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QPC : JLD, crise sanitaire et recours aux moyens de télécommunication audiovisuelle

Nouvelle question prioritaire de constitutionnalité portant sur le recours aux moyens de télécommunication audiovisuelle sans l’accord de la personne concernée devant le juge des libertés et de la détention pendant la crise sanitaire.

par Victoria Morgantele 22 mars 2021

L’épidémie de la covid-19 et les mesures d’adaptation des pratiques pénales en juridiction ont favorisé le recours régulier aux moyens de télécommunication audiovisuelle : c’est une nouvelle fois dans ce cadre, que la question prioritaire de constitutionnalité a été posée et transmise au Conseil constitutionnel.

En l’espèce, la chambre de l’instruction a transmis, le 5 janvier 2021, une question prioritaire de constitutionnalité dans l’information suivie contre un mis en examen des chefs d’infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs, importation en contrebande de marchandises prohibées.

La question prioritaire de constitutionnalité porte sur l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-1401 du 18 novembre 2020 relative à l’adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière pénale. Cet article permet au juge des libertés et de la détention d’imposer le recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle sans l’accord de la personne entendue. C’est sur ce point que la conformité à la Constitution est remise en cause et plus précisément sur les droits de la défense, le droit à un recours effectif et le droit de tout détenu de voir sa situation traitée dans le respect des règles de compétences et de procédures, droits garantis par le code de procédure pénale et par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Sur la forme, une question prioritaire de constitutionnalité transmise par une juridiction et portant sur les dispositions d’une ordonnance prise par le gouvernement sur le fondement d’une habilitation donnée par le Parlement est recevable sous réserve que le délai de l’habilitation soit expiré au jour où la Cour de cassation statue et qu’elle porte sur la contestation de dispositions de l’ordonnance qui relèvent du domaine de la loi.

En l’espèce, tel est bien le cas puisque la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) porte sur l’article 2 de ladite ordonnance, pris en application de l’habilitation prévue par l’article 10 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prolongation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire. Le délai de l’habilitation fixé par cette loi est expiré et la disposition qui permet de recourir à un moyen de télécommunication audiovisuelle sans l’accord de la personne intéressée devant l’ensemble des juridictions pénales autres que criminelles, relève bien du domaine législatif.

Par conséquent, la disposition critiquée doit être entendue comme une disposition législative au sens de l’article 61-1 de la Constitution.

Dans son arrêt du 2 mars 2021, la Cour de cassation a considéré que cette question présentait un caractère sérieux et a décidé de son renvoi devant le Conseil constitutionnel.

Sur le fond, cette remise en question de la disposition critiquée fait étroitement écho à la QPC du 15 janvier 2021 (Cons. const., n° 2020-872 QPC, Dalloz actualité, 8 févr. 2021, obs. S. Goudjil ; AJDA 2021. 119 ; D. 2021. 82, et les obs. ; ibid. 280, entretien N. Hervieu ). Le Conseil constitutionnel avait déclaré contraire à la Constitution l’article 5 de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de la covid-19.

Dans sa décision du 15 janvier 2021, le Conseil constitutionnel reconnaît l’adaptation des procédures pénales, à savoir le recours généralisé à la visioconférence sans le consentement des parties devant les juridictions pénales autres que criminelles, au motif qu’elle poursuit « l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé » et satisfait au « principe constitutionnel de continuité du fonctionnement de la justice », affectés par la crise sanitaire. Le Conseil constitutionnel exigeait toutefois plus de garanties et de discernement (N. Hervieu, Visioconférence en matière pénale durant la crise sanitaire, D. 2021. 280 ).

Le fait que le Conseil constitutionnel admette pour des raisons de protection de la santé que des procédures pénales puissent avoir lieu par le biais de moyens de télécommunication audiovisuelle peut faire craindre, en raison de la crise sanitaire toujours actuelle, une décision semblable.

Sur ce point, il convient toutefois de préciser que récemment le Conseil d’État, conformément à sa jurisprudence et celle du Conseil constitutionnel, a eu l’occasion de mettre fin « au dispositif permettant de recourir à la visioconférence en matière pénale sans le consentement des parties » (JA 2021, n° 635, p. 11, obs. S. Sprungard ) dans sa décision du 12 février 2021. Les juges des référés estimaient en effet que les dispositions de l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-1401 du 18 novembre 2020 autorisant les moyens de télécommunication audiovisuelle devant les juridictions pénales autres que criminelles sans « subordonner cette faculté à des conditions légales ni l’encadrer par aucun critère », portent une atteinte grave et manifestement illégale aux droits de la défense. Cette décision s’inscrit dans la lignée de la décision du 27 novembre 2020, dans laquelle le Conseil d’État avait suspendu la possibilité offerte à la Cour d’assises de recourir dans les mêmes conditions, à la visioconférence, mais également dans les décisions du Conseil d’État du 5 mars 2021 (nos 440037 et 440165) : le Conseil d’État mettait en exergue que les articles de l’ordonnance du 25 mars 2020 sont illégaux et qu’« eu égard à l’importance de la garantie qui s’attache à la présentation physique du justiciable devant la juridiction pénale, ces dispositions portent une atteinte au droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que ne peut justifier le contexte de lutte contre l’épidémie de covid-19 » (Dalloz actualité, 10 mars 2021, Inconventionnalité de la visio-audience pénale durant l’épidémie de covid-19, obs. J.-M. Pastor).

On ne peut qu’espérer que la vigilance du Conseil constitutionnel envers ces moyens de télécommunication soit renforcée afin de préserver « l’importance de la garantie qui s’attache à la présentation physique devant un juge » (Cons. const. 20 sept. 2019, n° 2019-802 QPC, Dalloz actualité, 25 sept. 2019, obs. D. Goetz ; D. 2019. 1762, et les obs. ; ibid. 2020. 1324, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; AJ pénal 2019. 600, étude J.-B. Perrier ; Constitutions 2019. 442, décis. ) en faveur des droits de la défense puisqu’il a clairement souligné son attachement au procès équitable et aux droits des personnes physiques parties au procès (CE 12 févr. 2021, n° 448972, Syndicat des avocats de France, Conseil national des barreaux, Dalloz actualité, 16 févr. 2021, Visioconférences imposées en matière pénale durant l’état d’urgence sanitaire : atteinte aux droits de la défense, obs. D. Goetz ; AJDA 2021. 369 ) devant les juridictions pénales.