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Quand la suspension est finie… elle continue

La durée de la suspension administrative du permis de conduire s’imputant sur la suspension judiciaire doit comprendre toute la période durant laquelle le conducteur est effectivement privé de son permis et pas seulement la durée de suspension décidée par le préfet.

par David Pamart, Magistratle 12 mai 2021

Mme A. a fait l’objet d’une procédure pour conduite d’un véhicule sous l’empire d’un état alcoolique, le 1er janvier 2019. Ce même jour, l’autorité administrative décidait d’une rétention immédiate de son permis de conduire, puis le 4 janvier 2019, d’un arrêté préfectoral de suspension de son permis de conduire pour six mois, soit du 1er janvier au 1er juillet 2019.

Sur avis favorable de la commission médicale le préfet a pris une décision d’aptitude à la conduite qui a été notifiée le 10 octobre 2019.

Le 10 octobre 2019, au terme d’une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité Mme A. a été reconnue coupable de conduite sous l’empire d’un état alcoolique, et condamnée à titre de peine complémentaire à dix mois de suspension de permis de conduire.

Il lui était notifié qu’elle pourrait récupérer son permis de conduire le 10 février 2020. Elle saisissait la juridiction d’un incident d’exécution sur le fondement des articles 701 et 710 du code de procédure pénale estimant devoir retrouver le droit de conduire à compter du 1er novembre 2019.

Nous rappellerons que, s’agissant de l’infraction de conduite sous l’empire d’un état alcoolique, punie à titre de peine complémentaire de la suspension du permis de conduire (C. route, art. L. 234-2), le préfet peut prononcer à titre provisoire la suspension dudit permis (C. route, art. L. 224-2 et L. 224-7), pour une durée qui ne peut en principe excéder six mois (C. route, art. L. 224-8). À l’expiration de la durée de la suspension administrative du permis de conduire, celle-ci est maintenue jusqu’à ce que la personne dont le permis de conduire est suspendu justifie de la décision d’aptitude à la conduite automobile, prise par le préfet au vu de l’avis de la commission médicale (C. route, art. R. 221-14-1). Selon l’article R. 224-12 du code de la route, cet examen médical doit intervenir avant l’expiration de la décision administrative de suspension.

La décision préfectorale de suspension cesse ses effets dès qu’une décision judiciaire prononçant une mesure restrictive du droit de conduire est exécutoire. Dans ce cas la durée de la suspension administrative s’impute sur la durée de la suspension judiciaire qui a été décidée (C. route, art. L. 224-9).

En pratique, c’est le conducteur dont le permis est suspendu qui doit prendre rendez-vous pour se soumettre à l’examen de la commission médicale. Il est fréquent que la suspension administrative arrive à échéance avant que la commission médicale ait pu examiner l’intéressé, soit que la durée de la suspension administrative était trop courte pour obtenir un rendez-vous, soit que le conducteur néglige d’entreprendre les démarches pour pouvoir récupérer son permis à l’issue de la suspension administrative.

Dans la procédure soumise à la Haute juridiction, Mme A. aurait pu obtenir la restitution de son permis de conduire à compter du 1er juillet 2019 si elle avait effectué les démarches en temps utiles. Cela n’ayant pas été fait, elle n’a retrouvé le droit de conduire, hors suspension judiciaire, que le 10 octobre, date de notification de la décision préfectorale d’aptitude à la conduite.

Elle soutenait que le délai entre le 1er juillet 2019 et le 10 octobre 2019 devait s’imputer sur la suspension judiciaire. Argumentation que n’avait suivi ni le tribunal correctionnel, ni la cour d’appel.

Cette question, bien que se posant régulièrement et ayant en pratique des conséquences importantes, n’avait jamais été soumise à la Cour de cassation. On peut souligner que les décisions de rejet étaient conformes à la pratique unanime des services d’exécution des peines des tribunaux judiciaires.

La cour devait donc trancher si, au stade de l’exécution de la décision judiciaire de suspension du permis de conduire, il fallait déduire de la durée de celle-ci la durée totale pendant laquelle le conducteur a été effectivement privé de son permis de conduire ou seulement la durée de la suspension administrative telle que fixée par le préfet.

La Cour de cassation a opté pour une interprétation extensive de la « mesure administrative » devant être imputée sur la décision judiciaire. Doit donc être pris en considération toute la période au cours de laquelle la suspension administrative à produit ses effets c’est-à-dire la durée prévue par la décision administrative mais aussi la durée nécessaire pour la restitution effective du permis de conduire (avis de la commission médicale, décision préfectorale d’aptitude).

Cette décision permet de prendre en compte au plus juste la période ou effectivement le conducteur a été suspendu de son droit de conduire. Elle n’est cependant pas sans inconvénient puisqu’elle fait dépendre la durée de la suspension de la diligence ou de la négligence du conducteur fautif pour effectuer les démarches. En outre, elle risque d’être source d’incertitude sur la date exacte de fin de la mesure de suspension de permis. En effet le tribunal lorsqu’il statue a rarement au dossier la preuve de l’existence ou non de la décision préfectorale d’aptitude.

La ligne est désormais claire. Il convient, lorsque la personne est condamnée pour conduite sous l’empire d’un état alcoolique à la peine complémentaire de suspension du permis de conduire, d’imputer sur la durée de celle-ci la durée totale de la suspension administrative (période de suspension administrative décidée par le préfet et la période s’écoulant jusqu’à la notification de la décision préfectorale d’aptitude médicale à la conduite).

Cette nouvelle règle a vocation à s’appliquer à toutes les hypothèses dans lesquelles la restitution d’un permis de conduire après suspension administrative est soumise à un examen médical obligatoire en application des articles R. 221-13 et R. 224-12 du code de la route (conduite sous l’empire d’un état alcoolique, en état d’ivresse manifeste ou après avoir fait usage de stupéfiants ; refus de se soumettre aux vérifications destinées à établir l’état alcoolique ou l’usage de stupéfiants) et cela peu importe la durée de la suspension administrative.

Cela semble également devoir s’appliquer à tout conducteur ayant fait l’objet d’une mesure portant suspension du droit de conduire d’une durée supérieure à un mois prononcée pour une autre infraction prévue par l’article L. 224-2 du code de la route (particulièrement les excès vitesse d’au moins 40 km/h), ou pour lesquelles une peine complémentaire de suspension du permis de conduire est encourue en application de l’article L. 224-7 .