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Que d’arguties sur Dar Gyucy

La 32e chambre du tribunal correctionnel de Paris a débuté mercredi l’examen des conditions d’acquisition et les droits de propriété de la villa Dar Gyucy à Marrakech, dont les époux Balkany réfutent être les propriétaires.

par Pierre-Antoine Souchardle 30 mai 2019

C’est une jolie villa avec tout le confort. Trois chambres et autant de salles de bain, un salon, une salle à manger, un salon oriental, un bureau, un hammam, une salle de massage. Un petit paradis dans la palmeraie de Marrakech sur deux hectares et soixante-dix-neuf centiares, avec maison de gardien, cela va de soi, et piscine.

Une jolie villa que les époux Balkany ont visitée en mai 2009 pour le « compte d’un tiers ». Comme plusieurs autres résidences de luxe d’ailleurs. Celle-ci leur a tapé dans l’œil et, nous imaginons, par ricochet dans celui pour le compte duquel ils visitaient toutes ces maisons sur leur temps libre. Cette personne est à ce jour inconnue.

Grand prince, c’est Patrick Balkany qui a négocié le prix de la villa. Le vendeur, un pharmacien à la retraite, a consenti à une petite ristourne. Entre hommes, en moins d’une demi-heure, le prix est fixé à 5 millions d’euros.

Comme l’a rappelé mercredi le président Benjamin Blanchet dans son rapport, cette villa a été acquise le 8 janvier 2010 par la société civile immobilière (SCI) marocaine Dar Gyucy, elle-même détenue par une société offshore panaméenne, Hayridge SA. Celle-ci a été créée le 2 juillet 2009 par une fiduciaire suisse, Getrust, à la demande de Jean-Pierre Aubry. Associée à cette structure, une autre offshore panaméenne, Himola, qui, elle, gérait un compte à Singapour. L’ayant droit économique de ces deux sociétés est M. Aubry. Il était à l’époque directeur de la Société d’économie mixte d’aménagement et de rénovation de Levallois-Perret (Semarelp). Une société sans qui rien ne se construit à Levallois-Perret.

Cette SCI Dar Gyucy a loué à compter de 2011 la villa à Alexandre Balkany, le fils cadet d’Isabelle et Patrick Balkany. Paisible demeure où se rendaient quatre à cinq fois par an ses parents. Une maison que va meubler sa mère, avant qu’elle ne soit officiellement achetée. Le 27 juillet 2009, elle va dépenser pour 51 000 € de mobilier à Marrakech. L’une des boutiques sera réglée par virement du compte Himola.

Toujours dans son rappel des faits, le président a précisé qu’une partie du prix de la villa, 2,5 millions d’euros, a été versé sur un compte au Liban. À la demande de l’avocat qui accompagnait M. Aubry, a expliqué le pharmacien retraité aux enquêteurs. Cet avocat, Me Arnaud Claude, est le conseil de la Semarelp et l’ancien associé de Nicolas Sarkozy. Il est à la retraite depuis janvier 2019. Le prix officiel, 2,75 millions d’euros est versé en trois virements par deux sociétés proches de Mohamed Al Jaber, un milliardaire saoudien. Ce dernier envisageait d’acheter pour 250 millions de droit à construire dans l’opération des Tours de Levallois, conduite par une filiale de la Semarelp.

Invité à s’expliquer à la barre, Jean-Pierre Aubry a fait montre d’une constance certaine dans les explications les plus farfelues. Quitte à passer pour un idiot. Mais un idiot utile. « Nous avons eu une discussion avec M. Al Jaber, qui souhaitait acquérir une maison au Maroc. Il était en difficulté en Arabie saoudite où il avait des fonds bloqués. » Pourquoi agit-il pour le compte du milliardaire saoudien ? Mystère, d’autant qu’il n’est en rien spécialiste de l’immobilier marocain.

Comme il n’est pas non plus un spécialiste des sociétés offshore, explique M. Aubry à la barre, il s’adjoint un autre non spécialiste, Me Arnaud Claude, pour l’accompagner dans la finalisation auprès de la fiduciaire suisse du montage des sociétés offshore. Logique. « Chez Getrust, ils vous montent une structure en regardant sur la mappemonde le pays le plus intéressant », déclare le non-spécialiste Aubry qui répète à plusieurs reprises, façon mantra, ne pas être le propriétaire de Dar Gyucy.

Donc, le non-propriétaire se trouve tout de même à la signature de l’acte de vente chez le notaire le 8 janvier 2010. Ainsi que Me Claude. « Je suis là, je suis dans le paysage », donne-t-il en guise d’explication. Ainsi, M. Al Jaber est l’heureux propriétaire de la villa mais Jean-Pierre Aubry ne l’en informera pas.

« Vous n’êtes pas spécialiste de l’immobilier marocain. Vous n’êtes pas spécialiste des sociétés offshore. À part votre amitié pour M. Balkany, que faites-vous là », lui demande Me Hervé Temime, l’avocat du Saoudien. M. Aubry ne répond pas car l’avocat enchaîne une salve de questions dont la seule réponse sera : « Pour moi, cette maison a été payée par M. Al Jaber ».

Renvoyé pour corruption, le milliardaire saoudien s’approche de la barre, un traducteur à ses côtés. « Depuis quatre ans, je vis un cauchemar. Ce sont des allégations à 100 % mensongères. » La première fois qu’il a vu M. Aubry, il a cru que c’était « un garde du corps » de M. Balkany. Tout au plus a-t-il vu le maire et alors député de Levallois-Perret et M. Aubry trois ou quatre fois. Quand M. Aubry parle d’une cinquantaine de rencontres.

Le petit homme rondouillard, sanglé dans un costume anglais bleu sombre à fines rayures blanches, affirme acheter en nom propre ses biens immobiliers. Et d’énumérer le nombre de ses propriétés dans huit pays, dont la France. « Au Maroc, j’appelle le palais royal, si j’ai besoin d’aide. Je connais tout le monde. » Chaque année, rappelle M. Al Jaber, il débourse dix millions de dollars d’honoraires à ses avocats ou conseils juridiques sur l’immobilier. Donc, l’imaginer faire appel au couple Balkany pour lui choisir une villa et à Jean-Pierre Aubry pour organiser le montage offshore est « un non-sens total ».

Patrick Balkany, impassible jusqu’à la fin de la déposition de M. Al Jaber, se lève tel un diable (tout rouge) d’une boîte, pour s’en prendre à ce dernier. « J’ai entendu que M. Al Jaber était très riche. La première fois qu’il a fait un chèque sur les Tours de Levallois, quatre millions, il nous est revenu impayé. Il est couvert de procès partout, il ne paye jamais ses dettes. » Dans cette histoire immobilière, M. Al Jaber a été condamné à payer 20 millions d’euros à la ville de Levallois-Perret. « Monsieur le Président, est-ce que vous pouvez lui demander de venir à la barre et de nous faire un chèque », s’emporte M. Balkany avant de s’écharper avec Me Temime.

Rappelé à la barre une fois le calme revenu, Jean-Pierre Aubry maintient sa version des faits. Le propriétaire de la villa est M. Al Jaber. « Face à deux versions contradictoires, il y a un menteur parmi vous deux », conclut le président Blanchet.

Reprise des débats lundi.

 

 

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