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Quel contrôle de l’évaluation du préjudice en matière de private enforcement ? Les enseignements de l’affaire Orange Caraïbe
Quel contrôle de l’évaluation du préjudice en matière de private enforcement ? Les enseignements de l’affaire Orange Caraïbe
La Cour de cassation confirme pour l’essentiel l’évaluation du préjudice résultant des pratiques d’éviction mises en œuvre par Orange sur le marché de la téléphonie mobile aux Antilles et en Guyane. Elle considère notamment que la méthode suivie dans le scénario contrefactuel est suffisamment concrète et pertinente, sans que les hypothèses qui le sous-tendent soient incertains et constituent une simple perte de chance. Elle admet en outre que la cour d’appel pouvait valablement retenir que les différentes pratiques ont conduit à un seul et même préjudice. Elle considère enfin que le préjudice financier né de l’indisponibilité de la réparation, à un taux supérieur au taux légal, est subordonné à la démonstration de l’impossibilité de réaliser un investissement réel et de le financer par d’autres moyens, ou d’en retirer une autre rémunération. Le point de départ des intérêts ne peut en toute hypothèse débuter que lorsque le préjudice global est entièrement constitué.
par Luc-Marie Augagneur, Avocat associé, Cornet Vincent Ségurelle 17 avril 2023
L’affaire Orange Caraïbe aura largement alimenté la chronique de droit de la concurrence. Cet arrêt rendu le 1er mars 2023 par la Cour de cassation en est (presque) l’épilogue pour des pratiques remontant à près de vingt ans. Sous l’apparence d’une décision qui confirme pour l’essentiel l’évaluation du préjudice faite par les juges du fond résultant de pratiques anticoncurrentielles, il apporte non seulement des réponses sur le préjudice spécifique lié à l’indisponibilité de l’indemnisation jusqu’à la condamnation, mais permet également de voir dessiner l’étendue du contrôle de la Cour de cassation en matière de private enforcement.
Par une décision devenue définitive, faisant suite à des mesures provisoires, l’Autorité de la concurrence avait condamné la société Orange en raison des pratiques de fidélisation, de discrimination tarifaire et d’exclusivité abusives commises par sa filiale Orange Caraïbe se trouvant en position dominante sur le marché de la téléphonie mobile des Antilles et de la Guyane (Aut. conc., 9 déc. 2009, n° 09-D-36, relative à des pratiques mises en œuvre par Orange Caraïbe et France Télécom sur différents marchés de services de communications électroniques dans les départements de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane, Dalloz actualité, 14 déc. 2009, obs. E. Chevrier ; RTD com. 2010. 144, obs. C. Champaud et D. Danet ). Il lui était en particulier reproché d’avoir inclus des clauses d’exclusivité avec des distributeurs et avec l’unique réparateur agréé, d’avoir mis en œuvre un programme de fidélisation incitant à un réengagement de long terme et d’avoir mis en œuvre une différenciation tarifaire des appels au profit de son propre réseau (à la fois à l’égard des particuliers et des professionnels). Ces différentes pratiques s’étaient échelonnées entre 2002 et 2005, en se chevauchant en partie pour certaines d’entre elles.
Dans le cadre de l’action consécutive en indemnisation du dommage causé par les pratiques, la société Digicel avait obtenu en sa qualité de concurrent victime d’éviction une indemnisation significative s’élevant en principal à plus de 180 millions d’euros (173 millions d’euros au titre du gain manqué et près de 8 millions d’euros au titre des surcoûts générées par les exclusivités) par arrêt de la cour d’appel de Paris du 17 juin 2020 (Paris, ch. 5-4, 17 juin 2020, SA Orange et SA Orange Caraïbe c/ SA Digicel Antilles Françaises Guyane, n° 17/23041, AJ contrat 2020. 389, obs. W. Chaiehloudj ; Concurrences n° 2-2021, art. n° 100387, p. 244 s., n° 53, note M. Idri ; CCC n° 8-9, août 2020. Comm. 129, note D. Bosco). S’agissant du préjudice financier, la cour d’appel avait accordé des intérêts capitalisés courant dès 2003 (c’est-à-dire avant la manifestation de toutes les pratiques) en retenant le taux légal pour l’essentiel de la durée. Elle avait en effet refusé d’indemniser l’indisponibilité de ce capital indemnitaire à un taux de rendement plus élevé que celui d’un placement sans risque en considérant que n’était pas rapporté la preuve suffisante d’une perte de chance d’une perte d’investissement plus rentable (solution déjà posée par un arrêt précédent rendu dans la même affaire sur l’action d’une autre victime, Paris, ch. 5-4, 10 mai 2017, SA Orange Caraïbe et SA Orange...
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