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Publicité, démarchage et intermédiation

Constitue un acte de concurrence déloyale au préjudice d’un avocat, la mise en relation par Internet des justiciables avec des avocats, alors que la société commerciale exploitant ledit site est détenue par des personnes étrangères à la profession.

par Gaëlle Deharole 4 janvier 2018

Si les professions juridiques ont pu apparaître comme les derniers bastions de résistance face à la libre concurrence au sein du marché (L. Assier-Andrieu (dir.), L’indépendance des avocats, Dalloz, coll. « Les sens du droit », 2015 ; M. Mekki (dir.), L’avenir du notariat, LexisNexis, 2016, spéc. p. 5 et 84), elles paraissent aujourd’hui manifestement soumises au droit de la concurrence (C. Chaserant, S. Harnay, Déréglementer la profession d’avocat en France ?, RIDE 2012/2, p. 147 ; Cons. conc., avis n° 97-A-12 du 17 juin 1997 ; G. Deharo, Libre prestation de services des avocats et activité réservée des notaires, Dalloz avocats 2017. 190 ).

La profession d’avocat est, en effet, exposée à de multiples bouleversements qui sont autant de formes de la compétition sur le marché du droit (G. Deharo, Périmètre du droit : exercice d’une activité de consultation juridique par un consultant, Lexbase, éd. prof., n° 240, du 18 mai 2017, N8207BWU). L’espèce qui a donné lieu à la décision du 14 novembre 2017 en est une nouvelle illustration.

Une société d’avocat, offrant en particulier de défendre les justiciables d’infractions au code de la route, avait constaté qu’une société détenue par des personnes étrangères à la profession d’avocat diffusait par deux sites internet référencés sur Google des informations relatives au conseil juridique et à la mise en relation avec des avocats. Reprochant des actes de concurrence déloyale et parasitaire ainsi que des pratiques commerciales trompeuses, la société d’avocat avait assigné la société exploitant les sites internet devant le tribunal de grande instance de Paris.

Les premiers juges avaient conclu que la société défenderesse avait commis des actes de concurrence déloyale et l’avaient condamné, sur ce fondement, à verser des dommages et intérêts à la société d’avocats. Toutefois, les demandes plus amples et contraires de cette dernière avaient été rejetées.

C’est la raison pour laquelle la société d’avocats avait interjeté appel du premier jugement. L’appelante sollicitait notamment de la cour d’appel qu’elle dise que la défenderesse diffusait des informations constitutives de démarchage prohibé en vue de donner des consultations juridiques par personnes interposées. Aussi, la publicité faite pour des prestations juridiques par une personne qui ne figure pas au rang des personnes autorisées à donner des consultations juridiques était illicite. Il était encore demandé à la cour d’appel de constater que la défenderesse proposait aux internautes de souscrire une prestation ayant un objet illicite et se livrait à une activité de commerce électronique visant des services d’assistance et de représentation en justice.

Rappelons brièvement que la concurrence déloyale se définit comme un « ensemble de procédés commerciaux contraires à la loi ou aux usages, constitutifs d’une faute intentionnelle ou non et de nature à causer un préjudice aux concurrents, dont ils pourront demander réparation » (S. Guinchard, Lexique de termes juridiques 2017-2018, Dalloz, 2017, p. 246). Au risque d’énoncer une tautologie, il ne peut y avoir de concurrence déloyale qu’entre concurrents. Or, afin d’écarter cette condition, la défenderesse alléguait qu’il n’y avait pas de concurrence dès lors que le demandeur ne démontrait aucune spécialisation dans la défense des infractions au code de la route. Par ailleurs, elle soulignait qu’elle se bornait à fournir des renseignements et des informations générales et de nature documentaire. Ce dernier argument pouvait trouver ancrage dans la jurisprudence antérieure qui avait distingué « la simple information juridique » et « la consultation juridique » (Toulouse, 25 avr. 2012, n° 11/01151).

Cette distinction sibylline a donné lieu à une abondante jurisprudence (Civ. 1re, 9 déc. 2015, n° 14-24.268, Dalloz actualité, 10 déc. 2015, obs. A. Portmann isset(node/176139) ? node/176139 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>176139 ; Lyon, 3 juill. 2014, n° 12/09179 et 3 avr. 2015, n° 13/01196 ; Nîmes, 3 déc. 2015, n° 14-03196 ; Montpellier, 9 déc. 2016, n° 16/02567). La question est délicate car l’article 54 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 dispose que « nul ne peut, directement ou par personne interposée, à titre habituel et rémunéré, donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé, pour autrui » que sous certaines conditions. La règlementation de la profession s’accompagne d’une limitation de la communication et du marketing publicitaire. La vigilance de la cour quant au périmètre du droit est en l’espèce particulièrement nette. Après avoir rappelé que le site était en l’espèce détenu par des personnes étrangères à la profession d’avocat, la cour rappelle qu’« aux termes de l’article 15 du décret n° 2014-1251 du 28 octobre 2014 « la publicité et la sollicitation personnalisée sont permises à l’avocat si elles procurent une information sincère sur la nature des prestations de services proposées et si leur mise en œuvre respecte les principes essentiels de la profession. Elles excluent tout élément comparatif ou dénigrant », tandis qu’aux termes de l’article 111 a) du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, il est prescrit que la profession d’avocat est incompatible avec toutes les activités de caractère commercial, qu’elles soient exercées directement ou par personne interposée ».

En l’espèce, la cour d’appel rejette l’argumentation de la défenderesse. Trois conclusions sont à mettre en exergue :

  • d’une part, « il n’existe pas de restriction à l’activité d’avocat pour la défense des intérêts des justiciables d’infraction au code de la route » de sorte que l’absence de toute spécialisation est indépendante de la démonstration de la licéité du site ;
  • d’autre part, seuls les membres de la profession d’avocat sont autorisés à promouvoir la publicité de leur activité ou à démarcher les justiciables sans pouvoir les déléguer à des personnes ou des membres étrangers à la profession ;
  • enfin, l’offre de mise en relation des internautes avec des avocats pour les prestations dont le site fait la promotion constitue une violation des règles communes pour la publicité et le démarchage de la profession ainsi qu’une désorganisation de l’accès au marché de sorte que toutes les références à une mise en relation avec un avocat constituent un acte de concurrence déloyale à l’activité poursuivie de droit par la société d’avocat demanderesse.

Manifestement, le mouvement de consumérisation de l’activité d’avocat amorcé par la loi Macron est en marche ; parallèlement, la jurisprudence poursuit son travail de structuration du périmètre du droit, des règles de démarchage et de publicité.