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QPC : non-conformité totale de la présidence du tribunal pour enfants par un juge des enfants ayant instruit l’affaire

Dans cette décision de non-conformité totale, le Conseil constitutionnel énonce qu’en permettant au juge des enfants qui a été chargé d’accomplir les diligences utiles à la manifestation de la vérité de présider une juridiction de jugement habilitée à prononcer des peines, le deuxième alinéa de l’article L. 251-3 du code de l’organisation judiciaire méconnaît le principe d’impartialité des juridictions.

par Dorothée Goetzle 31 mars 2021

Cette intéressante question prioritaire de constitutionnalité porte sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du deuxième alinéa de l’article L. 251-3 du code de l’organisation judiciaire. Selon ce texte, « le juge des enfants qui a renvoyé l’affaire devant le tribunal pour enfants ne peut présider cette juridiction ».

Pour le requérant, l’application de cette interdiction de présider le tribunal pour enfants au seul juge des enfants qui a renvoyé l’affaire – excluant ainsi le magistrat qui l’a instruite – méconnaît le principe d’impartialité des juridictions garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi que le principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs. Il fait en outre valoir que ces dispositions sont contraires au principe d’égalité devant la procédure pénale dès lors que, pour le jugement d’une personne majeure, le juge d’instruction ne peut, à peine de nullité, participer au jugement des affaires pénales dont il a connu en cette qualité.

Il est vrai qu’en application du texte contesté, il est interdit au juge des enfants qui a renvoyé l’affaire devant le tribunal pour enfants de présider ce tribunal. Par son mutisme, le texte ne fait cependant pas obstacle à ce qu’un juge des enfants qui aurait instruit l’affaire, sans ordonner lui-même le renvoi, préside ce tribunal. En d’autres termes, un juge des enfants peut instruire et juger une même affaire. En l’espèce, la question qui se pose est ainsi de savoir s’il est conforme à la Constitution qu’un même magistrat puisse mettre en examen un mineur, diligenter des investigations le concernant, le renvoyer devant un tribunal pour enfants, puis présider ce tribunal qui examinera la question de sa culpabilité et, le cas échéant, prononcera une peine à son encontre.

Pour les Sages, « le principe d’impartialité des juridictions ne s’oppose pas à ce que le juge des enfants qui a instruit la procédure puisse, à l’issue de cette instruction, prononcer des mesures d’assistance, de surveillance ou d’éducation. Toutefois, en permettant au juge des enfants qui a été chargé d’accomplir les diligences utiles à la manifestation de la vérité de présider une juridiction de jugement habilitée à prononcer des peines, les dispositions contestées méconnaissent le principe d’impartialité des juridictions ». En conséquence, les dispositions contestées sont déclarées contraires à la Constitution. Leur abrogation est reportée au 31 décembre 2022.

On se souviendra qu’il y a presque dix ans, dans une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) du 8 juillet 2011, le Conseil constitutionnel avait déjà considéré, en des termes quasi identiques à ceux de la décision rapportée, « qu’en permettant au juge des enfants, qui a été chargé d’accomplir les diligences utiles pour parvenir à la manifestation de la vérité et qui a renvoyé le mineur devant le tribunal pour enfants, de présider cette juridiction de jugement habilitée à prononcer des peines, les dispositions contestées portent au principe d’impartialité des juridictions une atteinte contraire à la Constitution » (Cons. const. 8 juill. 2011, décis. n° 2011-147 QPC, Dalloz actualité, 13 juill. 2011, obs. S. Lavric ; D. 2012. 1638, obs. V. Bernaud et N. Jacquinot ; AJ fam. 2011. 435, obs. V. A.-R. ; ibid. 391, point de vue L. Gebler ; AJ pénal 2011. 596, obs. J.-B. Perrier ; RSC 2011. 728, chron. C. Lazerges ; ibid. 2012. 227, obs. B. de Lamy ; RTD civ. 2011. 756, obs. J. Hauser ).

Au cœur de ces deux QPC de 2011 et de 2021 se pose finalement une même question : l’intérêt du mineur est-il d’être jugé par un juge qui le connaît, qui balise son parcours éducatif depuis parfois plusieurs années ou bien « d’être jugé par un juge impartial qui saura à l’heure du verdict porter un regard neuf et distancié sur les actes et le parcours personnel de l’enfant » (L. Gebler, L’impartialité du juge des enfants remise en question, AJ famille 2011. 391 ). Des éléments complémentaires de réponse à cette vaste et essentielle question seront peut-être encore apportés lors de l’entrée en vigueur du code de justice pénale des mineurs le 30 septembre 2021 (code de justice pénale des mineurs, la loi de ratification, v. Dalloz actualité, 3 mars 2021 ; 22 janv. 2021 ; 22 janv. 2021 ; 9 févr. 2021 ; 18 févr. 2021, obs. D. Goetz ; L. Gebler, Principales nouveautés introduites par le code de justice pénale des mineurs, AJ fam. 2019. 484 ). En tout état de cause, le Conseil constitutionnel précise, dans la décision rapportée, que, « jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi et au plus tard jusqu’au 31 décembre 2022, dans les instances où le mineur a fait l’objet d’une ordonnance de renvoi postérieure à la présente décision, le juge des enfants qui a instruit l’affaire ne peut présider le tribunal pour enfants ».