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La protection de l’environnement ne s’arrête pas à nos frontières

Le 31 janvier dernier, l’interdiction de la production, du stockage et de la circulation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées au niveau européen pour des raisons liées à la protection de la santé humaine ou animale ou la protection de l’environnement, à compter du 1er janvier 2022, a été jugée conforme à la Constitution.

par Mathilde Vervynckle 12 mars 2020

La consécration d’un « objectif de valeur constitutionnelle » de protection de l’environnement

Introduite par la loi EGALIM (art. 83, L. n° 2018-938, 30 oct. 2018, pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, qui ajoute un paragraphe à l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime), l’interdiction de la production, du stockage et de la circulation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées pour des raisons liées à la protection de la santé humaine ou animale ou la protection de l’environnement vient mettre un terme à la possibilité pour des entreprises de produire en France, exclusivement pour l’exportation, des pesticides contenant des substances dangereuses non autorisées dans l’Union européenne.

Dans le cadre d’un recours en excès de pouvoir (CE 7 nov. 2019, n° 433460 [décision de renvoi] contre une circulaire relative à l’entrée en vigueur de la disposition contestée [circ. relative à l’entrée en vigueur de l’interdiction portant sur certains produits phytopharmaceutiques pour des raisons de protection de la santé et de l’environnement, en application de la modification de l’article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime]), l’Union des industries de la protection des plantes soutenue par l’Union française des semenciers, directement touchée par cette interdiction, a sollicité la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au motif que cette interdiction porterait atteinte à la liberté d’entreprendre, garantie par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. L’association professionnelle requérante soutenait que cette restriction à la liberté d’entreprendre n’était pas justifiée par un objectif de protection de l’environnement et de la santé, dans la mesure où cette interdiction n’empêche pas des pays étrangers autorisant les pesticides en question à en fabriquer ou à en importer auprès de concurrents localisés hors de France.

À cet argument, le Conseil constitutionnel oppose un nouvel objectif de valeur constitutionnelle (OVC) de « protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains » dégagé du préambule de la Charte de l’environnement, alors qu’il avait jugé dans une décision antérieure que le préambule se limitait à formuler des constats et des objectifs non invocables à l’appui d’une QPC (Cons. const. 7 mai 2014, Sté Casuca, n° 2014-394 QPC, Dalloz actualité, 21 mai 2014, obs. A. Cayol ; D. 2014. 1039 ; AJDI 2014. 541 , obs. C. de Gaudemont ).

Cette consécration d’un OVC de protection de l’environnement est une nouvelle étape s’inscrivant dans le prolongement de la reconnaissance de la protection de l’environnement en tant que « but d’intérêt général », consacré en 2013 dans une QPC relative à l’interdiction de recourir à des forages suivis de la fracturation hydraulique de la roche pour rechercher ou exploiter des hydrocarbures sur le territoire national (Cons. const. 11 oct. 2013, n° 2013-346 QPC, Société Schuepbach Energy LLC, Dalloz actualité, 16 oct. 2013, obs. M.-C. de Montecler ; AJDA 2013. 2005 ; D. 2013. 2344 ; ibid. 2586, point de vue F. Laffaille ; ibid. 2014. 104, obs. F. G. Trébulle ; ibid. 1844, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ), puis en tant qu’« objectif d’intérêt général » en 2016 dans une décision relative à l’interdiction d’utiliser des produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes et des semences traitées avec ces produits (Cons. const. 4 août 2016, n° 2016-737 DC, Loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, Dalloz actualité, 29 août 2016, obs. J.-M. Pastor ; AJDA 2016. 1605 ; Constitutions 2016. 487, chron. K. Foucher ).

L’invocabilité de l’objectif de protection de l’environnement en QPC vient confirmer l’importance de la Charte de l’environnement, et de son préambule, parmi les éléments du bloc de constitutionnalité.

La consécration de la valeur constitutionnelle de la protection de l’environnement entraîne un assouplissement du contrôle du Conseil constitutionnel quant à la conciliation entre cet objectif et la liberté d’entreprendre, par rapport au contrôle qu’il effectue lorsque cette liberté doit être conciliée avec un motif d’intérêt général. Dans cette décision, le Conseil constitutionnel rappelle sur ce point qu’il « ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement » (consid. 9), en conséquence de quoi il se limite à un contrôle de la disproportion manifeste. La marge d’appréciation qui est laissée au législateur dès lors qu’un objectif à valeur constitutionnelle doit être concilié avec une liberté constitutionnelle est ainsi étendue, en comparaison notamment avec ce que le Conseil a pu juger dans la décision relative à la fracturation hydraulique précitée (Cons. const. 11 oct. 2013, n° 2013-346 QPC, Société Schuepbach Energy LLC, préc.) ou encore à l’occasion de la censure de dispositions donnant compétence au Gouvernement pour fixer une quantité minimale de matériaux en bois dans certaines constructions nouvelles (Cons. const. 24 mai 2013, n° 2013-317 QPC, Syndicat français de l’industrie cimentière et a., Dalloz actualité, 5 juin 2013, obs. R. Grand ; AJDA 2013. 1080 ; D. 2014. 104, obs. F. G. Trébulle ).

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