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Quand le juge d’appel n’a pas à réformer, annuler ou confirmer le jugement

L’article 542 du code de procédure civile, qui se borne à définir l’objet de l’appel, ne fait pas obligation à la cour d’appel de préciser, dans le dispositif de sa décision, qu’elle réforme, annule ou confirme le jugement entrepris.

Il arrive que la chambre commerciale livre de beaux arrêts de procédure civile. Tel n’est pas le cas ici. Voici en revanche un arrêt qui montre bien de quelle façon il est possible d’imposer un formalisme aux avocats tout en en soulageant les magistrats, sans crainte de se contredire et alors même qu’aucune raison ne le justifie. À le lire, l’article 542 du code de procédure civile, qui impose à l’appelant de faire figurer au dispositif de ses conclusions une prétention à l’infirmation ou à l’annulation du jugement sous peine de caducité de la déclaration d’appel ou de confirmation du jugement, n’impose en revanche pas au juge d’appel de préciser, dans le dispositif de sa décision, qu’il réforme, annule ou confirme le jugement entrepris. Par les temps qui courent, il est décidément plus simple de juger que de conclure, formellement du moins.

Revenons sur l’affaire pour tenter de comprendre cet arrêt d’allure schizophrène.

Un banal litige se noue sur fond de crédit-bail. Une banque assigne une caution en paiement. Un jugement est rendu en faveur de la banque. Appel est relevé par la caution, laquelle d’abord sollicite l’infirmation du jugement de première instance, puis aligne une série de prétentions au fond. Quant à la banque intimée, elle sollicite sans surprise la confirmation du jugement querellé, en alignant malgré tout une demande de condamnation « en conséquence », ce qui est passablement curieux. Quoi qu’il en soit, les parties remplissent, plus ou moins bien, leurs charges procédurales, de sorte que c’est alors au juge d’appel de remplir les siennes.

Par un arrêt du 1er mars 2022 (Pau, 1er mars 2022, n° 20/02342), la Cour d’appel de Pau statue. Sur la forme, l’arrêt est on ne peut plus classique (en-tête, exposé des prétentions et moyens des parties, motifs…) jusqu’au dispositif. La surprise, pour ainsi dire, est là : le juge d’appel statue directement sur les prétentions au fond mais non sur celles relatives au jugement. Voici donc un juge d’appel qui n’infirme ni n’annule ni ne confirme, certainement par inadvertance ; il rejette directement les contestations de la caution puis la condamne.

La caution forme un pourvoi. Deux moyens sont développés. Certains arguments intéressent le droit bancaire : nous les mettrons ici de côté, ensemble la réponse apportée par la chambre commerciale. La deuxième branche du second moyen fera pour sa part mouche et entraînera la cassation tirée de la méconnaissance de l’article 455 du code de procédure civile, la Cour de cassation soulignant l’inintelligibilité des motifs équivalant à leur défaut, conformément à une jurisprudence séculaire.

Il reste néanmoins le premier moyen, digne d’intérêt en procédure civile, par lequel le requérant reproche au juge d’appel de n’avoir point rempli son office en s’abstenant de réformer, annuler ou confirmer le jugement déféré. L’article 542 du code de procédure civile est invoqué. Au fond, la manœuvre est habile : on sait que l’article 542 du code de procédure civile ensemble l’article 954 du même code imposent aux parties de formuler des prétentions sur le jugement ; il serait donc logique que, par réflexivité, il impose au juge de statuer sur le jugement, en le réformant, en l’annulant ou en le confirmant. L’intelligence du moyen est manifeste.

Il est balayé par la chambre commerciale :

« 4. Aux termes de l’article 542 du code de procédure civile, l’appel tend par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d’appel.
5. Ce texte, qui se borne à définir l’objet de l’appel, ne fait pas obligation à la cour d’appel de préciser, dans le dispositif de sa décision, qu’elle réforme, annule ou confirme le jugement entrepris. »

C’est donc ainsi : l’article 542 du code de procédure civile, couplé à l’article 954 du même code, impose certes aux parties de se positionner par rapport au jugement querellé ; il n’impose en revanche pas au juge d’appel de statuer sur le jugement entrepris.

À notre estime, la solution arrêtée par la chambre commerciale est erronée, et par trois fois. Tout d’abord, elle est en pleine incohérence avec toute la construction jurisprudentielle imposant à l’appelant de formuler une prétention sur le jugement. Ensuite, elle revient manifestement à autoriser un juge à ne pas statuer sur des prétentions qui lui sont pourtant soumises. Enfin, elle revient à nier l’office moderne du juge d’appel, qui est précisément, selon l’article 542 du code de procédure civile, de confirmer, infirmer ou annuler le jugement, avant de se prononcer sur le fond du litige, le cas échéant.

C’est finalement là l’histoire de trois dénis successifs : un déni de cohérence, un déni de justice et un déni d’office.

Déni de cohérence

Rembobinons le fil de l’histoire, bien connue des avocats et des magistrats du fond, lesquels nous pardonneront de radoter.

Tout praticien de l’appel civil sait aujourd’hui que, par un arrêt célèbre du 17 septembre 2020, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a imposé à l’appelant de faire figurer, au dispositif de ses premières conclusions, une prétention sur le jugement, i.e. une prétention à l’infirmation ou à l’annulation du jugement déféré (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626, Dalloz actualité, 1er oct. 2020, obs. C. Auché et N. De Andrade ; D. 2020. 2046 , note M. Barba ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero ; ibid. 1353, obs. A. Leborgne ; AJ fam. 2020. 536, obs. V. Avena-Robardet ; D. avocats 2020. 448 et les obs. ; Rev. prat. rec. 2020. 15, chron. I....

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