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QPC : non-conformité totale à la Constitution de la visio devant la chambre de l’instruction

Dans une décision attendue du 20 septembre 2019, le Conseil constitutionnel déclare l’inconstitutionnalité des dispositions permettant de recourir à la visioconférence, sans consentement de la personne placée en détention provisoire, au cours de l’examen des demandes de mise en liberté dont est saisie directement la chambre de l’instruction.

par Dorothée Goetzle 25 septembre 2019

En l’espèce, le Conseil constitutionnel était saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du troisième alinéa de l’article 706-71 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2016-1636 du 1er décembre 2016 relative à la décision d’enquête européenne en matière pénale. Les dispositions contestées étaient relatives aux conditions dans lesquelles il peut être recouru à un moyen de télécommunication audiovisuelle au cours de la procédure pénale, notamment pour les audiences de la chambre de l’instruction relatives au contentieux de la détention provisoire (T. Fillion, L’utilisation de moyens de télécommunications au cours de la procédure, ou la solitude de l’avocat face au(x) juge(s), AJ pénal 2019. 252 ; L. Dumoulin et C. Licoppe, Les audiences à distance. Genèse et institutionnalisation d’une innovation dans la justice, coll. Droit et société, LGDJ, 2017).

Le recours à la visioconférence en matière de détention provisoire n’est pas nouveau et la Cour EDH a depuis longtemps posé le principe selon lequel « cette forme de participation à la procédure n’est pas, en soi, incompatible avec la notion de procès équitable, mais il faut s’assurer que le justiciable est en mesure de suivre la procédure et d’être entendu sans obstacle technique et de communiquer de manière effective et confidentielle avec son avocat » (CEDH 2 nov. 2010, n° 21272/03, Sakhnovski c/ Russie, §§ 98 et 99 à 107, Dalloz actualité, 12 nov. 2010, obs. M. Léna). La difficulté était qu’en l’espèce les dispositions contestées prévoyaient que le détenu ne pouvait s’opposer au recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle lorsque l’audience portait sur une demande de mise en liberté (P. Milburn, Juger par écran interposé : une révolution anthropologique, AJ pénal 2019. 255).

Pour les requérants, à défaut de permettre au détenu qui a déposé une demande de mise en liberté de s’opposer à ce que son audition devant la chambre de l’instruction ait lieu par visioconférence, ces dispositions portaient atteinte aux droits de la défense et au droit, en matière de détention provisoire, de comparaître physiquement devant son juge. Ils faisaient également valoir que les garanties encadrant le recours à la visioconférence étaient insuffisantes, que ces dispositions méconnaissaient le principe d’égalité devant la loi et l’article 34 de la Constitution, en raison de l’absence de critères précis permettant de déterminer les cas dans lesquels le recours à la visioconférence pouvait être imposé à la personne détenue.

On se souviendra que par le passé, la Cour de cassation a déjà refusé à quatre reprises de transmettre au Conseil constitutionnel des QPC similaires, estimant que « le recours à la télécommunication audiovisuelle » était « une modalité de la comparution personnelle » (M. Babonneau, Visioconférence devant la chambre de l’instruction : une « justice informatique » qu’il faut torpiller, Dalloz actualité, 11 sept. 2019). En l’espèce, pour justifier le prononcé d’une déclaration d’inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel commence par rappeler le régime applicable aux demandes de mise en liberté formées par les personnes placées en détention provisoire. Les Sages relèvent en effet que, en vertu de l’article 148 du code de procédure pénale, de telles demandes peuvent être faites à tout moment. Conformément à l’article 199 du code de procédure pénale, lorsque la chambre de l’instruction est ainsi saisie, la comparution personnelle de l’intéressé est de droit s’il le demande. Il en découle que la chambre de l’instruction est susceptible d’être saisie, par une même personne, de nombreuses demandes de mise en liberté successives, accompagnées d’une demande de comparution personnelle, qui impliquent alors l’organisation d’autant d’ « extractions » de l’intéressé lorsqu’il n’est pas recouru à un moyen de télécommunication audiovisuelle.

Pour le Conseil constitutionnel, en prévoyant que, lorsque l’audience porte sur une demande de mise en liberté, l’intéressé ne peut s’opposer à ce que sa comparution personnelle s’effectue par le biais d’un moyen de télécommunication audiovisuelle, le législateur a voulu éviter les difficultés et les coûts occasionnés par les extractions judiciaires et ainsi contribuer à la bonne administration de la justice et au bon usage des deniers publics. En outre, les Sages observent que la décision de recourir ou non à un moyen de télécommunication audiovisuelle appartient au juge qui peut toujours privilégier la comparution physique de l’intéressé s’il l’estime nécessaire.

En tout état de cause, l’utilisation de la visioconférence n’est possible que dans le respect de garanties énoncées par l’article 706-71 du code de procédure pénale, dont celle que la communication se tienne dans des conditions garantissant le droit de la personne à présenter elle-même ses observations.

Enfin, en dehors des cas où le transport de la personne détenue paraît devoir être évité en raison de risques graves de troubles à l’ordre public ou d’évasion, l’intéressé a le droit de s’opposer au recours à un moyen de télécommunication audiovisuelle lorsqu’il est statué sur son placement en détention provisoire ou sur la prolongation de cette détention. En d’autres termes, cette faculté lui garantit la possibilité d’être présenté physiquement devant la chambre de l’instruction appelée à statuer sur sa détention provisoire, dès le début de sa détention, puis à intervalles réguliers, tous les quatre mois en matière délictuelle et tous les six mois en matière criminelle, à chaque prolongation de celle-ci.

Toutefois, le Conseil constitutionnel relève que, par exception, en matière criminelle, en application de l’article 145-2 du code de procédure pénale, la première prolongation de la détention provisoire peut n’intervenir qu’à l’issue d’une durée d’une année. En conséquence, une personne placée en détention provisoire pourrait se voir privée, pendant une année entière, de la possibilité de comparaître physiquement devant le juge appelé à statuer sur la détention provisoire. Aux yeux des Sages, compte tenu de l’importance de la garantie qui s’attache à la présentation physique de l’intéressé devant la juridiction compétente pour connaître de la détention provisoire et en l’état des conditions dans lesquelles s’exerce le recours à ces moyens de télécommunication, les dispositions contestées portent une atteinte excessive aux droits de la défense.

En germe depuis plusieurs années ( J. Danet, le recours à la visioconférence en matière de détention provisoire, la fin annoncée d’une jurisprudence complaisante au souci de gestion, RSC 2011. 419), cette solution n’est pas surprenante. Le 21 mars 2019, le  Conseil constitutionnel, dans sa décision sur le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, avait déjà censuré le 3° du paragraphe 10 de l’article 54 supprimant l’obligation de l’accord de l’intéressé pour le recours à des moyens de télécommunication audiovisuelle, s’agissant des débats relatifs à la prolongation d’une mesure de détention provisoire. Dans cette décision, les Sages avaient posé les jalons d’un principe de « présence » en relevant que « dès lors, eu égard à l’importance de la garantie qui s’attache à la présentation physique de l’intéressé devant le magistrat ou la juridiction dans le cadre d’une procédure de détention provisoire et en l’état des conditions dans lesquelles s’exerce un tel recours à ces moyens de télécommunication, les dispositions contestées portent une atteinte excessive aux droits de la défense » (Cons. const. 21 mars 2019, n° 2019-778 DC, Dalloz actualité, 25 mars 2019, art. P. Januel et T. Coustet ; ibid. 4 avr. 2019, obs. Y. Rouquet ; AJDA 2019. 663 ; D. 2019. 910, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2019. 172, obs. V. Avena-Robardet ; Constitutions 2019. 40, chron. P. Bachschmidt ).

La lecture combinée de ces deux décisions, rendues à quelques mois d’intervalle par le Conseil constitutionnel, pose inévitablement la question des garanties offertes par la visioconférence et, a contrario, de l’absence de garanties résultant de la non-comparution physique des personnes lors de débats judiciaires mettant en cause leur liberté (E. Jeuland, Justice numérique, justice inique ?, Les cahiers de la justice 2019. 193 ).

Sur les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité, il faut remarquer que les dispositions déclarées contraires à la Constitution ne sont plus aujourd’hui en vigueur. La remise en cause des mesures ayant été prises sur leur fondement méconnaîtrait les objectifs de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et aurait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, le Conseil constitutionnel juge que ces mesures ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.