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Reprise du programme de déradicalisation : qui est Jean-Marc Borello, président du Groupe SOS ?

Le Groupe SOS vient de décrocher l’appel d’offres du ministère de la justice face au programme de déradicalisation Rive. Ce fleuron du social français est dirigé par Jean-Marc Borello, un ancien éducateur spécialisé dans un centre d’accueil pour jeunes délinquants.

par Gabriel Thierryle 26 octobre 2018

Il a le tutoiement facile, aime les cigarettes et est attablé, en habitué, à la terrasse d’un café du onzième arrondissement de Paris. Voici, en cette fraîche matinée de la fin du mois de septembre, à quoi ressemble Jean-Marc Borello, surnommé le « Bill Gates » du social. À 60 ans, le président du Groupe SOS, une association à la tête d’une myriade de structures (associations, coopératives ou entreprises), veille sur 17 000 salariés présents dans quarante-quatre pays. Actif sur des thématiques allant de la jeunesse à l’emploi en passant par la santé, il vient de remporter un appel d’offres sensible du ministère de la justice.

Le Groupe SOS va ainsi reprendre en main, à travers l’association Artemis, le programme de déradicalisation du ministère, le projet Rive (Recherche et intervention sur les violences extrémistes). Un nouveau centre a ouvert dans la capitale à la fin septembre, suivi par l’ouverture d’un deuxième lieu à Marseille d’ici la fin de l’année. L’organisation succède sur ce dossier à l’Association de politique criminelle appliquée et de réinsertion sociale, qui avait mis en place une première version du dispositif à Paris il y a deux ans. « Nous étions qualitativement bien placés, j’en déduis que la différence s’est faite sur le prix », regrette Frédéric Lauféron, le directeur général de l’APCARS.

Pédagogie sous contrainte

Avec ce nouveau contrat à son arc, le Groupe SOS espère lui redonner un souffle au projet Rive. « Notre idée, c’est que nous pouvons faire de la pédagogie sous contrainte, détaille Jean-Marc Borello. Ce n’est pas forcément quelque chose qui est populaire chez l’ensemble des travailleurs sociaux, mais ceux qui ont travaillé pour la justice savent qu’à un moment donné, la contrainte judiciaire peut être un prétexte pour le démarrage de la pédagogie. À nous de faire en sorte que ce choix négatif se transforme en choix positif. »

Avec cet appel d’offres, Jean-Marc Borello n’est pas en territoire inconnu. Ce patron atypique, ancien directeur du groupe Régine, l’entreprise phare de la nuit parisienne dans les années 1980, a en effet commencé sa carrière comme éducateur spécialisé. Un premier métier embrassé en 1977 après avoir lu Chiens perdus sans collier de Gilbert Cesbron. Le jeune homme, qui a grandi dans les Bouches-du-Rhône, aspire, comme dans ce roman, à venir en aide à ces enfants défavorisés qui multiplient les délits.

Il participera à un projet inédit en étant détaché auprès d’un seul adolescent. Le suivi de cet enfant terrible, aux quatre coins de la France, accélère l’avenir de Jean-Marc Borello. Il bifurque vers la prévention de la toxicomanie, les cabinets ministériels et l’associatif. Quarante ans plus tard, ce grand gaillard n’a pas l’impression d’avoir quitté l’univers judiciaire. Foyers, assistance éducative en milieu ouvert, centres éducatifs renforcés ou fermés, etc. Le Groupe SOS revendique être le premier gestionnaire de dispositifs de protection judiciaire de la jeunesse. « Nous n’avons jamais mis la justice en avant dans nos activités au Groupe SOS, explique-t-il. Quelle que soit l’origine des difficultés, il faut les traiter. Les sortants de prison ou les personnes avec un passé judiciaire ont toujours été diffus dans nos services, mais nous ne voulions pas créer un ghetto en réservant une prestation spécifique à ces profils. »

Diversification

L’association SOS, créée en 1984, suit d’abord les toxicomanes, avant de se diversifier autour des soins palliatifs, de la santé, de la protection de l’enfance ou des retraités. « Le sujet est toujours un peu le même : la manifestation qui a causé l’incarcération ou la prise en charge est une chose, la réalité de ce que sont les gens est une autre. Il y a quelque chose qui va mal que nous pouvons prendre en charge au-delà du symptôme. J’ai un peu de mal à considérer que l’endoctrinement ne correspond pas une pathologie sous-jacente », ajoute Jean-Marc Borello à propos de son nouveau programme de déradicalisation.

« Son gène, c’est l’innovation, mais c’est un peu un éléphant dans un magasin de porcelaine, remarque le préfet Alain Régnier, administrateur du Groupe SOS et délégué interministériel chargé de l’accueil et de l’intégration des réfugiés. C’est un iconoclaste et, dans tout ce qu’il a conduit, cela a entraîné beaucoup de jalousies, de crispations, et parfois de recours. » Transgressif, Jean-Marc Borello suscite aussi la crainte à force de reprendre la main sur des associations. « Il y a beaucoup de fantasmes », balaye Alain Régnier.

Macroniste convaincu – il est délégué national d’En Marche –, Jean-Marc Borello a applaudi à l’annonce programmée de la fin des courtes peines. « Cela fait trente ans que je dis qu’elles sont des âneries : mettez un gamin en tôle, il y trouvera l’école du crime », déplore l’ancien éducateur spécialisé. Un des inspirateurs du plan Pauvreté, dévoilé en septembre, il salue aussi l’accompagnement à venir des jeunes majeurs. Tout en gardant un œil lucide sur la justice, parent pauvre des exécutifs. « Nous ne donnons évidemment pas suffisamment de moyens à ce ministère pour qu’il puisse travailler sereinement, mais nous sommes surtout sur des a priori quelquefois très éloignés de la réalité : par exemple, la justice pour enfants est un dispositif qui fonctionne extrêmement bien », regrette Jean-Marc Borello.

Il est 9 h 30, ce vendredi matin, et après plusieurs cigarettes, le président du Groupe SOS se prépare à rejoindre son bureau. À pieds, comme d’habitude. Certain que le luxe réside dans la simple marche quotidienne vers son bureau, ce patron atypique est un locataire convaincu qui déménage au fil des changements d’adresse du siège social de son entreprise.