû expliquer en quoi, outre la gravité des faits, la personnalité des prévenus rendait les peines prononcées à leur encontre nécessaires et exclusives de toute autre sanction (Crim. 27 sept. 2011, n° 11-80.252 P, Dalloz actualité, 7 nov. 2011, obs. L. Priou-Alibert ; D. 2012. 2917, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin ; AJ pénal 2012. 289, obs. L. Priou-Alibert ).

En l’espèce, la Cour de cassation constate que les juges du fond avaient pris le soin, dans leur motivation, de souligner que les faits imputés au prévenu étaient d’une particulière gravité s’agissant d’association de malfaiteurs en vue de la préparation des délits d’acquisition, détention et transport non autorisés de stupéfiants, punis de dix ans d’emprisonnement et du délit douanier d’exportation sans déclaration en douane de marchandise dangereuse pour la santé publique portant sur 10,339 kg de cocaïne et 32,852 kg de cocaïne. En outre, ils avaient relevé que l’intéressé jouait un rôle d’organisateur dans ce trafic. Enfin, ils avaient souligné qu’il était actuellement détenu pour autre cause.

Sur la base de ces éléments, pouvaient-ils condamner cet individu, dont le casier judiciaire ne portait trace d’aucune condamnation, à une peine d’emprisonnement sans sursis ?

Assurément oui pour la Cour de cassation. En effet, pour rejeter le pourvoi, les hauts magistrats font valoir « qu’en l’absence d’autres éléments portés à leur connaissance, les juges qui prononcent une peine d’emprisonnement sans sursis en matière correctionnelle peuvent, sans méconnaître les dispositions de l’article 132-19 du code pénal, fonder leur appréciation de la personnalité du prévenu sur le seul casier judiciaire ».

En matière de stupéfiants, la chambre criminelle, dans une jurisprudence plus ancienne, avait estimé que justifie sa décision l’arrêt qui, pour condamner la prévenue pour cession et usage de stupéfiants à six mois d’emprisonnement, énonce que, compte tenu de la personnalité de la prévenue, de la gravité des faits, de leur commission par une personne mise en examen et placée sous contrôle judiciaire, les peines d’amende ou de substitution sont inadaptées et que le prononcé d’une peine d’emprisonnement s’impose, et que, si la peine de six mois est justifiée par la nature des faits et la personnalité de la prévenue, il n’apparaît pas opportun de la faire bénéficier du sursis (Crim. 14 nov. 1994, n° 94-82.082, Dr. pénal 1995. 59 ; Gaz. Pal. 1995. 1. Somm. 172). Récemment, la chambre criminelle a rappelé que la peine correctionnelle devant être motivée au regard de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle, le juge ne peut faire l’économie d’aucun de ces trois critères (Crim. 15 mai 2019, n° 18-84.494, Dalloz actualité, 13 juin 2019, obs. L. Jay). Pragmatiques, les hauts magistrats semblent, dans l’arrêt rapporté, être prêts à s’éloigner de ce carcan en permettant aux juges de prononcer une peine d’emprisonnement sans sursis en matière correctionnelle en fondant leur appréciation de la personnalité du prévenu, en l’absence d’autres éléments portés à leur connaissance, sur son seul casier judiciaire. Le rejet de ce pourvoi est-il une réaction à l’encadrement de plus en plus strict du prononcé des peines d’emprisonnement ferme prévu par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 ? La jurisprudence à venir – qui sera sans doute fournie sur la question – permettra de le savoir…