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Quand un appel limité du ministère public en cour d’assises lui entrouvre la porte du procès équitable

Pour assurer le caractère équitable de la procédure devant la cour d’assises, il est nécessaire d’unifier les voies de recours. En conséquence, l’appel principal du procureur général, fût-il irrégulièrement limité, doit être considéré comme portant sur l’ensemble des dispositions de l’arrêt pénal concernant la personne visée par cette condamnation.

par David Pamart, Magistratle 25 octobre 2024

Voici un arrêt singulier qui mérite attention. C’est en effet à l’occasion d’une simple requête en désignation de cour d’assises d’appel qu’il fait évoluer une jurisprudence bien établie concernant la recevabilité d’un appel partiel du procureur général. Le vecteur inhabituel utilisé par la chambre criminelle pour édicter une nouvelle règle juridique donne d’autant plus de poids à sa décision.

À la suite d’une condamnation par la cour d’assises, après acquittement partiel, des membres d’un groupe criminel, trois des accusés interjetaient appel. Le ministère public formait un appel incident, le procureur général ayant, en outre, interjeté un appel principal limité à un acquittement concernant un quatrième auteur.

La chambre criminelle était saisie afin de désigner la cour d’assises d’appel, procédure commune ne donnant traditionnellement pas lieu à publication ou commentaire.

La jurisprudence traditionnelle du « tout ou rien » concernant l’appel du ministère public en cour d’assises

En matière correctionnelle, les articles 500, 505 et 509 du code de procédure pénale conduisent à ce que l’affaire soit dévolue à la cour d’appel qui va infirmer ou confirmer le jugement dans la limite fixée par l’acte d’appel. Il en va différemment en matière criminelle. Les dispositions combinées des articles 380-1, 380-2-1 et 380-14 de ce même code imposent que la cour d’assises statuant en appel procède au réexamen de l’affaire « comme en cas de renvoi après cassation ». L’appel met donc à néant la décision attaquée.

Cela a conduit la chambre criminelle à développer une jurisprudence bien établie selon laquelle l’appel d’une décision de cour d’assises ne pouvait être cantonné à une partie de la décision (Crim. 17 oct. 2012, n° 11-87.476, Dalloz actualité, 5 nov. 2012, obs. M. Léna ; D. 2012. 2522 ; AJ pénal 2013. 166, obs. J. Pronier ; Procédures 2012, n° 367, obs. A.-S. Chavent-Leclère).

Si la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 est venue rompre le principe de l’indivisibilité des décisions sur la culpabilité et sur la peine en permettant de cantonner un appel à la peine, la doctrine considère que les solutions antérieures, déclarant irrecevable un appel cantonné à certaines peines ou à certaines de leurs modalités, demeurent valables. L’effet dévolutif de l’appel impose d’appréhender comme un tout indissociable l’ensemble des infractions pour lesquelles il y a une déclaration de culpabilité. Il en est de même pour l’ensemble des peines.

Pendant longtemps, la chambre criminelle en a déduit qu’un appel cantonné était irrecevable. Ainsi, de nombreuses décisions rappelaient que le ministère public ne pouvait limiter son appel à une partie de la décision rendue par une cour d’assises (Crim. 23 sept. 2015, n° 15-84.897, RSC 2015. 904, obs. F. Cordier ; 27 janv. 2016, n° 15-87.393 P). N’était donc pas recevable un appel limité aux seuls acquittements si l’accusé était par ailleurs condamné pour d’autres faits (Crim. 17 oct. 2012, n° 11-87.476, préc. ; 24 juin 2009, n° 08-88.262, Dalloz actualité, 7 sept. 2009, obs. S. Lavric ; AJ pénal 2009. 413, obs. G. Roussel ; Procédures 2009, n° 333, obs. J. Buisson). Il en était de même de l’appel incident du procureur général formé contre l’arrêt de condamnation comportant également un acquittement partiel (Crim. 14 déc. 2016, n° 16-87.086 P), en application du principe selon lequel l’appel incident formé par le procureur général ne saisit pas la cour d’assises des infractions dont l’intéressé a été acquitté en première instance (Crim. 4 mars 2015, n° 14-81.685, Dalloz actualité, 20 mars 2015, obs. J. Gallois ; D. 2015. 1395, chron. G. Barbier, B. Laurent et G. Guého ; AJ pénal 2015. 434, obs. P. de Combles de Nayves ).

La chambre criminelle filtrait donc de façon particulièrement stricte et rigoureuse, au stade de l’examen de recevabilité, tout appel contenant une restriction, fût-elle implicite, telle qu’un appel portant sur « les condamnations prononcées » alors que la décision comprenait également un acquittement (Crim. 10 févr. 2016, n° 16-80.598 P).

Une évolution au bénéfice de l’accusé en octobre 2023 : quand un appel limité se mue en appel total

Cette jurisprudence aurait dû impliquer que l’appel d’un condamné, limité à un seul des chefs de la déclaration de culpabilité, soit déclaré irrecevable.

Or, c’est la solution contraire qui a été retenue il y a un an par la Haute juridiction (Crim. 18 oct. 2023, nos 23-80.202 et 23-80.206, Dalloz actualité, 8 nov. 2023, obs. M. Slimani ; AJ pénal 2024. 44 ). Par cet arrêt, la chambre criminelle abandonnait, au visa de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article préliminaire du code de procédure pénale, sa jurisprudence en ce qui concernait l’appel formé par l’accusé. Considérant que la position traditionnelle n’était pas compatible avec le droit d’accès à un tribunal et le droit au recours garanti par ces deux textes, la chambre criminelle décidait que la limitation de l’appel de l’accusé à certains chefs de culpabilité ne saurait entraîner l’irrecevabilité de son appel.

Elle ne remettait cependant pas en cause le principe selon lequel la cour d’assises d’appel devait juger la situation...

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