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Article
Propos négationnistes en politique : un abus de droit à liberté d’expression
Propos négationnistes en politique : un abus de droit à liberté d’expression
Dans cet arrêt de grande chambre rendu à l’unanimité, la Cour européenne des droits de l’homme condamne la formulation de propos négationnistes, même dans l’arène politique, en identifiant un abus du droit à la liberté d’expression.
par Charlotte Collinle 12 novembre 2019
Le requérant, un ressortissant allemand, avait prononcé, le lendemain de la journée de commémoration de l’Holocauste, en tant que député au Parlement régional élu du parti néonazi NPD, un discours dans lequel il mettait en doute la réalité des événements, créés selon lui pour des raisons politiques et commerciales. Les juges allemands l’ayant condamné pour violation de la mémoire des morts et diffamation intentionnelle du peuple juif, le requérant décida de saisir la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en invoquant notamment la violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, c’est-à-dire son droit à la liberté d’expression.
Pour rejeter sa demande, le juge de Strasbourg inscrit son raisonnement dans la droite lignée de sa jurisprudence relative à la négation de l’Holocauste ou aux déclarations relatives à des crimes nazis et examine la demande du requérant sur le fondement des articles 10 (liberté d’expression) et 17 (abus de droit) de la Convention européenne. En l’espèce, la CEDH estime que les propos tenus par le requérant sont contraires aux valeurs de la Convention puisque le demandeur a proféré des mensonges intentionnellement dans le but de diffamer les juifs. Ce caractère intentionnel et prémédité est par ailleurs déterminant dans l’identification d’un abus de droit en l’espèce. La Cour commence en effet par rappeler le caractère hautement exceptionnel du recours à l’article 17 (§ 37), qui ne peut restreindre le bénéfice du droit à la liberté d’expression que lorsque l’emploi de la liberté d’expression poursuit des buts clairement contraires aux valeurs de la Convention européenne. Elle remarque en outre que la parole des parlementaires, en particulier lorsqu’ils font partie de l’opposition, doit être spécialement protégée. L’examen de la situation d’espèce devra donc être particulièrement rigoureux. LA Cour européenne des droits de l’homme s’astreint ainsi à vérifier qu’une éventuelle limitation du droit à la liberté d’expression du requérant est véritablement nécessaire dans une société démocratique (§ 42). Pour ce faire, il prend soin d’observer que le requérant avait rédigé son discours à l’avance et choisi ses mots délibérément pour aller à l’encontre de faits historiques établis. La Cour en conclut que le requérant a ainsi cherché à utiliser son droit à la liberté d’expression pour promouvoir des idées contraires à la lettre à l’esprit de la Convention européenne (§ 44-46). Elle remarque par ailleurs que les propos en cause avaient certes un contenu politique, mais qu’ils étaient toutefois dépourvus de lien avec un quelconque débat en cours au Parlement. Rappelant la responsabilité morale particulière des États qui ont été le théâtre des horreurs commises par le régime nazi, la CEDH refuse sur ce fondement de protéger la liberté d’expression de l’auteur de propos négationnistes, alors même qu’ils participent d’un discours politique.
Une telle décision s’inscrit dans le cadre d’une jurisprudence abondante de la Cour européenne, dont les subtilités ont parfois pu laisser des zones d’ombre. Les solutions divergentes entre l’affaire Perinçek contre Suisse (CEDH, gr. ch., 15 oct. 2015, n° 27510/08, Dalloz actualité, 3 nov. 2015, obs. T. Soudain ; D. 2015. 2183, obs. G. Poissonnier ; Constitutions 2016. 113, chron. D. de Bellescize ; RSC 2015. 877, obs. J. Francillon ; ibid. 2016. 132, obs. J.-P. Marguénaud ), dans laquelle la Cour a pu considérer que la condamnation pénale prononcée par les autorités suisses à l’encontre d’un politicien turc ayant affirmé que le génocide arménien était un mensonge contrevenait aux dispositions de l’article 10, l’affaire Dieudonné M’Bala M’Bala c. France (CEDH, 5e sect., 10 nov. 2015, n° 25239/13, Dalloz actualité, 13 nov. 2015, obs. J.-M. Pastor ; AJDA 2015. 2118 ; ibid. 2512 , note X. Bioy ; RSC 2015. 877, obs. J. Francillon ), condamnant cette fois sur le même fondement la mise en scène d’un prisonnier des camps d’extermination nazis et la référence à des propos négationnistes, ou encore l’affaire Williamson c. Allemagne (CEDH, 5e sect., 31 janv. 2019, n° 64496/17, Dalloz actualité, 13 févr. 2019, obs. S. Lavric ; Légipresse 2019. 131, chron. ), condamnant les propos négationnistes tenus dans la presse par un évêque, en sont des exemples. De telles solutions contradictoires semblaient alors tenir au fait que, dans le premier cas, les propos de l’homme politique participaient au débat politique et portaient sur une question d’intérêt public. Il semble qu’en l’espèce, la Cour européenne des droits de l’homme, en refusant une telle qualification aux propos négationnistes, ajoute un niveau de subtilité à son raisonnement en distinguant les propos politiques liés à un débat parlementaire ou public en cours des propos qui, bien que participant d’un discours politique, sont dépourvus de lien avec un intérêt public et ne sauraient dès lors être considérés comme participant au débat public.
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