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QPC : dérogation abrogée au régime de la mise à disposition (bail rural)

L’article L. 324-11 du code rural et de la pêche maritime n’étant plus en vigueur lorsque l’action a été introduite, il n’y a pas lieu à transmission de la question portant critique de la constitutionnalité de ce texte.

par Stéphane Prigentle 7 mai 2020

Un accord intervient au cours d’une instance relative au droit de préemption (instance en fixation du prix de vente) entre des personnes physiques : deux époux qui soutiennent satisfaire l’exigence d’un bail à ferme et les propriétaires des parcelles de terre. L’accord reconnaît l’existence d’un bail rural verbal, à effet du 1er mai 1988, au profit des preneurs, les terres étant mises à disposition d’une entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL). Les bailleurs ont, ensuite, sollicité la résiliation du bail aux motifs que, contrairement aux prévisions de l’article L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime, l’épouse n’est pas associée de l’EARL et ne participe pas de manière effective et permanente à l’exploitation. Il est fait droit à cette demande. À l’occasion du pourvoi formé contre l’arrêt de la cour de Rouen, les preneurs à bail à ferme et l’EARL ont demandé, par mémoire distinct et motivé, de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité.

En l’état de la législation, à l’instant de l’introduction de la demande en résiliation (nous nous situons postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi n° 2014-1170 du 13 oct. 2014 d’avenir pour l’agriculture, qui a procédé à la recomposition formelle de l’art. L. 411-37 C. rur. et ajouté une nouvelle catégorie sous le II dudit art.), il est prévu que « le preneur associé d’une société à objet principalement agricole peut mettre à disposition de celle-ci […] tout ou partie des biens dont il est locataire » (C. rur., art. L. 411-37-I, al. 1er). La mise à disposition des terres louées au profit d’une société dont le preneur n’est pas associé s’analyse en une cession prohibée entraînant la résiliation du bail (Civ. 3e, 16 mai 2007, n° 06-14.521, Bull. civ. III, n° 79 ; AJDI 2008. 133 , obs. S. Prigent ; ibid. 2007. 760 , mais dans la rédaction actuelle de l’article L. 411-31-II, doit-on y voir une contravention aux dispositions de l’article L. 411-35 ou de l’article L. 411-37 nécessitant dans ce dernier cas que la contravention aux obligations dont le preneur est tenu soit « de nature à porter préjudice au bailleur »). Au surplus, « le preneur qui reste seul titulaire du bail doit, à peine de résiliation, continuer à se consacrer à l’exploitation de ces biens, en participant sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l’importance de l’exploitation » (C. rur., art. L. 411-37- III, al. 1er ; Civ. 3e, 16 déc. 2003, n° 02-18.496, Rev. loyers 2004. 163, note B. Peignot).

Une autre condition figurait pour toutes les sociétés, sauf l’EARL, jusqu’à la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 : les autres associés avaient l’obligation de poursuivre la mise en valeur des biens exploités par la société (C. rur., art. L. 411-37, en sa rédaction antérieure à la loi du 23 févr. 2005). Cette condition a été supprimée, de même que la dérogation propre à l’EARL (C. rur., art., L. 324-11, abrogé par ord. n° 2006-870, 13 juill. 2006). Les coassociés sont donc libérés de l’obligation d’exploiter. Cependant, une exception persiste : pour les GAEC, l’article L. 323-14, organisant la mise à disposition des biens loués par le preneur, ne prévoit aucune exception à l’article L. 323-7, disposant que « les associés doivent participer effectivement au travail en commun ».

Le mémoire vise l’article L. 324-11 du code rural et de la pêche maritime, tel qu’il a existé entre la loi n° 93-934 du 22 juillet 1993 et l’ordonnance n° 2006-870 du 13 juillet 2006. Ce texte porterait atteinte au principe d’égalité (DDHC, art. 6) en ce qu’il exclurait « sans raison, s’agissant de l’exploitation agricole à responsabilité limitée, les garanties instituées par l’article L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime tel qu’issu de la loi du 30 décembre 1988, et notamment la garantie tenant à la nécessité d’une mise en demeure préalablement à l’exercice par le bailleur d’une action en résiliation en cas de manquement du preneur à son obligation d’exploitation effective et permanente ».

L’article 23-5, alinéa 3, de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose que « le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité dès lors que les conditions prévues aux 1° et 2° de l’article 23-2 sont remplies et que la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux ». L’article 23-2, 1°, du même texte pose comme condition que « la disposition contestée est applicable au litige ». L’article L. 324-11 du code rural et de la pêche maritime n’étant plus en vigueur lorsque l’action a été introduite, la condition d’applicabilité au litige au sens de l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 n’est pas remplie. En conséquence, il n’y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel (rappr. Crim., QPC, 12 oct. 2010, n° 10-90.106, Dalloz actualité, 29 oct. 2010, obs. L. Priou-Alibert).

De surcroît et à bien y réfléchir (ce point n’est pas inscrit dans l’arrêt annoté), la disposition législative critiquée nous paraît sans intérêt pour la solution du litige. En effet, touchant la mise à disposition des biens loués, il ne faut pas confondre le régime applicable au preneur associé et celui des autres associés. Le texte abrogé supprimait, pour les autres associés de l’EARL, l’obligation d’exploiter. Par suite, il n’y avait plus lieu de prévoir un régime de mise en demeure préalable à la résiliation pour ce motif. Mais l’action en résiliation vise en l’espèce un associé preneur à bail. Celui-ci n’était pas (et n’est toujours pas) dispensé de participer à l’exploitation (v. not. Civ. 3e, 16 déc. 2003, préc.). L’associé preneur à bail ne peut pas se revendiquer utilement de la disposition qu’il critique.