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QPC sur les tests osseux : « L’idée est de créer une présomption de minorité »

Après l’audience publique d’hier matin, le Conseil constitutionnel doit désormais se prononcer sur la conformité à la Constitution des tests osseux servant à déterminer, dans différentes situations judiciaires, si un individu est majeur ou mineur. Décision le 21 mars.

par Julien Mucchiellile 13 mars 2019

Il existe différentes manières de démontrer son âge : l’apparence physique, la maturité intellectuelle ou, plus prosaïquement, l’existence de papiers officiels de type passeports ou actes de naissance. Par moment, et c’est le cas de milliers de jeunes personnes traversant des contrées hostiles entourées de malveillance, ces papiers n’existent pas et, quand il faut être précis, l’apparence physique est souvent trompeuse. Il existe alors des « tests osseux » qui permettent, par radiographie, d’estimer l’âge d’un individu. Pour ces milliers de jeunes étrangers, démunis et à l’abandon, les conséquences sont lourdes, car c’est de l’établissement de leur minorité que dépend la protection de l’État à laquelle ils aspirent (v. Dalloz actualité, Le recours aux tests osseux, une légalisation toujours décriée, 16 déc. 2015, reportage d’A. Coignac ; ibid. 19 oct. 2018, obs. N. Peterka isset(node/192657) ? node/192657 : NULL, 'fragment' => isset() ? : NULL, 'absolute' => )) .'"'>192657).

Or la fiabilité de ces tests est contestée et la constitutionnalité de l’article 388 du code civil, tel que modifié par la loi du 14 mars 2016, l’est également, par le biais d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), plaidée mardi 12 mars devant le Conseil constitutionnel. Me Isabelle Zribi, avocate d’Adama S…, requérant, pose la question suivante : « L’article 388 du code civil méconnaît-il les alinéas 10 et 11 du Préambule de 1946 en permettant le recours à des expertises osseuses, procédé dont l’absence de fiabilité a été soulignée par divers organismes internes et internationaux, pour déterminer la minorité de l’intéressé, minorité dont dépend, pour les mineurs étrangers, la protection des autorités françaises ? » C’est d’une atteinte à l’intérêt de l’enfant dont il s’agit.

Le test osseux est potentiellement dangereux, disent les requérants. Le procédé, en lui-même, pose problème en ce qu’il emporte des risques d’irradiation sans fin diagnostique ou thérapeutique, ce qui est contraire à toute recommandation médicale et dépourvu d’objectif de santé publique et donc contraire à plusieurs normes à valeur constitutionnelle.

Ensuite, le procédé en lui-même pose problème sur un plan scientifique. « Comme l’ont mis en exergue de nombreuses instances scientifiques, les examens osseux sont anachroniques, inadaptés et inefficaces », souligne Isabelle Zribi. L’examen de la main et du poignet, qui est le test le plus répandu, se fonde sur un Atlas de « Greulich et Pyle », établi à partir de tests réalisés entre 1935 et 1941 sur des enfants nord-américains bien portants. Ce test n’est pas fait pour évaluer un âge, il n’a été conçu que pour détecter des troubles de croissance. Il est également inadapté : il ne tient pas compte des différences de croissance et de maturation osseuse liées à l’origine géographique et aux différences socionutritionnelles. Ils sont inefficaces et imprécis par nature : les examens ne conduisent qu’à retenir de simples probabilités fondées sur des moyennes. Les données publiées montrent qu’un adolescent de 14 ans peut présenter un squelette d’adulte « selon l’atlas de référence ». La marge d’erreur peut être de deux ou trois ans et « les tests sont particulièrement imprécis entre 16 et 18 ans, comme le rappelle l’académie de médecine », indique l’avocate. « “L’âge d’un adolescent ne se réduit jamais à une image”, affirme le Comité consultatif national d’éthique », cite-t-elle encore. Comme cela a été rappelé à l’audience : le Conseil constitutionnel n’est pas face à une querelle d’experts car les scientifiques sont unanimes sur la non-fiabilité de ces tests.

Les critères de l’article 388 ne sont pas respectés

L’article attaqué présente des garanties (que le gouvernement, en réplique, se bornera à rappeler) telles que : « Les examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l’âge, en l’absence de documents d’identité valables et lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable, ne peuvent être réalisés que sur décision de l’autorité judiciaire et après recueil de l’accord de l’intéressé ». Mais, dans les faits, rappelle Me Zribi, le recours aux tests osseux est quasiment automatique et, surtout, enclenché très en amont, si bien que les autres démarches visant à établir l’âge de l’intéressé n’ont pas le temps d’aboutir. En outre, la majorité, en pratique, se déduit du refus de subir un examen osseux, souligne-t-elle, rappelant que son client a d’abord refusé, puis accepté, car l’autorité judiciaire avait déduit de son refus qu’il n’était pas mineur.

Mais l’article 388 contient une deuxième garantie : « Les conclusions de ces examens, qui doivent préciser la marge d’erreur, ne peuvent à elles seules permettre de déterminer si l’intéressé est mineur. Le doute profite à l’intéressé ». Me Isabelle Zribi explique : « Les examens sont par nature déterminants pour le juge, le rapport a en effet l’autorité particulière d’une expertise judiciaire. Pour le droit, ce n’est pas un élément de preuve comme les autres. La Cour européenne des droits de l’homme dit que “les opérations d’expertises sont susceptibles d’influer de manière prépondérante l’appréciation que le juge porte sur les éléments de fait” ». Le caractère scientifique de l’expertise lui confère, de facto, une force particulière, permettant au juge démuni de trancher un litige en se reposant sur une vérité scientifiquement démontrée – ce qui pose problème quand la science admet elle-même la non-fiabilité des examens. Me Brigitte Jeannot, qui représente l’Association des avocats pour la défense des étrangers (ADDE), rappelle en outre qu’il n’existe aucune « garantie procédurale : pas de possibilité de demander de contre-expertise ni même d’obtenir les clichés radiographiques ayant résulté de l’examen ».

La conséquence de cela, c’est que des enfants risquent d’être traités comme des adultes. Puisque la marge d’erreur existe et qu’elle ne profite pas toujours (loin de là) à l’intéressé, des « mineurs isolés », sans ressources, souvent étrangers et sans famille, ne seront pas pris en charge par l’État et seront exposés à la violence de la rue et des réseaux criminels. « Ce sont des personnes victimes de persécutions et porteuses de traumatismes, rappelle Me Jeannot et, une fois en France, ils se heurtent à une politique inhospitalière qui les considère comme des étrangers avant de les voir comme des enfants. »

Me Patrice Spinosi, pour la Ligue des droits de l’homme (LDH), partie intervenante (au même titre que le Gisti, la Cimade et Médecins du monde), a résumé les choses ainsi : « Vous avez deux camps : le camp que nous représentons, le camp de la défense des libertés fondamentales et nous venons tous vous dire, nous, spécialistes de ces questions, du terrain, que les tests osseux ne sont pas conformes avec les libertés fondamentales. C’est un écho qui est unanime qui revient du terrain. […] Il y a deux camps : le camp des progressistes, de ceux qui veulent que le droit avance vers plus de liberté, plus de respect des droits : c’est notre camp ; le camp des conservateurs, de ceux qui veulent que les choses restent en l’état : c’est le camp du gouvernement. Votre choix est de faire valoir soit l’un, soit l’autre. […] Logiquement, vous devriez évidemment pousser le législateur et non pas vous retrancher derrière sa volonté ». Pour l’avocat, il s’agit de redéfinir la notion d’intérêt supérieur de l’enfant : « L’idée est de créer une présomption de minorité », afin que les milliers de potentiels mineurs, seuls et indigents, soient pris en charge par les autorités.

La décision sera rendue le jeudi 21 mars.