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À propos du feuilleton du droit de retrait dans les sociétés d’exercice libéral : suite et fin ?

Si, la plupart du temps, les décisions judiciaires ne font qu’appliquer des solutions connues et sont finalement attendues, il arrive parfois que ce ronronnement rassurant soit interrompu par une décision disruptive, marquant une véritable rupture dans la matière considérée. Ladite rupture peut apparaître comme heureuse, structurante, ou au contraire destructrice, faire voler en éclat d’anciennes certitudes, et entraîner la stupéfaction des commentateurs.

C’est une rupture de ce dernier type que provoquait l’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 12 décembre 2018, en prohibant le retrait capitalistique dans les SELARL.

La cour d’appel de Caen, désignée comme juridiction de renvoi, vient de statuer sur cette espèce. Qu’en est-il, désormais, du droit positif applicable au renvoi capitalistique dans une société d’exercice libéral (SEL) ?

Les faits étaient parfaitement banals. Une avocate, associée d’une SELARL, en mésentente avec ses associés, notifiait son retrait puis saisissait le bâtonnier d’une demande d’arbitrage afin qu’il soit statué sur la valorisation et la cession de ses parts sociales. À noter toutefois que les statuts de la SELARL ne contenaient pas de clause de retrait. Le bâtonnier désignait néanmoins un expert en vue de procéder à ladite valorisation. Saisie d’un recours, la cour d’appel de Rouen confirmait cette décision. La SELARL formait alors un pourvoi, qui amenait la haute cour à casser la décision déférée, avec la désormais célèbre motivation suivante : « À défaut de dispositions spéciales de la loi l’autorisant, un associé d’une société d’exercice libéral à responsabilité limitée d’avocats ne peut se retirer unilatéralement de la société, ni obtenir qu’une décision de justice autorise son retrait, peu important le contenu des statuts. »

On découvrait donc, vingt-huit ans après la promulgation de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, que les statuts des SEL ne pouvaient pas prévoir un droit de retrait capitalistique !

Retrait et liberté d’établissement

Cette décision venait contrarier une pratique généralisée, quasiment universelle, car, dans leur immense majorité, les sociétés d’exercice constituées par les avocats contiennent une clause de retrait capitalistique. En effet, avant l’avènement des SEL, il n’existait, à la disposition de la plupart des libéraux (hormis les experts-comptables qui ont eu accès dès 1945 aux sociétés de droit commun), qu’un seul type de société, la société civile professionnelle (SCP), régie par la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966, laquelle comprend un article 18 qui institue un droit de retrait capitalistique, jugé d’ordre public : « un associé peut se retirer de la société, soit qu’il cède ses parts sociales, soit que la société lui rembourse la valeur de ses parts ».

Les praticiens, qui ont commencé à constituer des SEL à partir du début des années 1990, ont naturellement repris la clause de retrait, et peu d’auteurs se sont posé la question du fondement légal de cette institution (v. toutefois notre art. du 10 nov. 2015, Droit de retrait de l’associé, quel fondement ?).

Ainsi, pour les libéraux et notamment pour les avocats, le droit de retrait fait partie intégrante de la culture professionnelle. Ce droit apparaît comme inhérent à toute forme d’association, et ce d’autant plus que les libéraux sont également très attachés au principe d’indépendance, valeur cardinale, et que la possibilité de se retirer d’une structure dans laquelle on ne souhaite plus exercer constitue pour beaucoup une nécessité impérative au seul titre de ce principe, décliné en « liberté d’exercice ». (Le retrait ne fait cependant pas l’unanimité. Ses incidences financières ont amené par exemple un auteur à le qualifier de « bombe à retardement », v. S. Nonorgue, L’absence de droit au retrait de l’associé de SEL, JCP E n° 20, 16 mai 2019)

À propos de la liberté d’exercice, on citera notamment une décision de la cour d’appel de Colmar du 1er juin 2016, refusant d’annuler la décision de l’ordre des avocats d’inscrire la nouvelle structure de l’avocat retrayant, avec la motivation suivante : « Sauf à porter atteinte de manière injustifiée à la liberté d’exercice et d’installation de X, le conseil de l’ordre ne pouvait, au motif que X était en litige avec ses ex-associés quant aux modalités de son départ, refuser d’homologuer les statuts de la nouvelle association créée par X avec Y. » La liberté d’établissement était également employée au soutien de l’arrêt initial rendu dans l’espèce commentée par la première cour d’appel (Rouen, 1re ch. civ., 7 déc. 2016, n° 14/02256) qui avait estimé que « le retrait autorisé par la décision entreprise était justifié par la nécessité de permettre à Mme X, d’une part, de ne plus exercer dans les deux structures, dont elle était associée, en ce qui la concerne, aux seules fins d’exercer son activité libérale d’avocat […], d’autre part, de pouvoir précisément assurer cette activité libérale dans le cadre d’une autre structure, en vertu de la liberté d’établissement ».

C’est dire à quel point, en bloquant toute possibilité de retrait capitalistique, l’arrêt du 12 décembre 2018 était un coup de tonnerre dans...

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