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Quid de l’infraction de pénétration non autorisée sur le territoire national ?

La chambre criminelle précise ici les éléments constitutifs et le régime de l’infraction de pénétration sur le territoire national en dépit d’une interdiction judiciaire, telle qu’elle est prévue par l’article L. 824-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).

par Margaux Dominatile 13 juillet 2022

Par un arrêt du 29 juin 2022, la chambre criminelle de la Cour de cassation est venue apporter des précisions concernant les éléments constitutifs de l’infraction de pénétration non autorisée sur le territoire national (CESEDA, art. L. 824-11). D’une part, elle indique que cette infraction ne s’appuie pas sur les prescriptions de la directive n° 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 et n’exige donc pas qu’une mesure de contrainte préalable ait été ordonnée pour que l’infraction soit constituée (§ 16 de la présente décision). D’autre part, elle considère que selon l’article L. 824-11 du CESEDA, l’infraction de pénétration non autorisée sur le territoire national se caractérise par la « violation délibérée d’une interdiction judiciairement prononcée et par le refus d’exécuter la mesure de refus d’entrée en France », et se distingue donc de l’infraction de « soustraction à une mesure d’éloignement » (§ 16).

En l’espèce, un individu en provenance de Turquie est arrêté en mars 2021 dans un aéroport français. Il s’avère qu’il faisait l’objet d’une interdiction judiciaire du territoire français jusqu’en 2023. Placé en zone d’attente pour une durée initiale de 96 heures, la mesure est prolongée par le juge des libertés et de la détention pour huit jours. Ayant refusé d’embarquer sur un vol le ramenant en Turquie, il est placé en garde à vue puis jugé. Après avoir rejeté l’exception de nullité soulevée par son avocat, le tribunal correctionnel le reconnaît coupable des infractions de pénétration non autorisée sur le territoire national malgré une interdiction judiciaire du territoire, et de soustraction à l’exécution d’une mesure de refus d’entrée en France, et le condamne à trois ans d’emprisonnement. Ce jugement ayant été confirmé par la cour d’appel, l’intéressé forme un pourvoi devant la Cour de cassation.

L’inapplicabilité de la directive « retour » et l’absence de mesure de contrainte préalable

Au soutien de son pourvoi, l’intéressé faisait valoir que la garde à vue dont il avait fait l’objet était illégale (§ 8). Cette mesure ne peut en effet être décidée qu’à l’égard d’une personne soupçonnée d’avoir commis ou d’avoir tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement (CPP, art. 62-2). Or, selon les prescriptions de la directive n° 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, les infractions qui étaient reprochées à l’étranger (c’est-à-dire la pénétration non autorisée sur le territoire national et la soustraction à l’exécution d’une mesure de refus d’entrée en France) ne sont punissables qu’à condition qu’il ait fait l’objet d’une mesure coercitive qui a pris fin sans qu’il ait pu être procédé à son éloignement. Et, en l’espèce, puisque la procédure n’avait pu être menée à son terme, il considérait que les infractions qui lui étaient reprochées n’étaient pas punissables. Se faisant, il dénonçait l’irrégularité de sa garde à vue.

La directive du 16 décembre 2008, dite « directive retour », définit une procédure précise applicable au retour des ressortissants des pays tiers à l’Union européenne (v. S. Humbert, Directive « retour » : quel bilan de cinq années intenses de contentieux ?, RFDA, 2016. 1235 ). En substance, elle s’oppose à ce qu’un État membre adopte une législation tendant à l’emprisonnement d’un étranger, du seul fait de sa pénétration ou de son séjour irrégulier sur le territoire, tant que la procédure d’éloignement n’a pas été menée à son terme ou lorsqu’il n’a pas été soumis, au préalable, à une mesure coercitive (CJUE, 1re ch., 28 avr. 2011, El Dridi, aff. C-61/11, Dalloz actualité, 8 juin 2012, obs. C. Fleuriot ; El Dridi, AJDA 2011. 878 ; ibid. 1614, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat ; D. 2011. 1880 , note G. Poissonnier ; ibid. 1400, entretien S. Slama ; ibid. 2012. 390, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; AJ pénal 2011. 362 , note S. Slama et M.-L. Basilien-Gainche ; RFDA 2011. 1225, chron. L. Clément-Wilz, F. Martucci et C. Mayeur-Carpentier ; ibid. 2012. 377, chron. L. Clément-Wilz, F. Martucci et C. Mayeur-Carpentier ; Rev. crit. DIP 2011. 834, note K. Parrot ; D. 2011. 1880, note Poissonnier ; ibid. 1400, entretien Slama ; AJ pénal 2011. 362, note Slama et Basilien-Gainche ; Gaz. Pal. 21-29 juin 2011, p. 17, note Chafai ; Rev. crit. DIP 2011. 834, note Parrot ; 6 déc. 2011, Achughbabian, aff. C-329/11, Dalloz actualité, 7 déc. 2011, obs. C. Fleuriot  Achughbabian, AJDA 2011. 2384 ; ibid. 2012. 306, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat ...

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