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QPC sur la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant majeur : soyons sérieux

La Cour de cassation a refusé de transmettre au Conseil Constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité visant l’alinéa 2 de l’article 371-2 du code civil qui prévoit que l’obligation pour chaque parent de contribuer à l’entretien et à l’éducation de l’enfant ne cesse pas de plein droit quand celui-ci atteint la majorité. Pour l’auteur de la QPC, cet article porte atteinte au principe d’égalité des citoyens devant la loi, au respect du principe de la légalité des délits et des peines, du principe de responsabilité et du droit de mener une vie familiale normale. Pour les juges de la Cour de cassation la question posée ne présente pas de caractère sérieux.

par Laurence Gareil-Sutterle 3 octobre 2019

L’arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 18 septembre 2019 étonne par l’imagination dont a fait preuve un père divorcé pour échapper à une modification de sa contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant. Il n’est pas rare qu’un parent cherche à échapper à tout prix au versement de sa contribution, surtout lorsque l’enfant est majeur : la durée moyenne des études s’allonge, les jeunes majeurs peinent souvent à trouver leur voie et certaines études supérieures coûtent (très) cher. Tout de même, il fallait oser présenter une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) comme celle sur laquelle s’est prononcée la Cour de cassation dans l’arrêt sous examen.

Le mécanisme de la QPC est désormais connu. Pour que la Cour de cassation décide de saisir le Conseil constitutionnel de la question transmise, il faut que la disposition législative critiquée soit applicable au litige ou à la procédure en cours, ou constitue le fondement des poursuites, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel et enfin que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. Comme le relève la Cour de cassation, en l’espèce, les deux premières conditions étaient indubitablement réunies. C’est sur le dernier critère que les juges fondent leur refus. Après avoir affirmé que la question n’était pas nouvelle, ils sont revenus sur chacun des principes invoqués au soutien de l’inconstitutionnalité du texte pour justifier l’absence de sérieux de la question.

L’auteur de la QPC affirmait ainsi que le fait que « l’obligation d’entretien ne cesse pas de plein droit lorsque l’enfant est majeur, porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit et plus précisément au principe d’égalité des citoyens devant la loi, au respect du principe de la légalité des délits et des peines, du principe de responsabilité, du droit de mener une vie familiale normale définis aux articles 6, 7, 8 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ».

Concernant le principe de l’égalité entre les citoyens, il est en effet exprimé, notamment, à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et peut naturellement être invoqué dans le cadre d’une QPC (Cons. const. 9 juill. 2010, n° 2010-13 QPC, AJDA 2010. 1398 ; ibid. 2324 , note E. Aubin ; D. 2010. 2056, entretien S. Slama ; ibid. 2011. 1509, obs. A. Leborgne ; Constitutions 2010. 601, obs. O. Le Bot ). Comme nous n’avons pas le détail des arguments au soutien de la question, on ne peut qu’imaginer le raisonnement qui la sous-tend, notamment en nous appuyant sur la réponse apportée par la Cour de cassation. Or la Cour répond ici tout d’abord que l’application de l’alinéa 2 de l’article 371-2 « reste soumise aux conditions de l’alinéa 1er de ce texte », qui précise que la contribution d’un parent « est déterminée à proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins de l’enfant ».

On peut supposer qu’il s’agissait, pour le père, de relever que la contribution de chaque parent n’est pas fixée in abstracto et n’est pas d’une « valeur nominale » identique pour chaque parent, ce qui serait contraire au principe d’égalité. Ce serait toutefois méconnaître le sens de ce principe qui se traduit traditionnellement par la généralité de la norme (en ce sens, Rép. cont. adm.,  Principes généraux du droit : principes de philosophie politique – Principe d’égalité – Généralités, par B. Genevois et M. Guyomar, spéc. §§ 19 s.), ce qui est respecté ici : cette disposition concerne tous les parents. Certes, l’application de l’alinéa 2 dépend de la situation de l’enfant majeur qui ne bénéficiera du maintien de la contribution qu’aussi longtemps que sa situation le justifiera (ce qui, selon la jurisprudence renvoie, en principe, à la poursuite d’études sérieuses en adéquation avec les aptitudes de l’enfant, v. M. Rebourg, Vocation alimentaire, in P. Murat (dir.), Droit de la famille, Dalloz Action et la jurisprudence citée, spéc. § 311.53).

Mais on bascule ici dans un aménagement tout aussi traditionnel du principe d’égalité qui consiste à viser une égalité non plus abstraite mais concrète qui nécessite justement la prise en compte des différences de situations ; ce qu’on a pu appeler « une égalité par la différenciation ». (J. Rivero, Rapport sur les notions d’égalité et de discrimination en droit public français, in Travaux de l’Association Henri Capitant, t. XIV, années 1961-1962, Dalloz, 1965, p. 351). Il nous semble que c’est précisément la raison pour laquelle on ne peut soutenir que la règle serait contraire au principe d’égalité puisqu’elle s’adapte à la situation de chacun y compris à celle de l’enfant concerné dont elle prend en compte les besoins. Cette idée est renforcée par l’affirmation de la Cour de cassation selon laquelle l’alinéa 2 de l’article 371-2 « en soi, ne crée aucune rupture d’égalité entre les parents ».

Par ailleurs, il semblerait que l’auteur de la QPC ait fondé son grief relatif à une rupture d’égalité sur la charge de la preuve en la matière. En effet, conformément au principe de droit des obligations selon lequel il appartient à celui qui se prétend libérer de prouver le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation (C. civ., art. 1353), la Cour de cassation a maintes fois affirmé que c’est à celui qui se prétend libéré de l’exécution de son obligation de contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants d’en rapporter la preuve (v. encore réc., Civ. 1re, 7 févr. 2018,  n° 17-11.403, AJ fam. 2018. 227, obs. A. Munck  ; sur l’ensemble de la question, F. Sauvage, Preuves en droit de la famille : l’obligation parentale d’entretien du jeune majeur, AJ fam. 2008.15 ). Sauf l’hypothèse où le débiteur n’est plus en mesure d’assurer la contribution, la preuve de l’extinction de l’obligation ne peut que résulter de la démonstration de l’indépendance financière de l’enfant majeur, caractérisant ainsi la disparition de son état de besoin et justifiant le fait que l’obligation à la contribution est devenue sans objet (ibid.).

À ce propos, la Cour de cassation répond dans l’arrêt sous examen que « lorsque l’enfant majeur réside avec l’un d’eux, l’obligation qui pèse sur le débiteur tenu au paiement d’une contribution en vertu d’une décision de justice, de saisir un juge et de rapporter la preuve des circonstances permettant de l’en décharger, repose sur une différence de situation en rapport avec l’objet de la loi ». Autrement dit, si c’est au débiteur de la contribution de prouver qu’elle n’est plus nécessaire, c’est parce qu’une décision de justice l’a mise à sa charge (le plus souvent pendant la minorité de l’enfant) « jusqu’à preuve du contraire », en quelque sorte, dans l’intérêt de l’enfant.

Sur ce grief, on sait toutefois que la doctrine est partagée et que la jurisprudence de la Cour de cassation a pu varier. La Cour avait en effet admis dans un arrêt que les juges pouvaient tirer les conséquences de la carence dans l’établissement de la preuve de l’état de besoin de l’enfant majeur pour considérer que celle-ci justifiait la suppression de la contribution à l’entretien et à l’éducation (Civ. 2e, 26 sept. 2002, n° 00-21.234, D. 2002. 2775, et les obs. ; AJ fam. 2002. 379, obs. F. B. ; RTD civ. 2003. 74, obs. J. Hauser  ; JCP 2003. I. 101, obs. P. Berthet ; ibid. II. 10039, note S. Hocquet-Berg ; RJPF 2002-12/51 obs. S. Valory ; Defrénois 2003, art. 37727, obs. J. Massip) avant de revenir à une application plus stricte de la charge de la preuve (Civ. 1re, 9 janv. 2008, n° 06-19.581, D. 2008. 353 ; ibid. 2009. 53, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2008. 119  ; Gaz. Pal. 2008, n° 330, p. 37, note E. Mulon ; 4 déc. 2013, n° 12-28.249). Certains auteurs (V. par ex., A. Munck, obs. sous Civ. 1re, 7 févr. 2018, n° 17-11.403, AJ fam. 2018. 227 ; S. Valory, obs. sous Civ. 2e, 26 sept. 2002, RJPF 2002-12/51 ; J. Massip, obs. sous Civ. 2e, 26 sept. 2002, Defrénois 2003, art. 37727) ont alors pu souligner combien il était difficile pour le débiteur de la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant de prouver que l’enfant n’avait plus besoin de celle-ci lorsque l’autre parent et/ou le majeur ne collaborent pas, refusant de fournir les éléments indiquant la situation de l’enfant (nom de la formation suivie, établissement, attestation de réussite aux examens, inscriptions, etc.). Il n’en reste pas moins, qu’il était difficile de voir dans la combinaison des articles 1353 (du reste non visé par la question) et 371-2, alinéa 2, une atteinte au principe d’égalité.

Concernant l’invocation assez insolite du principe de la légalité des délits et des peines garanti par les articles 7 et 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la Cour de cassation relève sobrement que le second alinéa de l’article 371-2 du code civil ne définissant aucune incrimination et n’instaurant aucune sanction, il ne saurait y porter atteinte. On n’ose imaginer que l’auteur ait pu soutenir que le fait même de devoir contribuer à l’entretien et à l’éducation de l’enfant devenu majeur était une peine infligée aux parents…

Concernant le principe de responsabilité, il est généralement considéré comme découlant de l’article 4 de la Déclaration (en ce sens, Rép. cont. adm.Contrôle de constitutionnalité des actes administratifs : normes de références – Constitution de la Ve République, par M. Verpeaux, spéc. § 158), également visé par la QPC. Cet article, rédigé en termes très généraux, est présenté comme « définissant la liberté et en consacrant le principe que toute limitation aux libertés doit être déterminée par la loi » (ibid.). Or le Conseil constitutionnel a affirmé que l’une de limites est que nul n’a le droit de nuire à autrui, ce dont il découle qu’en principe tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer (Cons. const. 22 oct. 1982, n° 82-144 DC § 3, D. 1983. 189, note Luchaire ; RD publ. 1983. 389, obs. Favoreu ; Dr. soc. 1983. 155, note Hamon ; Gaz. Pal. 28, 29 et 30 janv. 1983, p. 6, note Chabas). Là encore, on voit mal le lien avec l’article 371-2 du code civil. À moins que l’enfant majeur ne commette une faute en poursuivant ses études ? On cherche… La Cour de cassation souligne simplement que le maintien de l’obligation d’entretenir son enfant après la majorité ne méconnaît pas le principe énoncé « qui ne vaut qu’en matière de responsabilité pour faute ».

Concernant enfin le principe du droit de mener une vie familiale normale, on notera que ce droit à valeur constitutionnelle, résulte non pas de l’un des articles invoqués par l’auteur de la QPC mais du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 – « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires de leur développement » –, même s’il est plus souvent cité sur le fondement de la Convention européenne des droits de l’homme. Le Conseil constitutionnel a déjà admis qu’il puisse être invoqué au soutien d’une QPC (Cons. const. 6 oct. 2010, n° 2010-39 QPC, Mmes Isabelle D. et Isabelle B., AJDA 2011. 705, tribune E. Sagalovitsch ; D. 2010. 2744, obs. I. Gallmeister , note F. Chénedé ; ibid. 2011. 529, chron. N. Maziau ; ibid. 1585, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; ibid. 2298, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; AJDI 2014. 124, étude S. Gilbert ; AJ fam. 2010. 487, obs. F. Chénedé ; ibid. 489, obs. C. Mécary ; Constitutions 2011. 75, obs. P. Chevalier ; ibid. 361, obs. A. Cappello ; RTD civ. 2010. 776, obs. J. Hauser ; ibid. 2011. 90, obs. P. Deumier  ; Dr. fam. 2010. Repères 10, obs. V. Larribau-Terneyre). Cet article est généralement le fondement de demandes visant à assurer une vie commune avec ses enfants (famille de réfugiés, enfants placés, adoption de l’enfant du concubin, etc.). On voit mal l’objet de la démonstration ici et la Cour de cassation se contente de constater que l’article 371-2, alinéa 2, « n’a pas pour effet d’empêcher les membres d’une même famille de vivre ensemble ».

Il résulte de tout ce qui précède que la solution de la Cour de cassation était assez prévisible. Nos jeunes étudiants auraient sans doute pu résumer l’affaire ainsi : une QPC sur l’article 371-2, alinéa 2, du code civil ? Sérieux ?