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PSE : le juge administratif seul compétent pour connaître de l’obligation de recherche d’un repreneur

L’appréciation du respect de l’obligation de recherche d’un repreneur relève de la compétence exclusive de la juridiction administrative.

par Bertrand Inesle 21 février 2019

Pour la première fois, la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 introduisait dans le code du travail l’obligation à la charge de l’employeur de recherche d’un repreneur lorsqu’il projetait, dans une entreprise d’au moins mille salariés, la fermeture d’un établissement ayant pour conséquence un projet de licenciement collectif pour motif économique (C. trav., anc. art. L. 1233-90-1 ; sur le sujet, v. F. Géa, L’obligation de rechercher un repreneur en cas de fermeture de site, Dr. soc. 2013. 827 ). Par la suite, le législateur a souhaité enrichir et développer cette obligation en assurant l’information non seulement des représentants élus du personnel mais également celle de l’autorité administrative et en assurant également l’encadrement de la recherche menée par l’employeur (C. trav., art. L. 1233-57-9 s. ; issu de la loi n° 2014-384 du 29 mars 2014). L’action du législateur s’est, en outre, engagée dans une voie davantage coercitive puisqu’ont été crées des sanctions à l’encontre de l’employeur qui ne respecterait pas son obligation ou qui refuserait une offre de reprise sérieuse sans motif légitime, le tout sous le contrôle du tribunal de commerce (Loi n° 2014-384 du 29 mars 2014, art. 1er, II, introduisant ou modifiant, avant censure du Conseil constitutionnel : C. com., anc. art. L. 772-2, 2° et 3°, L. 773-1, al. 1 et 2 et L. 773-2). Les dispositions instaurant le contrôle et la sanction de l’obligation pesant sur l’employeur ont été cependant partiellement censurées par le Conseil constitutionnel (Cons. const. 27 mars 2014, n° 2014-692 DC, Dalloz actualité, 31 mars 2014, obs. X. Delpech ; J.-P. Chazal, Propriété et entreprise : le Conseil constitutionnel, le droit et la démocratie, D. 2014. 1101 ; L. d’Avout, La liberté d’entreprendre au bûcher ? Retour sur une critique récente de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, D. 2014. 1287 ; T. Sachs et S. Vernac, La fondamentalisation d’un ordre libéral - À propos de la décision du Conseil constitutionnel du 27 mars 2014, loi sur la reconquête de l’économique réelle, RDT 2014. 528 ).

Au lieu et place de sanctions, certes lourdes mais dissuasives, le législateur a revu sa copie et décidé d’intégrer le respect de l’obligation de recherche d’un repreneur dans le champ du contrôle effectué par l’autorité administrative à l’occasion de l’examen de l’accord collectif conclu par l’employeur et les organisations syndicales représentatives ou du document unilatéral élaboré par l’employeur et de l’appréciation de la validation de cet accord ou de l’homologation de ce document (C. trav., art. L. 1233-57-2 et L. 1233-57-3 [Loi n° 2014-856 du 31 juill. 2014, art. 21, I] ; abrogation du titre VII du livre VII du code de commerce [Loi n° 2014-856 du 31 juill. 2014, art. 21, II]).

Le changement d’orientation ainsi opéré devait emporter également un changement dans la désignation de la juridiction compétente pour connaître de l’obligation de recherche de repreneur, de son respect et de sa sanction.

C’est précisément sur ce point que la Cour de cassation s’est prononcée dans un arrêt du 16 janvier 2019.

Dans une espèce où la société Caterpillar matériel routiers a décidé de la fermeture de son site de Rantigny et du licenciement pour motif économique de l’ensemble de son personnel, un accord collectif relatif au contenu du plan de sauvegarde de l’emploi, portant notamment sur les mesures sociales d’accompagnement des licenciements, a été conclu entre l’employeur et les organisations syndicales, un document unilatéral ayant fixé la procédure, le calendrier des départs et les mesures envisagées quant à la recherche d’un repreneur. L’accord et le document ont respectivement fait l’objet d’une validation et d’une homologation par l’administration du travail. Une fois les licenciements notifiés, des salariés ont saisi la juridiction prud’homale de demandes en paiement de dommages-intérêts pour inexécution de bonne foi de l’obligation légale de recherche d’un repreneur. En appel, les salariés ont été déboutés de leur demande.

Relevant d’office un moyen tiré de la compétence de la juridiction prud’homale, la Cour de cassation a finalement censuré l’arrêt attaqué.

Au visa de l’article L. 1235-7-1 du code du travail, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et l’article 76 du code de procédure civile, la chambre sociale rappelle en substance le contenu de l’article L. 1233-57-3 du code du travail dont elle déduit que le respect du principe de la séparation des pouvoirs s’oppose à ce que le juge judiciaire se prononce sur le respect par l’employeur de son obligation de recherche d’un repreneur. Elle en conclut qu’en déboutant les salariés de leur demande relative à l’inexécution par l’employeur de bonne foi de l’obligation de recherche de repreneur, la cour d’appel s’était estimé compétente pour ce faire et avait donc violé les textes précités, l’appréciation du respect de l’obligation de recherche d’un repreneur relevant de la seule compétence de la juridiction administrative.

Après s’être prononcée sur la juridiction compétente pour connaître de la demande de l’expert désigné par le comité d’entreprise pour obtenir des documents et informations à l’employeur dans le cadre d’un licenciement pour motif économique (Soc. 28 mars 2018, n° 15-21.372, publié au Bulletin ; Dalloz actualité, 14 mai 2018, obs. B. Ines ), la Cour de cassation apporte ainsi un nouvel éclairage sur la répartition des compétences entre l’ordre judiciaire et l’ordre administratif concernant l’introduction de l’intervention de l’autorité administrative dans les grands licenciements collectifs pour motif économique par la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013.

L’arrêt se montre utile, au moins sur un plan pédagogique, puisqu’antérieurement à la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014, la détermination de la juridiction compétente sur cette question était loin d’être évidente. L’ancien article L. 1233-90-1 du code du travail ne renvoyait le contrôle du respect de l’obligation de recherche d’un repreneur à aucun ordre de juridiction en particulier et les anciens articles L. 1233-57-2 et L. 1233-57-3 du code du travail, respectivement relatifs à la validation de l’accord majoritaire et à l’homologation du document unilatéral, n’étendaient pas le contrôle opéré par l’administration du travail au respect de cette obligation. Il était néanmoins envisagé que l’autorité administrative puisse refuser la validation de l’accord majoritaire ou l’homologation du document unilatéral en cas de manquement de l’employeur à l’ancien article L. 1233-90-1 du code précité (F. Géa, préc.). En l’absence de renvoi exprès, la compétence du juge administratif n’était pas acquise même si elle aurait été probable.

Aujourd’hui, en revanche, la solution paraît moins sujette à discussion.

D’abord, l’article L. 1233-57-3 du code du travail, sur lequel se fonde notamment la chambre sociale, ordonne expressément à l’autorité administrative de contrôler le respect par l’employeur de ses obligations en matière de recherche de repreneur. La décision prise par l’administration, et partant l’appréciation du respect de ces obligations, relève par principe de la compétence du juge administratif en cas de contestation.

Ensuite, l’article L. 1233-57-3 du code du travail conditionne l’homologation du document unilatéral à la vérification du respect par l’employeur de son obligation de recherche d’un repreneur. Or l’article L. 1235-7-1 du code du travail attribue au juge administratif le soin de régler tout litige relatif au document unilatéral, ce qui revient à inclure dans le champ de compétence du juge administratif tous les éléments dont il est tenu compte dans l’appréciation de l’homologation mais également tous ceux qui intègrent formellement le document unilatéral. Et, en l’espèce, les mesures envisagées quant à la recherche d’un repreneur étaient comprises dans l’acte élaboré par l’employeur, tout comme la procédure et le calendrier des départs.

Enfin, le choix effectué par le législateur au lendemain de la censure par le Conseil constitutionnel de ce qui allait être la loi n° 2014-384 du 29 mars 2014 éclaire et renforce un peu plus la position ici retenue par la Cour de cassation. L’abandon de l’idée d’un contrôle par le juge judiciaire, en la personne du juge commercial, du respect de l’obligation de recherche d’un repreneur, et l’adoption d’un contrôle par l’autorité administrative devaient conduire à retenir un changement dans l’ordre de juridiction compétent.

Il convient, pour finir, de relever que l’arrêt a été rendu au visa de l’article L. 1233-57-3 du code du travail relatif à l’homologation du document unilatéral établi par l’employeur. Puisque l’autorité administrative est tenue de contrôler le respect de l’obligation de recherche d’un repreneur avant de valider ou non l’accord majoritaire de l’article L. 1233-24-1, il est très vraisemblable que la solution trouvera également à s’appliquer sur le fondement de l’article L. 1233-57-2 du code du travail. La Cour de cassation se fonde, en outre, sur l’article 76 du code de procédure civile. Ce dernier autorise le juge à se prononcer d’office incompétent en cas de violation d’une règle de compétence d’attribution uniquement lors que cette règle est d’ordre publique ou que le défendeur ne comparaît pas et précise que, devant la cour d’appel et la Cour de cassation, cette incompétence ne peut être relevée d’office que si l’affaire relève de la compétence d’une juridiction répressive ou administrative ou échappe à la connaissance de la juridiction française. Si elle justifie ainsi sa propre décision de relever un moyen d’office, la chambre sociale pourrait encore indiquer aux juges d’appel de relever, comme cela aurait dû être le cas dans la présente espèce, leur incompétence d’office chaque fois qu’une demande relative aux grands licenciements collectifs pour motif économique a trait aux accords majoritaires et aux documents unilatéraux des articles L. 1233-24-1 et L. 1233-24-4 du code du travail et, plus largement, entre dans le champ de l’article L. 1235-7-1 du même code.