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Quelle adaptation du droit des personnes et de la famille suite à l’ordonnance n° 2020-595 ?

L’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 intéresse à plusieurs égards le droit des personnes et de la famille. Le texte étudié tente de concilier deux intérêts contradictoires : d’une part l’urgence imposée par les dossiers familiaux, liés aux majeurs protégés ou hospitalisés sans consentement et d’autre part la distanciation sociale, préalable nécessaire au recul de l’épidémie dans le temps. 

par Cédric Hélainele 2 juin 2020

1. L’ordonnance n° 2020-595 du 20 mai 2020 « permet de tenir compte tant de la prorogation de l’état d’urgence sanitaire que de la nécessité de la reprise de l’activité juridictionnelle » (Compte rendu du Conseil des Ministres du 20 mai 2020 accessible en ligne sur le site du gouvernement). Cette reprise de l’activité juridictionnelle ne peut avoir lieu sans le strict respect des consignes sanitaires : gestes barrières et distanciation sociale. En ce sens, le texte complète ou adapte l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 qui a été prise dans le contexte de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020. L’analyse critique que nous livrerons de l’ordonnance se placera précisément sous l’angle du droit des personnes et de la famille seulement pour les dispositions explicites de l’ordonnance étudiée (Pour une analyse en droit immobilier : F. Kieffer, Délais covid-19 l’ordonnance du 20 mai 2020 et la saisie immobilière, Dalloz actualité, 27 mai 2020). Dispositions explicites seulement car certaines précisions générales issues de l’ordonnance pourraient toucher plus ou moins directement le droit de la famille. Nous nous risquerons toutefois à soulever au moins une absence notable de l’ordonnance, celle d’adaptations spécifiques de la procédure de divorce. La désunion du couple marié n’est pas évoquée explicitement mais on sait que l’ordonnance n° 2020-304 s’y intéressait implicitement au moins par la procédure sans audience. Comme l’a évoqué Maître Thouret (S. Thouret, L’impact du covid-19 sur la procédure de divorce, AJ fam. 2020. 261 ), ces procédures de divorce restées au point mort ont nécessairement pris du retard ; certaines juridictions n’étant pas équipées pour organiser une audience de conciliation à distance comme l’article 7 de l’ordonnance du 25 mars 2020 peut le suggérer. Mais on comprend aisément que parmi le contentieux le plus urgent, ce sont des thèmes qui cristallisent des difficultés importantes qui priment. Nous évoquerons donc tour à tour : l’hospitalisation sans consentement, les mesures liées à la minorité (assistance éducative et autorité parentale) et celles intéressant les majeurs protégés.

2. L’article 6 de l’ordonnance n° 2020-595 s’intéresse en premier lieu aux mesures d’hospitalisation sans consentement. On connaît l’importance actuelle du contentieux à ce sujet que nous commentons régulièrement dans ces colonnes. Récemment, une question prioritaire de constitutionnalité a d’ailleurs été transmise au Conseil constitutionnel (Civ. 1re, 5 mars 2020 n° 19-40.039, Dalloz actualité, 15 avr. 2020, obs. C. Hélaine) montrant la tension importante qui règne en la matière. Cette tension inscrite dans une certaine stabilité s’explique par la grande particularité de ces mesures d’hospitalisation qui – sans l’accord de l’intéressé – vont la priver de liberté. La prolongation de la mesure occupe donc notamment une place de choix dans les prétoires. Or, en situation de crise sanitaire telle que nous la connaissons actuellement, cette importance du juge des libertés et de la détention aurait pu être menacée. Cette situation est corroborée par l’article 8 de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 lequel précise « Lorsque la représentation est obligatoire ou que les parties sont assistées ou représentées par un avocat, le juge ou le président de la formation de jugement peut décider que la procédure se déroule selon la procédure sans audience. Elle en informe les parties par tout moyen ». La procédure sans audience pose évidemment des difficultés dans le cadre très particulier de l’hospitalisation sans consentement. On sait que la loi n° 2013-869 du 27 septembre 2013 avait pour objectif de renforcer le contrôle du juge des libertés et de la détention dans ce contexte particulier de privation de liberté (sur les conditions d’hospitalisation, D. Truchet, Rép. civ.,  Malades mentaux, nos 4 s.). Ce contrôle systématique déjà impulsé par la loi de 2011 souffrait donc d’une certaine gêne avec les dispositions d’urgence de l’ordonnance n° 2020-304. L’article 6 de l’ordonnance nouvelle prend acte de cette nécessité en précisant désormais que « En matière de soins psychiatriques sans consentement, la personne hospitalisée peut à tout moment demander à être entendue par le juge des libertés et de la détention. Cette audition peut être réalisée par tout moyen permettant de s’assurer de son identité et garantissant la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges ». L’expression « à tout moment » bien connue des spécialistes de l’hospitalisation sans consentement n’est pas sans rappeler l’article L. 3211-12.-I du code de la santé publique sur la mainlevée de la mesure et l’article L. 3213-4 sur sa prolongation. Le texte reste volontairement très vague sur les mesures qui permettront l’audition par le juge des libertés et de la détention de la personne qui le sollicite. Chaque établissement composera avec les moyens à disposition même si la visioconférence reste le moyen le plus sûr de d’assurer de « l’identité » de l’intéressé. La qualité de la transmission demeure toutefois une question délicate, les réseaux internet des établissements concernés n’étant pas forcément pourvus d’un très haut débit. En pratique, il sera peut-être délicat d’assurer une telle transmission.Le texte a pour principale ambition de ne pas malmener ce fameux et délicat équilibre entre les droits de la personne placée en hospitalisation sans consentement et la protection de l’ordre public. Il s’agit donc d’une véritable mesure corrective par rapport à l’ordonnance précédente. Cette correction est la bienvenue mais il faut s’assurer d’un retour rapide à une situation normale dès que les conditions sanitaires le permettront ; seule façon de s’assurer d’une égalité dans le traitement des dossiers selon les établissements concernés et les moyens disponibles dans ces derniers.

3. En ce qui concerne les dispositions relatives à la minorité de manière générale, deux corps de disposition sont concernés. D’une part, sur l’assistance éducative, le Rapport remis au président de la République résume l’objectif de l’ordonnance ainsi : « Les articles 10 à 13 de la présente ordonnance portent sur l’assistance éducative. Les nouvelles dispositions relatives à l’assistance éducative visent à concilier la reprise rapide d’un fonctionnement normal de la justice des mineurs avec le respect des règles de distanciation sociale. Elles prennent en compte les contextes locaux différents et la nécessité d’organiser dans des salles plus grandes que les bureaux des magistrats les audiences en assistance éducative qui regroupent souvent de nombreuses personnes. C’est pourquoi l’essentiel des dispositions de l’ordonnance a été conservé, à l’exception de celles portant sur les placements et de celles portant sur la suspension des droits de visite et d’hébergement, qui devront faire l’objet d’audiences. Le prolongement dans la durée de la crise sanitaire commande également de limiter le renouvellement des autres mesures sans audience à une seule fois par affaire ». En ce sens, l’article 9 de l’ordonnance n° 2020-595 ajoute à l’article 13 alinéa 3 une précision quant à la mesure d’assistance éducative concernée par cette disposition : « À défaut de mise en œuvre des dispositions des deux alinéas précédents, les mesures d’assistance éducative dont le terme vient à échéance au cours de la période définie à l’article 1er sont prorogées de plein droit jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la fin de cette période ». Il ne s’agit donc que de l’assistance éducative en milieu ouvert (AEMO) qui est le principe en la matière comme le prévoit l’article 375-2, alinéa 1er, du code civil (Rép. civ., Autorité parentale, par V. Larribau-Terneyre et M. Azavant, n° 454). Le texte prévoit que la disposition est applicable également à l’aide à la gestion du budget de l’article 375-9-1 du code civil créé par la loi n° 2007-293 du 5 mars 2007. Ces deux mesures liées à l’assistance éducatives étant les plus souples dans le corps de règle envisagé, l’ordonnance permet donc assez logiquement selon nous leur maintien de plein droit. Ces modifications procédurales importantes étaient nécessaires dans ce contexte (pour une présentation approfondie des apports de l’ord. n° 2020-304 à ce sujet, V. Égéa, Les dispositions de l’ordonnance n °2020-304 du 25 mars 2020 relatives à l’assistance éducative, Gaz. Pal. 28 avr. 2020, n° 16, p. 87 et s. n° 1 spéc.). Une précision sur les bornes temporelles bienvenue suit ces dispositions : « toutefois, les mesures d’assistance éducative et les mesures judiciaires d’aide à la gestion du budget arrivées à échéance avant le 1er juin 2020 sont prorogées de plein droit jusqu’au 1er août 2020 inclus ». Cette prolongation de plein droit reste intéressante dans ce contentieux très particulier où l’enfant est au cœur des préoccupations du système imaginé par le législateur. On ne peut que louer cette différenciation faite dans l’ordonnance n° 2020-595 entre l’assistance éducative en milieu ouvert de l’article 375-2 et celle de l’article 375-3, plus exceptionnelle et demandant ainsi un contrôle du juge renforcé. La mention de l’article 375-3 du code civil est d’ailleurs, en ce sens, supprimée de l’article 14 de l’ordonnance n° 2020-304 lequel prévoit le renouvellement sans audience avec une décision spécialement motivée. Ainsi, seule l’AEMO et la mesure d’aide à la gestion du budget restent concernées par le dispositif issu de la crise sanitaire. L’ordonnance unifie le temps du renouvellement, désormais à une année et ce une seule fois. Le Rapport remis au président de la République justifie ce bornage temporel au maintien de la crise sanitaire dans le temps. Conformément à l’esprit général de l’article 388-1 du code civil, l’article poursuit sur l’importance donnée à l’écoute du mineur doué de discernement mais sur ce point nihil novi sub sole. L’urgence sanitaire étant sur sa phase de déclin, on comprend bien volontiers que l’écoute du mineur doué de discernement retrouve son empire normal. La condition reste toutefois classique : le mineur doit en faire la demande. Cette dualité entre le respect des consignes sanitaires de distanciation sociale et la nécessité de maintenir des audiences pour les contentieux les plus délicats nous paraît bien balancée. En somme, c’est la plupart de l’ossature de l’assistance éducative adaptée au covid-19 qui perdure. Les différences portent sur les mesures qui cristallisent le plus de difficultés et le retour à une audience semble fort pertinente pour ces domaines-ci. 

D’autre part, sur l’autorité parentale, l’ordonnance étudiée vient préciser comme le dit le Rapport « que la durée des mesures de droit de visite et de remise d’enfant fixées en espace de rencontre par décision du juge aux affaires familiales est réputée avoir été suspendue à compter de la fermeture de l’établissement et jusqu’à la reprise effective de la mesure par l’espace de rencontre (art. 11-2) ». Il s’agit d’une adaptation de l’article 1180-5 du Code de procédure civile qui prévoit la possibilité pour le juge de décider que le droit de visite s’exercera dans un espace neutre dit « espace de rencontre ». Le texte prévoit donc que la durée des mesures qui font intervenir ledit espace est suspendue jusqu’à l’ouverture de ces derniers ; ce qui n’est que l’économie générale de tout le dispositif procédural lié au covid-19. Il est intéressant de noter que les sites internet de ces espaces de rencontre indiquent souvent que leurs équipes en télétravail sont à la disposition des parents pour aider à « trouver des solutions amiables » pendant la crise sanitaire. On sait que le contentieux de l’autorité parentale est très difficile psychologiquement pour les parents et les enfants. Ainsi, on ne peut que louer cet effort d’accompagner les parents dans cette voie amiable ; probablement inspirée par le législateur qui a instauré une expérimentation de médiation préalable aux modifications de convention d’autorité parentale. Sur les droits de visite, plus spécifiquement, deux suppressions majeures et importantes. L’article 11 supprime l’article 19 de l’ordonnance précédente qui prévoyait la possibilité pour le juge de suspendre ou de modifier un droit de visite ou d’hébergement sans l’audition des parties tandis que l’article 12 supprime la simplification procédurale de l’article 21, alinéa 2, de l’ordonnance n° 2020-304 (absence de contreseing et notification par voie électronique pour la modification d’un droit de visite). Ce retour à une audience pour la modification de ces situations juridiques paraît nécessaire mais la mise en œuvre pratique risque de ne pas être aisée. 

4. Le texte étudié intéresse également les majeurs protégés. On sait que l’ordonnance n° 2020-304 permettait déjà de proroger les mesures de protection du droit des majeurs vulnérables et celles liées aux violences conjugales des articles 515-9 à 515-13 du code civil qui arrivaient à échéance pendant la période troublée. C’était une solution bienvenue dans le cadre de l’épidémie ; notamment pour toutes les personnes déjà protégées ou leurs représentants qui auraient pu contracter le virus. L’ordonnance n° 2020-595 ajoute un article 11-1 à l’ordonnance précitée lequel précise : « Art. 11-1.-Par dérogation aux articles 1222 à 1223-1 du code de procédure civile, le dossier d’un majeur protégé peut être communiqué par tous moyens aux mandataires judiciaires à la protection juridique des majeurs, à l’exception du certificat médical qui ne peut être consulté que suivant les règles énoncées aux articles précités ». La principale nouveauté reste donc cette communication « par tous moyens » qui permet d’éviter que le dossier soit consultable uniquement au greffe. C’est évidemment une mesure appréciable en ces temps où l’accès aux différents tribunaux et cours demeure très délicat. La communication essentielle du dossier – ici comme ailleurs certes – dans ces procédures parfois délicates à gérer reste donc d’actualité en ces temps troubles (V. Montourcy, Le droit d’accès au dossier et le droit à la copie des pièces le constituant, in Dossier « Majeurs protégés », AJ fam. 2014. 167 ). Bien évidemment, le texte réserve la communication du certificat médical dans les conditions classiques du Code de procédure civile, i.e. au greffe. On comprend évidemment que pour cette pièce particulière le droit commun ne s’adapte pas.

5. En somme, cette ordonnance procédurale est plus complexe qu’il n’y paraît. Adaptant, modifiant, parfois supprimant des dispositions, elle ne peut pas être décrite comme une simplification mais bien comme une continuation raisonnée. Les adaptations procédurales qui étaient nécessaires hier au pic de l’épidémie ne sont parfois plus à l’ordre du jour et elles ont été ainsi supprimées mais un grand nombre d’entre-elles reste toujours en vigueur aujourd’hui. Les inquiétudes peuvent se dissiper – nous sommes bien loin d’un point de non-retour – mais il faudra continuer à revenir au droit commun au fur et à mesure que la situation le permettra. Le droit des personnes et de la famille ne se complaît que peu dans ces situations particulières. Le tout est d’avancer sans se précipiter afin de retrouver si ce n’est le droit d’hier au moins une situation plus connue des juristes.